Carton rouge pour Mémée Grossin (06.08.2011)
«On s’amusait bien en 68» me dit mon daddy adoré, avec nostalgie, en z’yeutant ma dernière trouvaille. Dénicheuse de paperasses anciennes comme je suis, j’ai attrapé dans mon filet à papillons rares, un carton qu’en ces temps mérovingiens on n’appelait pas encore un «flyer». C’est un carton rouge ou plutôt un dépliant de la Galerie Antoinette, dévolue à la défense de l’art naïf.
Ce n’est pas que les œuvres de Fernande Grossin (1886-1975), une brave vieille dame bordelaise, me passionnent des masses mais c’est qu’il est question d’art brut dans le texte d’Anatole Jakovsky contenu dans cette invitation à une exposition qui occupa 3 semaines, peu de temps avant un 22 mars fatidique.
Dans ce moment précurseur d’un mouvement qui allait reléguer au second plan bien des choses (dont le gaullisme et l’art naïf), on ne faisait pas dans le politiquement correct. On n’hésitait pas, contrairement à aujourd’hui, à exprimer des opinions personnelles et même à se rentrer généreusement dans le chou entre grandes têtes molles. Ici, c’est rigolo de voir Jakovsky, un peu énervé par Jean Dubuffet qui lui pourrit la vie (Asphyxiante culture, son brûlot est pour bientôt), se farcir Raymond Queneau, coupable, d’artbrutophilie et d’artnaïvophobie subséquente.
Mémée Grossin passe à la trappe.
Après nous avoir rapidement chanté les louanges de cette jeunesse de 82 ans, l’Anatole utilise l’essentiel de son espace à se bastonner avec «la valetaille des gazettes» que défrisent ses chers naïfs. La suite est jouissive puisque s’attaquant «aux grosses pièces», il râle contre un académicien Goncourt qui l’a provoqué.
J’aurais bien aimé trouver l’origine de la citation de Raymond Queneau qui mit les nerfs de Jakovsky en pelote mais je n’y suis pas parvenu (avis aux chercheurs!). Elle date sans doute de 1967 et vaut son pesant de nougat : «L’exposition de l’Art Brut fut cette année une révélation avec l’heureuse conséquence d’éclairer les esprits sur la véritable nature de l’art exploité sous l’étiquette Naïf, école insincère de truqueurs (à quelques rares exceptions près)».
Devant tant de sévérité, Anatole Jakovsky manque d’avaler sa pipe : «Dommage que la fameuse Zazie n’était pas là à ce moment près de lui pour lui dire dans son vert langage : critique mon cul, Keno, t’occupe pas de ça, c’est pas tes oignons».
Avant de se vautrer à son tour dans l’injustice: «Ah, si elle (Mémé Grossin) était seulement une droguée, une internée, une schizophrène, ou une récidiviste de droit commun, au pis aller, comme la plupart des artistes de l’Art Brut, cela aurait pu s’arranger, la rehausser aux yeux de ce profond penseur».
Il a raison mon daddy, en ce temps-là, on s’amusait bien. Avec parti pris peut-être mais sans recours à l’injure, à la diffamation, au harcèlement, au ton menaçant toutefois. Avec pour seules armes l’ironie, l’humour, le sens de la caricature, l’analyse critique, l’exactitude des faits et le contrôle des informations. Sans oublier le droit de citation. Tout un programme.
08:00 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : fernande grossin, anatole jakovsky, raymond queneau | | Imprimer | | |