art brut or not art brut, au menu du Réfectoire ? (26.11.2011)
Je sais pas si vous avez remarqué mais l’art brut ça part dans tous les sens (pour être polie) en ce moment. Au fur et à mesure que n’importe qui s’empare de ce label pour s’en faire un drapeau, un cache-sexe ou un colifichet, il se met à désigner des réalités hétérogènes. Les schpountz, les gros malins, les crânes d’œuf et les artistes minimalo-conceptualo-abstractiquo-informalo-surpeinturo contemporains… tout le monde il veut être art brut. Même les critiques d’art des quotidiens nationaux bientôt s’y mettront. Art brut, c’est un droit, un privilège, une exigence. Si ça continue, il faudra une boussole pour s’y reconnaître. Heureusement que vous disposez du gépéhesse animulien, chers lecteurs !
Celui-ci vous indique aujourd’hui le chemin du Réfectoire des Cordeliers. Non parce qu’il regorge de souvenirs révolutionnaires mais parce que, du jeudi 1erdécembre 2011 au jeudi 12 janvier 2012, il abritera une expo collective des réalisations de 59 peintres et dessinateurs fréquentant 13 ateliers médico-sociaux et 4 ateliers d’art-thérapie.
Cette manifestation a pour titre : Exil, l’art brut parisien. Ses organisateurs en sont tellement contents qu’ils l’ont déposé. Au vu de la sélection d’œuvres consultables sur le site officiel bien ficelé, je ne suis pas certaine cependant -pardonnez moi d’être franche- qu’il y ait là beaucoup de productions relevant de ce «fortement inventif» que Dubuffet considérait comme primordial à l’art brut. Impossible d’argumenter mon propos car dans ses «mentions légales» le site d’Exil se montre très jaloux de ses visuels. Comment relayer ses initiatives après ça ? Vous serez donc contraints, chers Animuliens, de vous contenter du gros carré de chocolat noir (genre 2001 l’Odyssée de l’espace) qui trône sur l’affiche. Et d’aller à l’expo pour voir si des fois il n’y aurait pas, en cherchant bien, une tch’ite découverte à faire quand même.
Et comme le droit de citation existe encore en France, je me permets de mettre en exergue ces mots de l’éditorial du psychiatre et philosophe Serge Besançon : «(…) si être artiste est un métier, celui qui fait de l’art brut n’en fait pas profession. C’est là sa force, la vérité paradoxale de son art. Et si je relève le mot vérité, c’est parce qu’il existe aussi une part de mensonge en art, ou au moins de recette, d’astuce et de truc. On le sent bien, l’Art Brut ne ment pas. C’est même un moyen assez sûr d’apprécier les meilleures œuvres, ou du moins les plus pures».
Moi qui vous parlait d’indicateur de direction, en voici un ! Cela fait du bien de lire quelqu’un qui a les idées claires ! Toute la deuxième moitié de l’édito de Besançon est de ce tabac. Si bien qu’on se demande s’il n’entre pas finalement en contradiction avec l’entreprise qu’il est censé défendre. Lisez à partir du paragraphe qui commence par : «Reste donc le point de vue du collectionneur (…)» et dîtes moi si notre éditorialiste ne préfère pas le libre esprit de l’art brut véritable aux résultats prévisibles des pratiques encadrées, à visée curative et occupationnelle.
18:37 | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : art brut, art-thérapie, exil, serge besançon, réfectoire des cordeliers | | Imprimer | | |
Commentaires
çA part en couille ma chère Ani, ne tournez point autour du pot. Un pot dans lequel on jette deux doigts d'instrumentalisation du handicap, mélangés à un soupçon de suffisance et trois onces de "faire la nique aux indépendants du pied de la butte". Quel talent la communication éthique !
Écrit par : Brigitte Bardot | 27.11.2011
Difficile de parler d'une expo au seul regard d'une affiche. Comme vous le soulignez en citant Monsieur Besançon, l'art brut ne ment pas. C'est ce qui est intéressant. L'exposition sort les oeuvres des ateliers et les présente au public. Cette initiative donne de la visibilité à des artistes. N'en déplaise à celles qui parlent de pot là où il est temps de se réjouir qu'on se bouge enfin pour montrer des oeuvres dans de bonnes conditions. La suffisance et l'instrumentalisation du handicap sont bel et bien du côté des professionnels de la compassion qui préfère mettre les choses dans un pot.. et jeter le pot...
Pour info et pour en savoir plus je crois qu'il y a un blog et une page facebook présentant des photos et des interviews.
https://www.facebook.com/Exil.artbrutparisien
A bientôt
Écrit par : Denis S | 27.11.2011
@ Denis S
BB a raison au moins sur un point: vous êtes un pro de la communication et toc!
Je persiste à dire que si le site officiel d'Exil acceptait de fournir des visuels, je ne me serais pas contentée de l'affiche, peu glamour, j'en conviens. Retoc!
Mais peut-être craignez-vous qu'au vu des images, l'éventuel public comprenne d'emblée qu'il ne s'agit pas du tout d'art brut? Votre insistance à claironner le terme "artistes" montre d'ailleurs que vous n'en êtes guère convaincu vous-mêmes.
Vous devriez relire Serge Besançon. J'ai l'impression que vous ne parlez pas de la même chose ou qu'il y a eu erreur à la commande de son article. Mais je peux me tromper.
Une chose est sûre, manque de pot : ça fait + de 15 ans, comme le suggère Brigitte, que la Halle Saint-Pierre se décarcasse pour montrer à Paris de véritables oeuvres d'art brut "dans de bonnes conditions".
Écrit par : Ani | 28.11.2011
Pas très emballée a priori, j'ai quand même été faire un saut hier à cette fameuse exposition, et, ma foi, brut ou pas brut, je ne sais pas, mais ça m'avait bien l'air d'être quelque chose comme de l'art, quoique je n'y connusse rien, je vous le concède, mon œil n'est pas exercé et mon cerveau pas cultivé. J'ai trouvé, dans mon ignorance et mon ingénuité, que certaines œuvres et certains artistes méritaient le détour. Peut-être me suis-je fait duper.
Maintenant je n'ai pas encore regardé dans le détail qui étaient ces artistes et quels étaient ces ateliers, qui les fréquentait, des imposteurs peut-être, on ne sait jamais avec ces fols. En tout cas, ç'a attisé ma curiosité. C'était peut-être un truc comme une exposition d'initiation à l'arbrute.
Écrit par : ves | 10.12.2011
@ Ves
Merci pour votre témoignage. Je suis heureuse de vous avoir incitée à juger par vous-même.
Nul besoin de soupçonner des impostures ou des marchés de dupes derrière l'expo du réfectoire. Ce n'est nullement ce que j'induis.
J'ai même tellement de respect pour les peintres et dessinateurs qui y figurent que me fait horreur le terme de "personnes handicapées mentales" employé par les organisateurs à leur propos.
Si handicap il y a c'est celui que notre bagage culturel fait peser sur notre sensibilité. Mais il ne suffit pas de faire des déclarations d'ignorance et d'ingénuité pour en être indemne.
Ceci dit, je vous comprends.
Concernant l'art brut, la confusion règne depuis que ses adeptes croient malin d'enroler ses adversaires ou ses faux-amis pour en légiférer.
Le spectacle et le marché y trouvent leur compte mais nous, on a le cul entre deux chaises. Car c'est une question de chaises finalement.
Écrit par : Ani | 11.12.2011
Je suis de l'avis de Ves: il y a des choses à voir dans cette expo! Bien sûr il y a aussi des influences par trop visibles (qui manquent du sel de l'authenticité et de l'inventivité).
Mais certains auteurs sont engagés dans un processus vraiment personnel qui mérite la visite.
Pour ce qui est de la communication c'est une affaire très compliquée: Ce ne sont pas vraiment des "artistes" puisqu'on n'est pas dans le circuit des galeries et que ce qui justifie l'exposition c'est de réunir des auteurs qui "fréquentent " des ateliers pour "personnes handicapées mentales". Comment le dire autrement???
Écrit par : Jeanne | 15.12.2011
@ Jeanne
"Comment le dire autrement?"
Mais en ne le disant pas, tout simplement.
Il y a des choses qui ne méritent pas d'être dîtes parce qu'elles n'ont aucun intérêt au regard du sujet dont on prétend traiter.
Des oeuvres d'un peintre qui souffrirait de l'estomac, dirait-on que c'est de l'art de personnes ulcérées ? Certainement pas, naturellement.
On ne jugerait que le résultat, c'est à dire les capacités d'invention.
On peut vouloir faire son petit Growth Art Center, tout le monde ne révèle pas sa Judith Scott. En face de ses cocons mystérieux, peu m'importe qu'elle soit autriste, trisonométrique ou malade du genou.
J'admire d'abord et je biographise ensuite.
Ou bien, si j'admire et biographise simultanément, c'est sans me focaliser sur le ciboulot. Parmi les 59 du réfectoire, combien y en a-t-il, par exemple, qui aiment comme moi (et comme Judith) les canettes de soda frais sur les joues chaudes?
L'exposition des amateurs de frais visages, je suis prête à y goûter pourvu qu'il y ait "des choses à voir".
Au fait pourquoi ne dîtes-vous pas lesquelles vous avez vues au réfectoire?
A croire qu'aucune individualité ne puisse sortir du lot anonyme de ce collectif d'"ateliers".
L'ART BRUT C'EST COMME L'INSURRECTION, IL NE VIENT PAS D'OÙ ON L'ATTEND.
Écrit par : Ani-tête-de mula | 15.12.2011
Ma tête de mule fatiguée n'avait pas pris son stylo pour noter et n'a retenu que ces 3 noms: Carol Muller, Sébastien Minet et Mathieu Norwood.
Ce que je voulais dire c'est que c'est difficile de "ne pas en parler" alors que c'est la seule "raison" qui réunit ces auteurs dans l'exposition. Il faudrait trouver un parcours thématique pour une autre cohérence.
Écrit par : Jeanne | 16.12.2011
N'ayant pas voulu me laisser influencer par les organisateurs (me suis juste laissé influencer par AV…), j'ai rien lu, juste regardé les œuvres exposées, et je suis repartie avec un feuillet de format A5 qui mentionne le nom des ateliers.
Puis là quand même je m'interroge, de l'art brut peut-il être issu d'un atelier… d'art brut, en quelque sorte ? Et si on assiste avec régularité à ce type d'atelier c'est preuve qu'on est plutôt bien « inséré ». Plus généralement, quand on peut s'exprimer, que ce soit comme ci (par l'art) ou comme ça, on est moins handicapé que celui qui ne le peut pas ou plus, peut-être même qu’on ne l’est pas du tout — enfin, pas plus que la moyenne.
Le truc c’est que tout le monde (porteurs d'une anomalie chromosomique comme porteurs de maladies neurologique, organique, métaphorique…) est mixé dans ce pot-pourri des cordeliers, et on ne sait pas qui fait quoi.
Le concept (d'art brut) permet à certains de bénéficier d’une audience (indue ?) qu’ils n’auraient pas autrement (mais il n’y a jamais loin d’art à art-naque), c’est peut-être ce qu’on appelle les bénéfices secondaires de la maladie.
De toute façon comme la mode consiste à classer le moindre symptôme parmi les maladies et son porteur parmi les malades on n’aura bientôt plus que de l’art brut.
Écrit par : ves | 17.12.2011
J'ai failli m'étrangler avec mon café du lundi matin en lisant ce commentaire dans lequel Ani nous assène que "Concernant l'art brut, la confusion règne depuis que ses adeptes croient malin d'enroler ses adversaires ou ses faux-amis pour en légiférer.
Le spectacle et le marché y trouvent leur compte mais nous, on a le cul entre deux chaises. Car c'est une question de chaises finalement."
Doit-on comprendre qu'il y a des personnes autorisées à parler d'art brut et d'autres, non ? Mais autorisées par qui ? On ne peut pas à la fois vouloir se battre pour sa reconnaissance et râler quand ses supposés adversaires - manichéisme quand tu nous tiens - donc quand ses supposés adversaires consentent à en faire le sujet d'une discussion constructive.
J'espérais les défenseurs de l'art brut moins enclins à l'Inquisition et à l'excommunication. Son clergé se sentirait-il menacé ?
Alors oui, c'est une question de chaises, celles dont on devrait se lever le cul pour aller ouvrir la fenêtre et faire entrer de l'air frais dans une pièce qui sent un peu le confiné.
Écrit par : Ani sotrope | 19.12.2011
Mais Brigitte Bardot, c'est vous vraiment Brigitte? C'est que se serait trop beau enfin on ne sait jamais si c'était vous quand même alors la bravo car je suis un fan de longtempsans savoir que vous ^tes parmi nous. Moi aussi je les aime nos amis les bêtes et je fais un coucou d'admiration de la part à Stef.
Écrit par : stephane Lemonnier | 19.12.2011
J'y suis allé. La lumière est belle. Le lieu propice à la respiration. Accrochage professionnel sur panneaux blancs et triptyques de laque rouge pour orienter le regard. Tout est fait pour servir les exposants et présenter leurs travaux comme des oeuvres d'art.
Loin s'en faut cependant.
Ce sont d'honnêtes productions d'ateliers où souffle (c'est déjà pas mal) le vent qui vient des quatre coins de la culture picturale de ceux qui les encadrent.
A chaque instant on se cogne à des références, pour ne pas dire des révérences. On progresse en se disant: Picasso, André Masson, Van Gogh, Toulouse-Lautrec, Frida kahlo, Monet, Schwitters, Gleizes, Wilfredo Lam, Enrico Baj, Gen Paul, Matisse, Estève... J'en passe dont Soutter et les Barbus Müller.
Cela va de la copie naïve à l'inspiration appliquée sans rien de cette transposition sublimée que les créateurs d'art brut véritable savent mettre dans ces exercices.
On note bien sûr des nuances en fonction des ateliers.
L'ESAT de Ménilmontant tire son épingle du jeu. C'est de là que provient le seul dessin qui, de mon point de vue, justifie la visite.
Il occupe le 1er volet du 3e triptyque le long du mur de gauche quand on entre dans la salle.
Une figure hérissée aux crayons de couleurs. Un brouillard de lignes pour un visage cahotique où perce un regard expressif, ni méchant ni étonné, attentif à l'altérité que nous représentons.
L'ironie veut que ce dessin "sans titre" soit "anonyme".
Bravo donc à l'anonyme qui en est l'auteur et à ceux qui ont créé les conditions pour qu'il le fasse.
Et bravo à tous les exposants dont le nom est sur les cimaises et qui ont fait (et feront encore) de leur mieux.
Écrit par : Jean-Louis Lanoux | 25.12.2011