Art brut : la clé du mystère (13.01.2007)
Elle est retrouvée. Quoi ? La clé du mystère.
Le mystère de l’art brut. Elle était dans l’armoire de Wölfli et personne ne s’en était rendu compte. Heureusement mes lecteurs veillent. Les commentateurs de ma précédente note (De la nuit des fous aux silversterklaüse) ont su la dénicher pour bibi, pauvre petite sœur ignorantine qu’elle est. Ignorantine mais pas têtue. Je suis prête à sous-titrer mon blogue : Rives et dérives de l’armoire suisse (ou de la moissonneuse batteuse lotoise si l’on est plutôt fan d’Emile Ratier) pourvu qu’on m’administre la preuve que tous les possesseurs de meubles peints alsaciens, de fixés sous-verre bohémiens ou de faïences de Quimper font de l’art brut.
Comme toutes les grandes idées simples cette hypothèse de la source culturiste-populeuse est séduisante. Séduisante comme l’était en littérature la critique biographique avant que Roland Barthes ne vienne y semer sa chienlit structuraliste. C’était tout de même reposant pour l’esprit de se dire que tel chef d’œuvre romanesque avait été écrit parce que son auteur souffrait dans sa jeunesse des oreillons. La Recherche du temps perdu était dans la madeleine et basta. Pourquoi donc, l’essence de l’art de Wölfli ne serait pas dans son armoire ?
Photo Andrew Edlin
Evidemment, il se trouvera toujours des grincheux pour nous dire que, si source il y a, c’est plutôt dans un faisceau d’influences qu’il faut la chercher. Ou –pire encore– que cette recherche des antécédents ne nous mène pas à grand chose, qu’elle dispense même de penser la vraie spécifité de l’art incomparable de Wölfli. Ils ajouteront même, ces empêcheurs de culturiser en rond, que la seule chose intéressante à comprendre c’est le travail de transmutation subi par les éléments reconnaissables lors de leur passage dans le feu intérieur qui couve chez n’importe quel créateur véritable, specialement les bruts.
Girouette comme elle est votre petite âme errante se sent prête à rallier ces thèses grincheuses, sans doute parce qu’elles ont le mérite de la faire passer pour plus intelligente qu’elle n’est. Libre à vous après ça de vous confiner dans l’armoire de la tradition bernoise si vous préférez.
21:20 | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : art brut, adolf wölfli, emile ratier | | Imprimer | | |
Commentaires
Chère Animula,
J'ajouterais à votre analyse critique si pertinente un petit bémol. Il y a bien prélèvement d'éléments "cullturels" (Wölfli ou Lobanov "s'apparentent" à des éléments formels de leur culture d'origine) qui se trouvent intriqués, comme tricotés, avec l'histoire du sujet (et pourquoi pas les oreillons...). Là s'opère la transmutation dont vous parlez. Il en va des formes nouvelles créées comme des néologismes dans le langage des schizophrènes (des mots dont la consonance ressemble à un mot de la langue, mais il s'agit d'un mot nouveau fait de "brisures" de mots existants). Sur le plan de l'art brut on peut parler d'un usage néologique de la culture mise au service d'une "adresse" toute personnelle à qui veut bien l'entendre. J'ai le souvenir d'un patient qui représentait sans cesse des scènes - très "historiques" - où il situait Marie-Antoinette. Il avait trouvé ce biais pour affronter une tante Marie très autoritaire qu'il aurait sans doute envoyée à l'échafaud s'il avait pu exprimer sa révolte. Ainsi l'élément prélevé apparaît comme susceptible de se lier à l'histoire du sujet par un mécanisme transférentiel (Marie "devient" Marie-Antoinette). Des "motifs" formels comme ceux des armoires peuvent simplement encadrer un souvenir et lui servir par exemple d'écran.
Écrit par : Béatrice Steiner | 14.01.2007
Très bien, mais je ne perçois pas alors ce qui fait la différence avec le processus de création d'une œuvre de "l'art culturel". Même si l'adresse est différente, l'artiste, losqu'il crée ne fait-il pas toujours ce que vous appelez un "usage néologique de la culture"? Cette chose originale produite, n'est-elle pas ce qui spécifie une œuvre d'art? Pouvez-vous m'éclairer Madame Steiner?
Écrit par : la question | 14.01.2007
L'artiste en effet fait émerger un sens nouveau, mais partageable, et si une part de son travail s'inscrit aussi bien entendu dans son histoire (comme l'a bien montré Catherine Desprats-Péquignot pour Opalka dans son livre paru chez l'Harmattan), sa démarche comporte une finalité esthétique, une proposition à destination universelle.
Dans l'art brut, l'auteur ne se définit pas comme artiste. Il se débat éventuellement avec son histoire personnelle mais ne délivre pas de sens nouveau partageable. C'est plutôt une butée qui nous arrête (dans le style "private joke"), alimente éventuellement nos propres associations, trouve en nous divers échos imaginaires - mais ne se présente pas comme "théorie" de l'art. (ni même avec un objectif de dénonciation du non sens ou de l'absurde, comme on peut le voir dans l'art contemporain).
Écrit par : Béatrice Steiner | 14.01.2007
Avant de se lancer dans des spéculations, il vaudrait mieux s'en tenir aux faits. Consulter par exemple les rapports des médecins qui observaient Wölfli. Des extraits importants ont été publiés dans un catalogue édité par Elka Spoerri et Jürgen Glaesemer à l'occasion de l'exposition de Berne en 1976. On apprend ainsi que Mlle Marti, une institutrice, fait porter une table à Wölfli pour qu'il le peigne. Le 7 janvier 1923, il a terminé l'armoire qu'il a également peinte pour cette institutrice. Plutôt que de subir des influences culturelles, Wölfli répond à une demande. C'est clair. Les influences, c'est sur l'institutrice (qui paie "avec largesse") qu'elles s'exercent. Voilà comment on retrouve dans la machine ce qu'on y avait mis au départ!
Écrit par : Jean-Louis Lanoux | 14.01.2007
Mais c'est quoi cette histoire de clé? Il me semble que vous vous chauffez pour rien, les gars... Personne ici prétendre lancer des nouvelles théories révolutionnaires. Je ne vais pas m'empécher pour autant de jouer avec les echos et les ricochets des caillous que vous lancez sans m'inquieter systhématiquement de vérifier les sources officielles ou de rélire toute la bibliographie sur Wolfli des années septante à nos jours. C'est un blogue, ce n'est pas un boulot! Je ne comprends pas cette aggressivité, ou alors mon Français manque de nuances. Je reste perplexe et un peu sidérée. Le fait d'inscrire éventuellement le mobilièr peint par Wolfli (spontanément ou sur commission finalement peu importe) à l'interieur d'une tradition n'enléve certainement rien à son génie ni à sa capacité de détourner, éventuellement encore, la dite tradition. Cela dit, c'était une sujestion, et non pas une
sentence. Soyez plus relaxés, please.
Teresa
Écrit par : Teresa | 15.01.2007