Le mammuth et la fée (13.05.2010)
Faire des films «à la manière de l'art brut» : beau programme! Gus Kervern et Benoît Delépine y croient. Le duo grolandais, réalisateur de ce Mammuth qui pétarade si printanièrement sur nos écrans ne perd pas une occasion de dire, combien il n'en a rien à battre de la perfection. Gustave et Benoît lui préfèrent la vie et ils ont bien raison. La vie, quitte à semer gentiment sa zone.
Comme le dit G.K. dans un entretien avec Pierre Daudin : «Je n'aime pas que les films soient trop parfaits, quand le décorateur a tout bien fait. Ca me donne envie de casser quelque chose (...)». Faisons comme lui et brisons tout de suite un peu de la couronne de lauriers que je m'apprêtais, après beaucoup, à tresser sur les têtes hirsutes des deux réalisateurs du film mammuthique que -soit dit en passant- j'ai vu dans un MK2 plein de bobos chauves qui mangeaient des esquimaux.
La vie, ça a l'air simple. C'est tout entier dans ce genre de détail qui en dit long sans avoir besoin de démontrer quoi que ce soit. Le contraire de l'écoeurante pédagogie gouvernementale, la vie : un animal timide, sauvage et frémissant. Certes, l'art brut ne se limite pas à l'absence de fignolage. Et la fréquentation des studios de télé n'autorise guère Kervern et Delépine à se prétendre «étrangers aux milieux artistiques professionnels».
Il se peut même que leurs sketches ne soient pas toujours «fortement inventifs» (pour causer comme Dubuffet). Il n'en demeure pas moins que les deux responsables de Mammuth, parviennent à le faire manger dans notre main, cet animal vital.
Avec leur histoire de retraité motard qui aime son épouse mais ne le lui dit pas, qui se projette le fantôme d'un amour mort (Isabelle Adjani) sur l'écran noir de ses nuits blanches, qui croise des cons et des malfaisants qui le prennent pour un bon à baiser dans une France pourrie où les rapports sociaux sont ravagés par une maladie à visage d'hydre économique et financière, ils nous émeuvent et ils nous attristent, nous désespèrent et nous requinquent avec leur casting d'enfer. D'abord parce qu'il y a Yolande Moreau encore toute auréolée du pollen de Séraphine. Et ensuite parce que Serge Pilardosse, le retraité «géant à l'extérieur, tout doux à l'intérieur» rencontre une nièce qui s'avère être une fée.
Une fée qu' on n'embauche pas parce qu'elle rédige son C.V. sur du papier-cul avec le sang de ses règles. Une fée avec laquelle Pilardosse découvre que «c'est bon, rien faire aussi». La fée c'est Miss Ming, une tête à aimer les fraises tagada, une élocution ralentie qui décale tout, un comportement si aveuglément poétique qu'il remet à lui seul le monde sur ces vrais rails : bonheur, tendresse, nonchalance. Même un monstre sacré comme Gérard Depardieu retrouve la spontanéité de sa jeunesse valseuse quand Miss Ming lui attrape délicatement le nez.
Miss Ming (Solange dans le film) habite un pavillon dont les abords ressemblent à chez Chomo. C'est à Lucas Braastad, un artiste du Musée d'Art Contemporain Inutile d'Angoulême que Gus et Ben ont emprunté les œuvres accumulées là.
Les deux réalisateurs aiment bien ce lieu qu'ils appellent «le musée de l'art brut». Au point d'y avoir donné des interviews pour leur promo. Ecoutez-les mais filez d'abord voir le film car, mieux qu'aucun court ou long métrage documentaire, cette œuvre de fiction nous en apprend beaucoup sur l'art brut en tant qu'il se confond avec la pulsation de la vie elle-même.
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