Treize dessins invisibles de Marie Egoroff (27.06.2013)

Quand elle vous parle de ses intuitions, votre petite âme errante ne fait pas que se vanter. Seulement il faut parfois longtemps pour que lesdites intuitions soient confirmées.

C’est le cas aujourd’hui avec Marie Egoroff dont je vous ai montré les pouchkiniennes illustrations en août 2010.

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Une petite fée animulienne d’une ravageuse érudition vient de me mettre sous le nez une brochure de 16 pages qui éclaire le cas de la dessinatrice d’origine russe. Je soupçonnais cette dernière d’être du genre médiumnique. Je n’étais pas loin. C’est bien du côté de l’ésotérisme qu’il fallait chercher.

papus-portrat.jpgMais c’est au sein du courant de l’occultiste Papus que l’œuvre de Marie Egoroff a été remarquée par Anna de Wolska puis par Emile Michelet, l’auteur du Catalogue commentant treize dessins symboliques de Madame Egoroff dont je vous parlais plus haut.

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Emile Michelet.jpgEmile Michelet, ami de Villiers de L’Isle Adam, est un poète fin de siècle.

Et, si j’en crois la prose de son introduction à ce catalogue, un amateur d’art non moins raffiné qui cite à la rescousse Le Triomphe de la mort d’Andrea Orcagna,

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les Caprices de Goya

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et La Tentation de St Antoine de Jacques Callot

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FENEON.jpgEsotériste évidemment. On nage donc avec lui dans le monde astral et le monde empyréen. On se croirait dans un jeu vidéo! A part ça, c’est un analyste précis. Ses descriptions des 13 dessins sont rédigées dans un langage artistiquement rythmé qui fait penser à Félix Fénéon, le grand critique de l’époque.

Ainsi le commentaire du dessin intitulé Le Problème du mal : «Le mal, allégorisé sous la forme d’oiseaux noirs monstrueux, qui tombent dans la nuit. La tête d’un de ces sombres oiseaux, tranchée par une sorte d’étrange guillotine, choit, le bec ouvert». Qui pourrait s’approcher d’une telle scène de nos jours? Christine Sefolosha peut-être. Le lecteur du catalogue devra s’en remettre à son imagination car l’opuscule ne fournit aucune reproduction des dessins d’Egoroff.

Emile Michelet cultive même l’opacité : «Je garde le silence sur le caractère mystérieux qui scelle l’origine de ces dessins (…)». Il n’en fournit cependant pas moins quelques renseignements précieux. D’une famille de militaires, veuve d’un artiste qui «ne lui avait pas permis d’apprendre le dessin», Marie Egoroff «vécut, recluse volontaire, dans son deuil».

Quand «elle sentit en elle une force irrésistible la poussant à prendre un crayon, elle obéit (…)». Ses dessins «d’une étrange beauté» témoignent d’une rapidité d’exécution «hors de l’ordinaire». «Ils ne ressemblent à rien de ce que nous connaissons dans l’art d’Occident. (…) Aussi leur originalité déconcertera-t-elle bien des esprits», souligne Michelet.

On veut bien le croire. D’autant qu’il trouve des accents qui feraient presque croire qu’il a lu Dubuffet (mais il écrit ces lignes en 1894!) : «Les treize dessins symboliques dont il est ici question ne sont pas l’œuvre d’un artiste. L’auteur est une femme qui jusqu’alors avait ignoré le mécanisme du dessin, et qui soudain, a pris le crayon sous l’influence d’une force : l’Inspiration. L’esprit souffle où il veut. Il a soufflé sur le front d’une femme qui vivait obscure et solitaire, étrangère au mouvement artistique, et ne demandant autre chose que de rester obscure (…)».

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