Sabatrion, un prince du néant (03.01.2009)

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En 2008 qu’avez-vous fait de votre seconde supplémentaire? Moi, pendant cette goutte de temps ajoutée à notre sirop existentiel pour compenser le ralentissement de la rotation de la Terre, j’ai pensé au Goéland.

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Le Goéland, les Bretons connaissent. C’est un journal d’art et de poésie publié pendant 20 ans (1936-1956) par son fondateur, le poète Théophile Briant (1891-1956) dans son moulin de Paramé en plein pays malouin.

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Théophile Briant est le 2e personnage assis de G à D
via Les Féeries intérieures
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Pourquoi je vous parle de lui ? Parce que, non content d’être un ami de Max Jacob et de Saint-Pol Roux et d’avoir encouragé un tas de plumes du genre de celles de Marcel Béalu, René Guy Cadou, Jean Vodaine, il est l’auteur d’un petit bouquin visionnaire que je réédite si je gagne au loto.

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Sabatrion, c’est son titre. Un nom de jeu-vidéo. De l’extérieur pourtant ça n’a pas l’air en avance : une pauvre brochure lie-de-vin au look symboliste avec son serpent typo. 40 ans de retard pour la forme, on croirait une production Rémy de Gourmontesque ou Alfred Jarrysque. Mais l’intérieur a de quoi faire dresser les oreilles situationneuses et les poils des sacripants art-brutistes en diable.

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Je prononce ce mot parce qu’il en est question dans cette nouvelle, publiée en 1938, que l’auteur présente curieusement comme un pamphlet dédié «Aux tyrans qui se croient des dieux, aux esclaves qui se croient des maîtres». En bref, comme dirait Pépin, l’action se passe en juillet 1914 dans un asile d’aliénés du nord de la France. Un patient dangereux, qui occupe la chambre 666 (tiens, donc), se prend pour le Démon, zigouille salement une infirmière puis disparaît à son tour dramatiquement. Point barre ? Non. Sabatrion (le «malade aigu», c’est lui) a laissé un manuscrit que le narrateur va laisser dormir pendant 22 ans. A partir de là, la nouvelle qui progressait gentiment selon les règles conventionnelles du récit fantastique s’élève soudain à la hauteur d’une hallucinante vision prophétique.

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Sabatrion, «Prince du néant» harangue les scientifiques : «Inventez, surinventez, éventrez, étripez, décervelez». Il prédit une «grande charognerie noire et pestilentielle» au cours de laquelle «on tuera sans voir». Des rencontres entre «la viande à canon et la viande à plaisir» où l’on fabriquera des enfants «pour que ça continue».
Dans ce climat de démolition généralisé, le Diable «cuisinera» les cerveaux : «Je leur inventerai le confort et les loisirs pour les chloroformer. Je dirigerai la grande presse d’information. Je ferai alterner sur l’écran les criminels et les turlupins, les maquereaux et les grands seigneurs. J’obligerai les producers à penser public et le public à penser stupide». Dans son «cabanon de série», l’homme «cherchera fièvreusement de nouveaux stupéfiants (…). Il entendra des chefs d’état (…) cracher des menaces et il écoutera ces hurlements de mort d’une oreille distraite en sirotant des portos».

Pas mal, non, pour de la littérature aliénée, même simulée ? Moi, ça m’a fait penser à l’indigne chasse au «schizophrène» par quoi s’est terminée l’année dans les medias de notre malheureux pays.

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