Les photoportraits crépusculaires de Marie-France (24.09.2012)
Je parle sans savoir n’ayant pas vu de visu. Pourtant quelque chose m’intrigue dans le catalogue de l’exposition bèglaise Visions et Créations dissidentes dont le vernissage tombe cette année le samedi 29 septembre. Ce sont les photos de Marie-France Lacarce.
En ces temps où l’on cherche dans la photographie un moyen d’hypothétiques rencontres entre l’art brut pure laine et ses succédanés plus ou moins «contemporains», il se pourrait bien que cette créatrice de portraits chamarrés, surgis tout décalés de la nuit, ouvre une nouvelle piste funambulique.
J’ai cherché vainement sur le site du Musée de la Création Franche les détails biographiques qui pourraient permettre de statuer sur l’étrange «cas» de Marie-France Lacarce. Dans le catalogue, la notice de Pascal Rigeade nous en dit plus : Bordelaise, autodidacte de son art, retraite, solitude, méticulosité, goût du rangement. De quoi déduire un bon pronostic. Sans que cela suffise. Mais il y a le dangereux mystère de ces autoportraits auxquels cette novice de l’objectif a eu l’instinct très sûr de se cantonner.
«Ils s’affranchissent du photoréalisme et réinsèrent dans l’image les infinies possibilités de l’imaginaire», nous dit Pascal Rigeade. J’aurais même envie de dire qu’ils communiquent avec un plan plus abyssal qui déchire et qui fout la trouille. Sans en passer pour cela par la magie professionnelle qu’on sent à l’œuvre dans maints clichés surréalistes. Leur vénéneuse beauté plastique les inclinerait plutôt vers la peinture, celle empreinte d’un expressionnisme du malaise à la Fred Bedarride, par exemple.
J’arrête là mon délire. Ce qui me paraît bon signe chez Lacarce c’est que pour parvenir à ce résultat qui la fait naturellement pencher du bon côté (celui des forces intimistes et non celui du spectacle grand angle) elle invente ses propres procédés à partir des techniques proposées par la technologie contemporaine. Pascal Rigeade ne nous dit pas lesquels. Les connaît-il ?
On apprend simplement que Marie-France se sert de l’appareil de Madame Tout-le-Monde : un Kodak Easy Share C433, qu’elle a dû, comme vous et moi, se «débrouiller» avec le mode d’emploi pas des plus évidents. Qu’elle travaille au crépuscule, non en studio mais dans son «petit appartement».
La suite a tendance à me laisser sur ma faim : «Devant l’objectif, l’espace dans lequel elle se meut, proche de la transe; un presque vide qu’elle remplit du bricolage minutieux d’objets divers(…)». On aimerait en savoir plus tant ce visage, plusieurs fois décliné, nous arrive mis à nu et nimbé de noirceur, arraché au rêve et à la chair.
A quelle panoplie, à quels accessoires, à quel maquillage, à quels bidouillages sur des logiciels de retouches sont dues ces images non pareilles ? Je l’ignore mais, après tout, c’est très bien comme ça.
00:05 | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : marie-france lacarce, création franche, autoportraits, photographie, créateurs contemporains, kodak easy share c433 | | Imprimer | | |
Commentaires
N'en déplaise à Ani, je ne vois dans cette "nouvelle piste" qu'une version photographique du néo-expressionnisme cher à toute une légion de singuliers. Bref, une façon de se rassurer sur la forme dans laquelle on se plaît souvent à enfermer l'art brut, rechignant à admettre que, oui, parfois, cela ressemble aussi à de l'art contemporain ; même si, dans ce cas, comme le Canada Dry ...
Ce qui ne signifie pas que les productions de Mme Lacarce soient sans intérêt, au contraire. Mais de là à émettre un pronostic (de quoi, d'ailleurs, de sa "brutitude" ?) lorsqu'on ne sait rien (ou presque) d'elle. Tapiès et Ernst aussi étaient autodidactes et avaient peut-être un goût immodéré pour le rangement. Cela leur décernerait-il un certificat de "bruts" ?
On nage dans les fantasmes et je déplore que l'on soit dans les "dérives" plutôt que dans les "rives". Un peu de hardiesse que diable ! Papa Dubuffet n'est plus là pour froncer les sourcils lorsqu'on s'aventure à exercer son droit d'inventaire sur sa vision partiale (donc partielle) de l'art brut. Évidemment, ça ébranle un peu les certitudes sur les catégories formelles prétendues des différents champs, bruts et/ou contemporains.
Mais comme l'écrivait Rostand (fils) : "certitude, servitude"
Écrit par : Christian Berst | 24.09.2012
Etranges visions hypnotiques où s'entremêlent luminosités et noirceurs.Peintures, néo-pictorialisme?
Quoiqu'il en soit, par le biais de ses autoportraits d'une puissante morbidité, l'artiste nous offre une impudique et magnifique révélation de son âme.
Écrit par : V B | 25.09.2012
@ Christian Berst
Il n'y a que vous pour lire Jean Rostand!
En matière de grenouillages philosophiques, je préfère Jean-Pierre Brisset.
On se sent, à vous lire, comme Philippe le Hardi aux côtés de Jean le Bon: "Père, gardez-vous à gauche" (de la légion des Singuliers), "Père, gardez-vous à droite" (du diabolisme de l'art contemporain).
Mais laissons-là les fils et les papas et le Canada Dry, idéal pour nous gâter le palais.
Si j'étais méchante, je ferais remarquer que vous vous félicitez, somme toute, de n'être certain de rien.
Mais comme je suis gentille, je souligne plutôt que les rapprochements qui vous viennent à propos de Marie-France Lacarce (Antoni Tapiès, Max Ernst) ne sont pas les pires.
Ceci dit pour m'exprimer dans ma note animulienne.
Mais j'admets que votre commentaire mérite mieux.
Écrit par : Ani la hardie | 29.09.2012
Chère Ani,
Même à retardement, vous êtes drôle - comme souvent me direz-vous - et savez mettre les rieurs de votre côté, ce qui est certes une habile façon d'éviter d'aborder les vraies questions.
Quant à mon humilité et mon absence de certitude, d'une part elles me permettent de ne pas risquer la sclérose de la pensée et me préservent au moins des postures dogmatiques qui prévalent depuis trop longtemps et empêchent d'envisager sous un nouveau jour les problématiques posées par l'art brut.
Mais bon, je n'ai à vous convaincre de rien, d'ailleurs y réussirai-je ? Je vous invite plutôt, comme je le fais pour les tenants de l'art contemporain, à vous autoriser à penser plus librement. En d'autres termes : à vous débarrasser des préjugés et, s'il le faut, même, à vous forger de nouveaux outils, peut-être plus adaptés pour vous attaquer à ce chantier.
Votre intelligence mérite mieux, ne la gâchez pas.
Écrit par : Christian Berst | 01.10.2012
On ne va pas se disputer!! ça empêche de regarder les œuvres....
Et celle ci qui peut évoquer tant de "grands" (pourquoi pas Bacon aussi?) a tout de même un écho plus spécifique: l'impudeur en effet d'une chair écorchée nous laisse aux prises avec des "sensations" venues d'un réel habituellement inaccessible car il suppose une effraction du corps "insupportable". Le travail sur la pellicule qui se donne à voir ne prend-il pas la place de cette effraction terrifiante (supposée) de la peau? Un "travail" qui n'aurait plus grand chose à faire avec une démarche esthétique.
Écrit par : Béatrice Steiner | 02.10.2012