Un geste pour Gabriel Albert (15.05.2011)
C’est le genre de bouquin qu’on feuillette de retour de la plage, à la Maison de la presse, où on s’est isolée pour échapper à sa marmaille qui s’envoie des doubles cornets fraise-pistache au glacier du coin.
C’est aussi un bel album photos qui dans quelques années d’ici, quand le jardin de Gabriel Albert sera retourné au néant, témoignera de cette œuvre majeure d’un des plus talentueux «habitants-paysagistes» de notre pays, trop pauvre pour préserver de telles merveilles mais assez riche encore pour financer des publications qui en donnent l’illusion.
Tout est fait pour qu’il atterrisse sur la table de nos charmants gîtes ruraux du sud-ouest. Pas trop grand, pas trop lourd, couverture qui en jette sans plus. Même le prix est light : 18 €. A feuilleter comme une revue. Mais avec du texte informé et compétent, qui ne prend pas la tête, tant il privilégie les phrases courtes.
Ajoutés à cela, des plans, des cartes, des vues aériennes pour ceux qui aiment. Quelques repros de documents anciens. Tout pour plaire par conséquent! Aussi je ne saurais trop vous harceler pour que vous vous le procuriez avant qu’il s’épuise comme les petits pains de ma boulangère.
D’où vient cependant que votre petite âme errante soit un chouïa sur la réserve avec ce livre? Certes, ça l’agace que ces 104 pages soient baignées dans une flaque indélébile de lumière saintongeaise. Que les ciels limpides dominent. On dirait qu’il ne pleut jamais à Nantillé. Qu’il ne fait jamais moche Chez Audebert. Que c’est l’éternel été dans ce produit trop visiblement destiné à un public d’estivants.
Mais là n’est pas le problème. Ce qui lui pose question à la PAE, c’est ce dénombrement descriptif hyper-minutieux qui forme la majeure partie du volume. Non seulement le jardin du Gaby y a été passé au peigne fin mais il y est découpé en tranches d’andouille vendéenne. Le Jardin de Gabriel de Geste éditions y passe en revue les diverses statues en les incorporant dans des catégories d’un prosaïsme tellement élémentaire qu’il ruine le mystérieux effet d’ensemble pourtant souligné par le sous-titre : L’univers poétique d’un créateur saintongeais. L’introduction a beau insister davantage sur la ronde des relations, entretenues par les statues au sein des groupes qu’elles forment, c’est cet «inventaire» qui constitue le cœur du livre pour ses concepteurs. Toute la maquette est faite pour en faciliter l’accessibilité. Cela ne manquera pas d’inviter les visiteurs du jardin de Gabriel à se livrer à l’inepte petit jeu de reconnaissance par lequel la culture touristique désamorce n’importe quelle œuvre d’art. «C’est qui, tante Ani, ce monsieur à la pipe?» - «C’est Georges Brassens, mon enfant!».
Bien sûr, je suis pas idiote, je comprends bien qu’on a voulu faire d’une pierre deux coups. Que cette opération de rationalisation, qui traite les processus de création sur le modèle industriel de simples transformations de matières premières, n’a été mené que dans le souci de favoriser la protection des pouvoirs publics. Mais du train où vont les choses, c’est précisément où le bât blesse.
Il n’est qu’à lire la dernière phrase de la première partie de ce livre: «Saurons-nous le préserver et le valoriser?» ou celles qui terminent l’avant-propos de la Présidente de la Région Poitou-Charentes qui figure sur le rabat de la couverture : «Ce beau livre donne à voir la profusion créatrice de Gabriel Albert (…). J’espère de tout cœur qu’il incitera les autorités compétentes à lui accorder la protection juridique qu’elle mérite (…)» pour comprendre qu’on se contente de vœux pieux.
Et ce n’est pas le récent arrêté de protection au titre du patrimoine qui changera quelque chose à ce sentiment. Car le temps que les choses bougent, les carottes seront cuites pour Gabriel Albert.
Mais je ne demande qu’à me tromper.
20:56 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : gabriel albert, jardin de gabriel | | Imprimer | | |
Commentaires
La "protection" de l'état permet au moins d'éviter un écrasement sans ménagement du JdG... ou son déplacement par morceaux qui a été avancé il y a plusieurs mois... Des travaux minimalistes vont être initiés en matière de protection contre le vol et les dépradations... Tout cela est bien dérisoire aux yeux de qui souhaiterait davantage observer un jardin ruiniforme en constante "ruinification".
Ici, c'est la voie de la "patrimonialisation" qui a été choisie avec ses checks-up obligés : inventaire pièce à pièce etc... les préposés s'y sont collés plutôt les jours de beau temps... et la "lumière saintongeaise" aura mieux servi les chargés de mission que les œuvres elles-mêmes.
Quant à la rhétorique comme en ce qui concerne les choix éditoriaux, le mythe du "grand public" gouverne en la matière.
Aux esthètes, aux chercheurs, ethnologues, historiens d'art et autres, libre à eux, dans le secret de leurs cabinets et dans la confidentialité de leurs supports éditoriaux de donner sens, de faire montre d'audaces interprétatives pour approcher les ressorts de la créativité, la psychologie profonde de l'artiste au travers de son œuvre, si décriée dans son environnement immédiat qui ne brille pas des mille feux de la luminosité saintongeaise...
L'inventaire tant attendu est là, dans sa simplicité primaire; le géopositionnement a été soigneusement réalisé; l'ouvrage a dépassé le stade du flyer, les édiles de premier rang s'émeuvent, les pouvoirs publics, au terme de plus de vingt ans de sollicitations par votre serviteur et quelques autres personnes sont "passées à l'acte"... tout cela m'avait été demandé par Gabriel Albert lui-même. Je m'estime désormais dédouané, laissant le temps au temps, le pouvoir à ceux qui l'ont conquis, l'art aux artistes et critiques ; aux bonnes volontés locales et régionales de faire vivre ou de laisser dépérir cette œuvre insolite et tout de même assez unique...
Chère Ani, je ne me mettrai pas martel en tête, ni celle-ci sous la cendre... les jeunes rédacteurs ont fait de leur mieux en s'appuyant sur le verbatim, sur divers témoignages, sur des articles éclairés que je ne citerai pas ici... , parfois nimbés de leur lumière ambrée, celle du temps, non plus celle de la Saintonge séculière.
Écrit par : Michel Valière | 20.05.2011
@ Michel Valière
Vous savez bien qu'Animula est une râleuse!
Il faut toujours qu'elle exagère. C'est son genre de beauté. Vous n'avez qu'à relire son "à propos".
Tout de même à propos du "verbatim", on comprend mal pourquoi Geste Editions n'a pas cru utile de joindre un CD à son livre.
C'est si rare qu'on dispose d'un entretien enregistré entre un "habitant-paysagiste" et un ethnologue!
Cela aurait permis de montrer à l'oeuvre une méthode d'approche à l'écoute de l'homme et de sa création.
Respectueuse de son discours, c'est-à-dire capable de pas lui en prêter un.
jean-louis lanoux
Écrit par : jean-louis lanoux | 04.06.2011
@ J.-L L
Tiens tiens, vous ici, chez la râleuse Ani ? Les idées ne manquent pas, mais vous, que je sais dans le monde du livre plus que de l'audio-visuel, devriez savoir que l'auteur qui n'a pas été publié à 150 000 exemplaires au moins ne compte pour pas grand chose dans l'édition :
"Contentez-vous de chercher et d'écrire, et laissez-nous le métier d'éditeur et de diffuseur..."
Et si en plus il fallait etc...
Pour l'instant les premiers objectifs fixés sont atteints. La suite s'inscrira dans une autre vie, certainement pas la mienne !
Tiens, je viens de perdre 10 kilos en un mois de jeûne diététicien... il en reste encore, à ce rythme, pour 12 mois, 7 !
Écrit par : Michel Valière | 06.06.2011