Joël Lorand, tératologue (09.07.2008)
Ah oui, pis aussi, j’voulais vous dire…
Vous m’entendez là malgré le bruit de la mer ? Oui, je sais bien que vous êtes déjà sur la plage, au bar de la plage, au glacier de la plage mais encore deux minutes et je raccroche.
C’est parce que j’ai oublié de vous parler des œuvres savamment vertigineuses de Joël Lorand. Elles ont fait tilt dans ma p’tite tête de piaf lors de mon séjour dans les hauteurs de la Halle Saint-Pierre. Ces dessins s’ordonnent selon un principe d’auto-engendrement monstrueux.
D’ordinaire, je me méfie des proliférations expérimentales et de nature tératologique (merci monsieur Petit Robert, ça c’est du dictionnaire !). C’est un procédé trop en usage chez ce qu’on appelle les «Singuliers de l’art» qui avec le temps se sont refilés les mêmes ficelles «anti-académiques».
On commence par une tache, on la modifie en crevette, elle donne naissance à un légume qui mord la queue à un souvenir de Victor Brauner (les souvenirs reviennent très vite), à une forme molle qu’on cherche laborieusement à rendre inquiétante et ainsi de suite. Tout cela, mal venu, sans nécessité directrice intérieure, en se fiant seulement à un pâle automatisme de surface, finit par remplir un espace suffisant pour qu’on puisse faire croire qu’on a réalisé, non des dessins de téléphone, mais un tableau. Tout ça part en sucette parce que la composition dans le fond fait défaut.
Tel n’est pas le cas chez Joël Lorand. La vertu principale de ses œuvres c’est précisément leur structuration. La virtuosité avec laquelle il interpénètre des éléments de toute nature ne le conduit jamais à la dispersion du sens. C’est terrible, menaçant et vibrionnaire mais toujours architecturé avec un souci de lisibilité qui soumet des détails à d’autres et rassemble, comme dans un kaléidoscope, l’image menacée d’éclatement.
Ce n’est pas sans références également. Encore sont-elles dominées et feutrées. On peut être gêné par ce côté trop charpenté, presque classique des dessins de Lorand. Il reste qu’il est efficace et que s’il ne relève pas de l’art brut, il ne lui tourne pas le dos pour autant.
Mais j’entends que vous baillez, qu’on vous invite au bain. Alors je vous fais un bisou, non sans vous glisser dans le tuyau de l’oreillette que Joël Lorand expose cet été et jusqu’au 7 septembre 2008 au Musée de la Création Franche à Bègles.
05:17 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : joël lorand | | Imprimer | | |
Commentaires
Je cherchais des images de Lorand ("parce que les souvenirs reviennent vite"), et je lis le reste (
on commence par une tache, on la modifie etc,..une forme molle qu’on cherche laborieusement à rendre inquiétante et ainsi de suite. Tout cela, mal venu, sans nécessité directrice intérieure..
Je veux bien passer sur la connaissance possible que vous ayez des nécessités intérieures des autres (tout de même..), mais si vous saviez à quel point il est difficile et laborieux, bien au contraire, de calmer, d'apaiser, d'adoucir, voire de transcender ces éternelles horreurs qui surgissent incessamment ...
Écrit par : Valérie | 10.11.2010