Souvenirs de Franc Barret (11.06.2008)

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Avec le retour des chaleurs, plutôt que du giron de son chéri qui colle, on rêve aux bras glacés de l’abominable homme des neiges. Pas le grand escogriffe de Tintin au Tibet qu’un éclair de flash intimide mais le sauvage, le fier et même le tout à fait farouche Yéti de la ferme Barret à Pineuilh dans la Gironde, près de Sainte-Foy-la-Grande. Ce monstre au corps couvert de barbe de maïs était sorti, avec ses crocs carnassiers, non de l’imagination, mais bien des rêves affreux de Franc Barret.

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Agriculteur le jour, Franc (ou Franck comme on le voit écrit maintenant) occupait ses nuits à pétrir l’argile et à modeler des sujets qu’il décorait selon ses conceptions d’autodidacte en matière d’histoire, de zoologie, d’art et de science-fiction de série B. Cela a l’air marrant et pourtant c’était loin de l’être. Franc Barret n’était pas le genre de gars à se couler dans les pantoufles d’une singularité pépère. Il aimait le poil, les vampires ensanglantés et les chaînes. Sa création le consumait. Il maigrissait à vue d’œil.

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Le musée bizarre qu’il avait installé chez lui pour mettre en scène, pêle-mêle, son Vercingétorix, sa sainte Blandine, son panorama de Lourdes, son homme de Néanderthal ou son Martien, tenait tout à la fois du jardin des plantes, du museum d’histoire naturelle, d’un cabinet de fétichiste et d’une réserve de maquettes. Il faisait peur, même aux gendarmes.

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On y respirait un parfum d’inconscient chaud bouillant, distillé à partir des moyens les plus simples : insomnie, petit maillet en bois, aiguille, vieux rayon de bicyclette. Cocktail de bricolage et  d’inspiration impérieuse !
«Une force irrésistible le jette au bas de son lit, les rêves se transforment chez lui en réalité. Il voit son œuvre s’ébaucher et ses mains opérer».

Je pique ces lignes à un article du journaliste Geo Sandry, auteur de livres sur l’argot. On peut pas dire qu’elles courent les rues les couv info art 55.jpgpublications où il est question de Franc Barret! Cet article introuvable m’a été signalé par un Animulien collectionneur fatal. Il est paru vers 1957 dans une petite revue conservatrice (on y flingue la jeune action-painting américaine) : L’Information artistique, n°55.

 
Je sais pas qui est ce Maurice Doriant qui a donné 8 de ses photos (abominablement reproduites hélas !) pour accompagner le texte de Sandry mais ce Géo «Trouvetout» a visiblement Franc Barret à la bonne. Il décrit bien le «climat permanent de souffrance» où vivait le sculpteur et «les cinq minutes de joie explosive» qu’il ressentait quand il avait terminé une œuvre.

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Le grand mérite de Géo Sandry est de nous restituer les propos du paysan-créateur : «Je marche au radar. Une voix qui est en moi, me commande et j’agis (…). Et c’est ainsi que, par une sorte d’automatisme, en obéissant à cette voix, j’arrive à reproduire les formes et à donner l’expression».
C’est sans doute en raison de ce caractère vivant que son reportage a servi de source aux 3 pages (illustrées d’une photo de Ch. Stroh) qu’Anatole Jakovsky a consacré à Franc Barret dans son livre en allemand Damönen und Wunder.

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