Elephant tweet (28.07.2011)
C’est les vacances. Plus rien à la téloche. J’en profite pour visionner mes DVD en retard. Bricoleurs de paradis, celui de Rémy Ricordeau. 52 mn. «Ce film est une dérive en quête d’environnements insolites d’art populaire» nous dit la présentation. Dérive, ça me rappelle un truc. J’aime bien. La musique de Jean-Christophe Onno (accordéon diatonique et scie?) aussi.
J’aime moins le côté téléphoné des questions de l’interviouveur qui va jusqu’à traduire ce qu’on lui dit pour l’accommoder à sa sauce. «On est saisi de partout!» devient ainsi : «Y’a pas de liberté». Peu d’écoute, peu de tact.
On passe allégremment sur les scrupules de Madame Taugoudeau qui a honte de montrer le jardin de son mari envahi par les ronces. On insiste pour fureter derrière la maison de M. Pailloux qui n’y tient guère. Le contraire d’un travail d’ethnologue. Une curiosité réelle mais gauchie par des idées préconçues.
Les créateurs sentent qu’on veut leur faire dire quelque chose. Ils se défilent. Avec précaution : «j’vois pas où vous vous voulez en venir…» (André Gourlet) ou avec netteté : «on fait ce qu’on veut dans son jardin!» (Yvette Darcel). Le résultat est le même. L’impression d’un étrange malentendu.
C’est pourquoi il faut approuver Rémy Ricordeau d’avoir engagé Bruno Montpied comme acteur. La confrontation de celui-ci avec un habitant-paysagiste a quelque chose de surréaliste et de pittoresque à la fois. Le naïf dans l’affaire n’est pas celui qu’on croit. La confrontation des autodidactes de l’art avec le dilettante de l’entretien filmé, c’est son angle à Ricordeau.
Et cet angle a l’avantage cinématographique de lui permettre de belles prises de vue sans que les créateurs donnent l’impression d’être scotchés à leur création. L’énergie que ceux-ci doivent déployer pour se garer des gros sabots de leur interrogateur leur fait oublier la caméra. Plus spontané nous apparaît, grâce à ce film, leur lien avec leurs œuvres. C’est particulièrement vrai pour André Pailloux dont la gentillesse et le ludisme cinétique, sont le clou de ce spectacle bienencontreusement sous-titré, selon le mot du sculpteur-paysagiste Alexis Le Breton, Le Gazouillis des éléphants.
Le livre de B. Montpied qui accompagne ce DVD s’intitule lui : Eloge des jardins anarchiques. On me dira que rien n’est plus ordonné que ces jardins là. On me dira que très peu de ces créateurs à l’état brut se réclament d’une doctrine politique -certes estimable- à laquelle l’auteur se plait à professer inclination à tout bout de champ.
Moi, je ne dirai rien. Je me contenterai de faire référence à la vigoureuse campagne d’auto-promotion développée par B.M. sur son blogue à propos de ce recueil d’articles fort documentés (pour beaucoup déjà publiés dans le passé et remaniés ici pour l’occasion).
Voir les notes du 15 mars 2011, 19 mars 2011, 20, 22, 26 et 30 mars 2011 ; 9 avril 2011 ; 1er mai, 3 mai, 22 mai 2011 ; 5 et 26 juin 2011 ; 14 juillet, 21 juillet 2011
A charge pour son éditeur d’en apprécier les effets.
22:10 | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : art brut, environnements populaires spontanés, rémy ricordeau, bruno montpied | | Imprimer | | |
Commentaires
Bonsoir Miss Ani,
Ce n'est pas un film d'ethnologue, c'est vrai ; l'ethnologue bricole plutôt dans la confidence et essaie de ne pas perturber le milieu où il opère (principe dit d'Heisenberg), mais ceci n'est à peu près qu'un vœu pieux.
Le film, riche de belles images, oscille entre journalisme, ethnographie, et découverte de curiosités et merveilles. Une errance qui donne cependant l'occasion de rencontrer quelques grandes figures qu'en tant qu'ethnologue du côté de la Vendée j'aurais bien aimé rencontrer moi-même auparavant...
Mais en chacun de nous sommeille une âme d'enfant et j'avoue que pour le seul émerveillement des quelques mots de Monsieur Pailloux, de sa bicyclette enchantée et de ses cercles en mouvement, avec madame Michèle, nous avons regardé par deux fois dans la foulée ce film, le souffle coupé et suspendu dans l'attente des mots trop rares mais si justes du créateur André Pailloux...
La silhouette hichckoquienne de B., l'homme au chapeau dit "nid d'ajace", nous amène de gré de force, à arpenter des lieux inconnus du spectateur moyen dont nous relevons... Apparemment il ne s'est pas fait jeter dehors, mais je vais tout de même lui conseiller de relire de Michel Leiris, l'Afrique fantôme, et quelques bonnes pages des époux Panoff.
Vous êtes sévère pour Ricordeau & Co, Miss Ani, qui de plus est, cruelle, drapée à l'antique, telle une tragédienne le visage voilé sous le masque de la tragi-comédie, les pieds chaussés de ses Kothornoi. Et sous le masque, la voix porte si loin, si fort...
Prendriez-vous par hasard votre pied à faire vaciller l'unique du Sciapode ?
Écrit par : Michel Valière | 29.07.2011
@ Michel Valière
J'aurai au moins eu le mérite de res-susciter votre verve que vous laissez hélas trop en friche sur votre blogue.
Écrit par : Ani | 29.07.2011
Cruelle, je vous dis ! Si le blog souffre ou plutôt reste en souffrance, c'est qu'imaginé un peu, beaucoup, grâce à Animula, en 2006, il s'est ancré dans le Jardin de Belvert, qui n'est plus. passé en d'autres mains, il s'est mis en rang d'oignons et de poireaux comme il sied dans une cité pavillonnaire laborieuse. Les Pilotes, eux, sont partis à la dérive et ont beaucoup à faire entre précarité de santé, installation de nouveaux murs, travaux en tous genres, et observation du terrain occupé surtout par de grandes enseignes aux néons bleu ou rouge, parcouru par des milliers de voitures, et camionnettes d'artisans, et rythmé par des décollages de coucous ou de voltigeurs aériens dont on se demande à quel moment ils vont finir au milieu de nos merles, poiriers, cerisiers, jasmin ou coquet arbisia à la crête enduvetée... Les passants, jogguent, les livreurs ouvrent grand leurs hayons, les pépères vont porter leurs pluches aux gallinacées de la voisine plus qu'octogénaire, et le voisin du fond égorge gaillardement ses cunnins... Je vous le dis, il ne se passe rien dans ce coin que je n'ose renommer Belvert... Inspirez-moi, sur mon bord de route, chère Ani, dois-je refondre le site, le peindre en châtaigneraie limousine, en bleu de Limoges, en dorure de bord d'assiette, en émail champlevé, en pâte à papier ou en taps de feutre? peut-être en gants de luxe, ou en peaux de bêtes à tanner, qui sait... Vous voyez la métamorphose ne s'est pas faite que traduit la friche belvertienne. Que voulez-vous, je ne suis ni poète, ni découvreur de merveilles, ni magicien, juste un patient.
Merci tout de même, Chère Ani, de m'offrir votre si enviée et si précieuse tribune. Uti, non abuti !
Écrit par : Michel Valière | 29.07.2011
Monsieur,
En tant que réalisateur du film, je me permets de réagir à votre notule. Si j'ai bien compris que vous ne portiez pas particulièrement Bruno Montpied dans votre coeur, ce qui est bien sûr votre droit que je ne discute pas, les critiques que vous émettez quant à son comportement dans le film mettent par contre en cause l'éthique de ma démarche en tant que réalisateur. Vous sous entendez en effet que le film aurait en quelque sorte violé les scrupules de Mme Taugourdeau et fureté chez Mr Pailloux là où il ne tenait pas à être filmé. Sans rentrer dans les détails des conditions du tournage, je vous répondrais simplement que rien n'est plus faux dans l'un et l'autre cas. J'aurais très bien pu supprimer ces séquences au montage pour lever tout doute à ce sujet, ce que beaucoup de documentaristes auraient certainement fait, mais elles me semblaient précisément signifiantes au regard du rapport que les créateurs et leur descendance entretiennent avec ces environnements, ce qui était entre autre le sujet du film. Mon projet n'était ni de faire un film d'art ni un film ethnographique, mais plutôt de faire un film social sur un aspect particulier de la créativité populaire, approche qui était curieusement jusqu'à présent presque inexistante dans ce qui a pu être produit concernant ce sujet. Aussi, si le traitement relève d'une sensibilité politique que j'assume parce qu'elle est la mienne et qu'elle était contingente à l'idée de ce film, aucune idée préconçue ne vient cependant faire tenir des propos à ces créateurs qu'ils n'auraient pas pensée par eux-mêmes.
Cordialement
Écrit par : Rémy Ricordeau | 01.08.2011
@ Rémy Ricordeau
Merci de votre intervention éclairante et courtoise.
Elle donnera envie aux lecteurs qui ne le connaissent pas encore de voir votre film, ce dont je me félicite car je porte à celui-ci estime.
Même si le cadre étroit d'une "notule" ne m'a pas permis de montrer assez mon intérêt, selon vous.
Laissons de côté la "sensibilité politique" qui ne nous divise guère.
Elle se manifeste surtout par la voix off dans l'intervalle des séquences.
Je crois quant à moi qu'il n'est pas indispensable de faire référence, devant un "inspiré du bord des routes" aux roto-reliefs et à Marcel Duchamp (l'inverse serait plus drôle).
Comme je ne suis pas complètement idiote, j'ai bien compris que c'est à dessein que vous avez conservé cependant ce type de séquences.
Et je vous approuve pour cela.
Je maintiens que vous avez su faire oublier la caméra aux "créateurs" (bravo d'utiliser ce beau nom) et que la confrontation du "personnage" de Bruno avec eux y est pour quelque chose.
Pardonnez-moi d'être obstinée mais notez, s.v.p., que je vous offre là un retour que ne vous offriront pas les critiques de la presse écrite.
Concernant mon "coeur", je vous dirai que ce n'est pas Bruno Montpied lui-même que je ne porte pas dedans mais bien ses méthodes médiatiques harcelantes.
Prenez le temps de suivre le lien que j'incite à suivre sur son blogue.
Vous le verrez intimer comminatoirement à divers blogues, dont le mien, de parler de son livre. Me privant ainsi de la possibilité réelle de le faire.
Pensez-vous que ce genre de caprice ne nuise pas à la promotion de votre travail commun?
Les mérites de BM sont suffisamment connus pour qu'il soit superflu de les célébrer OBLIGATOIREMENT.
Vous qui, avec raison, êtes chatouilleux sur l'éthique, quelque chose me dit que vous comprenez mieux mes raisons.
Meilleures salutations d'Ani
Écrit par : ani | 03.08.2011
Madame Ani,
Merci pour votre réponse.
J'entends bien votre critique sur la référence par exemple à Marcel Duchamp dans le dialogue avec Mr Pailloux. Vous auriez pu ajouter aussi dans ce même registre la liste des appellations proposées par BM qui peuvent être attribuées à ses créations et à laquelle Mr Pailloux répond malicieusement qu'elles lui semblent simplement "originales". D'autres séquences encore dans le film peuvent donner cette impression que l'interviewer est déplacé voire un peu lourd ou un tantinet pédant face à des créateurs culturellement ignorants "des choses de l'art". Votre remarque me donne donc l'occasion de préciser ce qui mérite peut être de l'être: si le film avait pour objet de rendre sensible le sujet qu'il traite, il avait également celle de faire apparaître en creux à défaut de pouvoir être clairement verbalisé par les créateurs eux-mêmes, les motivations qui les animent, les références ou plutôt l'absence de références qui sont les leurs, bref, le back ground social et culturel qui les caractérise. Dans le film, BM avait donc ce rôle de révélateur de ce qui ne pouvait pas être d'emblée exprimé. Le choix d'un passeur présent à l'écran s'est ainsi imposé au cours des repérages, face au constat de l'impossibilité de mener des interview plus classiques, les réponses étant en elles-mêmes souvent décevantes (pour l'essentiel, la plupart de ces créateurs sont assez taiseux sur leur activité comme le montre, je pense, assez bien le film, et il était important de le faire sentir). Ce rôle de passeur est donc assez ingrat par certains aspects qu'il implique. BM a accepté de jouer ce rôle qui n'était pas prévu à l'origine. Je conçois qu'il puisse peut être agacer certains spectateurs par son insistance dans quelques uns des dialogues, mais c'était le rôle que je lui avais demandé de tenir (et contre lequel il s'est d'ailleurs quelquefois rebellé au cours du tournage, me reprochant de lui demander de reposer plusieurs fois les mêmes questions..) Je pense que le côté vivant des créateurs qui ressort dans le film était à ce prix (un tournage de film n'est pas une simple rencontre filmée au débotté) et qu'à ce titre le film doit beaucoup à Bruno par sa participation active (et patiente) au tournage. Voilà, je crois que cela méritait d'être précisé.
Pour le reste, ce que vous appelez "ses méthodes médiatiques harcelantes", je les perçois plutôt comme une déception, peut être un peu rageuse, à l'égard du silence, un mois et demi après la parution de son livre, sur les blogs et sites consacrés à l'art brut et à l'art singulier. Quant à savoir si ça va nuire à la promotion de notre travail commun, je n'en sais rien. Ce que je sais c'est que le silence est plus nuisible encore.
Bien cordialement
Écrit par : Rémy Ricordeau | 04.08.2011
@ Rémy Ricordeau
Des victimes de harceleurs, il n'est pas rare qu'on dise qu'elles n'avaient qu'à ne pas les provoquer. Faible argument!
Vous cherchez des excuses au comportement médiatique inacceptable de votre acteur-passeur.
C'est amical mais insuffisant.
Il mérite mieux que cela.
Vous pourriez lui suggérer de renoncer à ses manières d'enfant gâté incapable de supporter le moindre délai rencontré dans la satisfaction de ses volontés arbitraires et impérieuses.
Le débat nécessaire à propos de votre film y gagnerait de n'être pas pollué par des remarques relatives au savoir-vivre c'est à dire au savoir-penser.
Sans rancune et avec considération.
Ani
Écrit par : Ani | 06.08.2011
@ Michel et Michèle Valière
Ce petit souvenir de vacances pour vous dire que ce qu'il y a de bien avec Belvert c'est qu'il n'existe pas.
C'est un lieu mythique.
Le lieu de la jouissance spirituelle. Comme le jardin du Roman de la rose.
Aussi ne saurait-il dépendre d'une quelconque contingence gençayniste.
Donc, en avant pour Belvert 2e saison!
Vous l'avez d'ailleurs inaugurée ici même, plus haut.
L'histoire retiendra que c'est encore sur Animula Vagula - la mère des blogues - que vous aurez (re)commencé.
Bien à vous.
Écrit par : Catherine et moi | 08.08.2011
Chère Ani & Cie
Voui Ani ! nous avons délaissé le "jardin extraordinaire"... (salut, Charles !) mais retrouvé toutefois quelques arbres moussus, quelques feuilles frivoles, quelques fruits habités, quelques bruits épatants, un nouvel écureuil privé de ses noisettes, des poules ocres et baladeuses, des palombes grassouillettes et des vols et virevoltes d'hirondelles...
Voilà campé sur l'ongle le cadre d'où rêver à l'envol de la coccinelle, à l'éther du monde, au bleu de l'ozone, à la légèreté de l'être, à la part des anges...
Oui, merci chère Ani de ce nouveau don de souffle baptismal, lustral à l'envi, pour un nouveau départ... Mais les lieux inspirent aussi : l'âme de Corot est passée sur la Glane comme sur la ville où sa Muse nue, bien campée au mitan d'un "round about" fait tourner la tête aux têtes-en-l'air etc...
Bref, va falloir si nous vous en croyons, commencer par le commencement : "Il était une fois une panthère à cinq pattes..." (là, les doux Ani, va falloir bien chercher et envoyer vos limiers in situ, si vous voulez un scoop... avant qui vous savez... Chez Belvert, plutôt erratiques, nous ne courons pas les ... Bref.)
Merci encore et bonne navigation donc avec BELVERT II, alors.
Écrit par : Michel Valière | 09.08.2011