08.04.2015
Pol Jean encadré
Pol Jean on ne sait pas où le mettre. A Pol, à Jean? On l’ignore. C’est comme Gabriel Albert (au fait que devient-il celui-là ?). Allez vous y retrouver avec ces patronymes composés de deux prénoms! Et pour peu que les créateurs qui les portent exposent simultanément dans deux coins différents, on s’y perd. Mais c’est très bien comme ça quand, par chance, les dits-créateurs ne sont pas faciles à cerner. Ou qu’il faut un chausse-pied pour les faire rentrer de force dans la catégorie artistes.
Pol Jean n’est pas un artiste. Il pourrait être mieux que ça. La preuve? Ses images qui ne se laissent pas univoquément fourrer dans la case de l’Art avec un grand tas. C’est bien qu’on hésite sur la classification d’une œuvre et celle de ce jardinier passionné possède ce pouvoir.
J’avoue que je ne me suis pas sentie très convaincue par le visuel fourni par le Musée de la Création Franche (encore lui) qui expose du 17 avril au 7 juin 2015 les dessins de cet homme souriant qui se passe parfaitement de la parole pour s’exprimer.
Le malaise peut-être de ce masque cynocéphalo-carnavalesque planté sur un corps bourgeonneant ramassé pour bondir au devant du spectateur?
Puis j’ai reçu la nouvelle de l’ouverture de la Deuxième Biennale de l’Art Partagé à Saint-Tojan dans l’île d’Oléron (du 18 avril au 17 mai 2015).
Il faut hélas aller vite et mon regard a glissé sur les reproductions proposées. Non sans s’arrêter sur un drôle de profil rouge enchevêtré à la Dwight McIntosh (Seuls les gens dépourvus d'imagination me diront qu'il s'agit d'Obelix).
«Pas mal, la banane!» ai-je pensé devant la coiffure gaufrée du personnage. Ça m’a donné envie d’en savoir plus. En fouillant dans mon fourbi, j’ai retrouvé cet oiseau au vol lourd qui m’avait fugacement impressionnée quand j’avais mis mon nez naguère dans le catalogue Visions et créations dissidentes de 2011.
Le travail de Pol Jean est encadré maintenant par un Atelier Campagn’art du village de Neufvilles (dans la région de Soignies) exerçant au sein du Centre Fabiola (un nom de reine belge). Un lieu où l’on sait faciliter la vie des personnes attachantes et fragiles comme lui. Il est possible que ça se devine.
Ne serait-ce que dans la profusion des moyens colorés (crayons, feutres, peintures acryliques, craies grasses) mis à la disposition de Pol Jean. Il faudrait vérifier si les anciens dessins de Pol Jean ne se contentaient pas de recettes monochromes.
Car le fait biographique intéressant dans le parcours de cet homme de 63 ans c’est qu’il n’est nullement le produit de l’art-thérapie. Ni même le représentant d’une quelconque activité plastique institutionnelle. Son «art», il se l’est forgé tout seul. C’est une péripétie de santé, mettant brutalement un bémol à son énergique travail horticole, qui permit de découvrir que, dans la discrétion de sa chambre, il se livrait depuis longtemps à une activité de dessinateur solitaire.
01:21 Publié dans De vous zamoi, Expos, Images | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : art brut, art-thérapie, art partagé, création franche, pol jean | | Imprimer | | |
06.08.2014
Côte à côte avec la création franche
Faut pas croire qu’en août tout le monde coince la bulle. A Bègles-sur-mer (ou presque) on s’active. D’abord avec les Côtes ouest, l’expo actuelle qui ira juqu’au 7 septembre 2014. En vis à vis : 8 outsiders du Creativity Explored de San Francisco et 8 créateurs à l’aise dans les basquettes de la Création franche, parmi lesquels des pointures genre Ignacio Carles-Tolrà et Joël Lorand.
M’importe peu qui sont « déficients mentaux » (terme employé dans le catalogue) et qui ne le sont pas. Ce qui compte c’est de juger sur pièces leurs productions. Côté californien, on surfe facile sur James Miles et la fine lame de ses dessins à la pureté d’épure digne d’un inuit.
Collectionneurs mes frères, protégez bien la couverture noire du n°40 de Création Franche (la revue) qui vient de sortir. Elle sera recherchée pour la photo laquée couleurs en première de couv.
Elle est de Marie-France Lacarce, une débusqueuse de rêves dont je vous ai chanté les mérites voilà presque deux ans déjà.
Morceaux de bravoure de cette nouvelle livraison de la revue bèglaise, un article sur Alain Genty et son bestiaire fantastique
et un autre sur Abdelkader Rifi (« J’ai des jardins plein la tête »), un créateur que Madeleine Lommel, qui était presque sa voisine, aimait bien.
Le premier papier, bien documenté, est de Joe Ryczko. Le second, plus dans l’évocation poétique, de Paul Duchein. Avec ce rude et délicat céramiste (Genty) et avec ce maçon de l’imaginaire (Rifi), l’un figure de la Fabuloserie, l’autre protégé de l’Aracine première version, la revue CF place le curseur sur la position
Ça n’empêche pas Gérard Sendrey de nous donner un papier pour expliciter la notion de création franche, ce qui n’était pas indispensable étant donné qu’il l’a fait déjà 36.000 fois.
On retrouve G.S. dans le Hors-Série de la CF (n°1) qui voit le jour parallèlement. Contenant les actes de la Rencontre de novembre 2013 sur Les Fanzines d’art brut et autre prospectus, ce H-S concrétise le bon travail effectué en commun par le CrAB et le Site de la Création Franche.
Son contenu est trop riche pour que je le traite par dessus la jambe ici. Lisez le vite fait !!! Nul doute qu’il soit «un facilitateur en même temps qu’une source fiable et de référence» comme Pascal Rigeade, son maître d’œuvre (avec Déborah Couette) l’écrit dans sa préface.
Seulement, comme il n’est de réussite qui ne mérite d’être prolongée, je chipoterai Gérard Sendrey sur une question de mémoire. Quand il dit que Création Franche a été «au départ envisagée comme un bulletin d’information à l’usage des initiés», j’ai peur qu’il ne révise en baisse et à posteriori les objectifs qui étaient ceux de cette revue à sa création. Je ne parle pas sans savoir. En témoigne le flyer (Impr. par Savignac à Bègles) qui accompagnait le premier numéro de Création franche (octobre 1990).
Extrait
Son texte incitatif montre clairement qu’à l’époque les ambitions de la rédaction dépassaient largement le cadre d’un simple «bulletin» destiné à un public restreint. Que cette ligne radicale ait été très vite (dès le n°3) abandonnée est une autre affaire
20:20 Publié dans art brut, Expos, Gazettes, Parlotes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : art brut, création franche, gérard sendrey, pascal rigeade, crab, déborah couette, fanzines, james miles, marie-france lacarce, abdelkader rifi, alain genty, joe ryczko, paul duchein | | Imprimer | | |
05.04.2014
Le surréalisme à la petite semaine
Voilà que je me suis dis en en jetant un (d’œil) sur le communiqué de presse m’informant un peu tard de la participation du Musée de la Création Franche à la Semaine surréaliste organisée par le Théâtre de la Rencontre à Bordeaux.
Non que je trouve illicite qu’on veuille gratouiller aujourd’hui encore les liens entre surréalisme et art brut mais j’ai sursauté, je l’avoue, en apprenant que dans l’exposition éphémère (du 7 au 12 avril 2014) montée pour l’occasion au Musée de Bègles on notait la présence de Simone Le Carré Galimard parmi des épigones ô combien tardifs du mouvement dirigé par André Breton. Certes SLCG a la réputation d’avoir réalisé des reliquaires (qu’elle appelait plutôt des boîtes) mais s’il suffisait de fabriquer des reliquaires pour être surréaliste alors les carmélites le seraient et réciproquement.
J’ai déjà eu l’occasion de vous toucher deux mots par ci par là à propos de l’œuvre et de la personnalité de cette artiste dont la floraison tardive s’épanouit en bouquet final dans les années 90. Ses assemblages où dominent les plastiques colorés, ses collages à fragmentation d’images de jolis corps féminins nus et parcellisés, ses masques et pantins d’un primitivisme moderne mariant ingénuité et dextérité sont visibles en grand nombre à la Fabuloserie.
Plutôt que la rue Fontaine ou la brasserie Cyrano, c’est l’atelier de Germaine Richier dont elle fut la massière,
c’est La Palette, rue de Seine que Simone Le Carré fréquenta.
Pas plus que de Montaigne et la Boëtie, elle ne fut l’amie de Dali, de Miro, de Ernst ou de Man Ray. Simone fut la confidente de Yolande Fièvre, dans un rapport de proximité avec Jean Paulhan, par ricochet.
Les peintres Jean Criton
qui exposèrent avec Bernard Réquichot
lui furent par ailleurs chers. Ce n’est pas là le premier cercle de famille du surréalisme! Aussi n’est-il pas surprenant que ce fût en se détournant de celui-ci que Simone Le Carré accédât à ce qui fit sa spécificité.
Abandonnant les dessins à la plume et les compositions qu’elle projetait pour une illustration des Chants de Maldoror,
Simone se lança témérairement dans sa voie de corrosion et de conglomération, sa voie de colle irrespirable et de matières fondues, de papiers froissés et de colifichets rescapés de la décharge.
Elle touche ce faisant, par des moyens qui ne doivent pas tout au hasard, à un onirisme de fond, à un gisement structurel intérieur qui se distinguent du petit gibier de l’automatisme de surface dont se contente trop souvent un surréalisme quasi centenaire épris de métaphores littéraires, d’étrangetés séduisantes et de théâtralité des images.
20:23 Publié dans De vous zamoi, Expos | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : simone le carré galimard, création franche, germaine richier, yolande fièvre, jean criton, dominique d'acher, bernard réquichot | | Imprimer | | |
02.11.2013
Journée fanzines à la Création franche
Bordeaux est une ville formidable. On y croise des lamas dans les tramways. Descendez-y donc le samedi 23 novembre 2013 et rendez vous, depuis la gare Saint-Jean, par la ligne C (ou le bus 11) au Musée de la Création Franche dans la très voisine ville de Bègles.
Pas de lamas à Bègles mais je vous promet des CrAB puisque, sous la houlette de Pascal Rigeade, directeur de l’établissement, est organisée une journée de rencontre chapeautée, présentée et en grande partie organisée par Deborah Couette, membre du fameux collectif aux pinces d’or.
Il y aura aussi, parmi les CrAB-Doctors, Céline Delavaux dont je vous ai déjà vanté les mérites. Parmi les autres vedettes, le casting comprend Corinne Barbant, responsable de la Bib Bozo du LaM(Ā). Et «une belle bande de copains» (comme aurait pu le dire Mouly Gaston) rassemblés autour d’une table ronde.
Tous responsables ou ex-responsables de publications plus ou moins confidentielles où s’expriment/s’exprimaient leurs passions diverses mais également intenses pour les créateurs d’art brut et autres apparentés. Ils sont trop nombreux pour être tous cités ici. Consultez la liste jointe où vous reconnaitrez du beau monde.
Je me contenterai d’évoquer le valeureux Jean-François Maurice qui a consacré beaucoup d’énergie à la réalisation de quelques titres dont je ne vous évoquerai, par l’image, que le plus connu : Gazogène.
Le Graal étant, vous l’avez compris, le Fanzine dans tous ses états. Sa recherche m’a paru assez importante pour que je délègue sur le coup un envoyé spécial de mon équipe qui, de son strapontin (et de son mobile), me tiendra informée en direct car malheureusement je ne pourrai pas être des vôtres.
La pause-café est à 15h15 et le p’tit déj à 9h30. Inscrivez-vous au buffet-déjeuner si vous voulez pas faire ballon à 12h30 quand le dernier orateur de la matinée vous aura conduit au bord de l’hypoglycémie.
Pour ne pas manquer cette journée historique, il vous suffit de passer un coup de grelot au musée ou de lui envoyer un mail à contact@musee-creationfranche.com
00:14 Publié dans art brut, Expos, Gazettes, Parlotes | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : art brut, fanzines, crab, déborah couette, céline delavaux, création franche, jean-françois maurice, gazogène, gaston mouly | | Imprimer | | |
06.07.2013
Les saints polonais en marche à Bègles
Cette exposition a débuté le 6 juillet. Si Dieu le veut, elle se terminera le 8 septembre 2013. Elle s’intitule Les Saints de l’art polonais.
«Saints» est à prendre dans un sens particulier puisque Pascal Rigeade, dans la préface du catalogue, révèle que le Musée de la Création Franche faut ainsi allusion à la phrase : «Ils sont les héros, les saints de l’art» par laquelle Jean Dubuffet qualifiait les auteurs d’art brut. Va donc pour «saints». Même si c’est agaçant que la Pologne évoque toujours les bondieuseries.
Pas trop de papes ni de vierges de Czestochowa cependant dans les œuvres fortes et variées présentées à Bègles. Quelques uns seulement dans la banque d’images que Mikołaj Ławniczak pioche dans les magazines au milieu de pin-up en bikini. Ryszard Kosek qui est dans le collimateur bèglais depuis 1996, célèbre, en couleurs de malaise sarcastique, un autre culte populaire : celui de l’alcool.
12 autres créateurs qui ont «tous un lien avec des institutions qui jouent un rôle important dans la préservation et la promotion de l’art brut» accompagnent Kosek.
350 œuvres de moutons noirs plus ou moins sous la houlette de galeries, associations, fondations, maisons protectrices, certaines du genre thérapiques ou occupationnelles. Une collection privée aussi, celle de Leszek Macak. Je ne comprends pas bien ce que Malgorzata Szaefer, co-commissaire de l’expo, entend par l’expression «Beauté en paquet» dont elle use à propos de cette sélection visiblement rigoureuse. Les mystères de la traduction sans doute. Ma petite âme ignorante aimerait pourtant savoir comment on prononce les noms des auteurs qui l’intéressent.
Iwona Mysera et ses confidentiels et illisibles messages qu’elle aime détruire autant que faire.
Przemysław Kiebzak et ses villes fortifiées-empilées.
Justyna Matysiak et sa maison aux circonvolutions intestinales.
Adam Dembiński aux bouches de chaleur et sexes rougeoyants.
Tous trois présentés sous des facettes différentes de celles remarquées, il n’y a guère dans une expo bruxelloise.
Mériteraient aussi d’être mémorisés les noms de Konrad Kwasek qui sculpte des bûches pour que son entourage les fiche au feu
Roman Rutkowski pastel-animalier au style anguleux
Henryk Żarski qui commença à parler à 45 ans (jusque là il avait trop à dire).
Ce «Nikifor de l’Institut Pakowka» figure dans la Collection de l’Art Brut de Lausanne bien qu’il n’apparaisse pas dans la liste des auteurs sur le site de celle-ci. Son cas paraît pourtant plus intéressant que ceux des peu convaincants Morton Bartlett, Ata Oko ou Charles Steffen dont la Maison mère nous a rebattu les oreilles ces temps-ci. J’aimerais en savoir plus sur la déportation en Allemagne des parents de Henryk Żarski qui, «déficient mental», a dû couper de peu à l’eugénisme puisque né en 1944.
L’expo de Bègles, malgré son titre à l’eau bénite, a l’avantage de nous mettre sous les yeux des œuvres d’art brut de qualité d’auteurs peu connus. C’est la preuve que, dans le monde plutôt confiné de l’art brut, on peut toujours respirer un air non conditionné par le marché international, actuellement restreint à l’axe OAF-GCE-SDV : Outsider Art Fair-Grands Collectionneurs Européens-Salles De Vente.
Axe autour duquel sont invités à graviter, comme les papillons autour de la flamme, responsables d’institutions muséales et intelligences universitaires que l’on voudrait détourner de la découverte pour les voir se consacrer à la circulation des seules valeurs (ou non-valeurs) cotées
16:20 Publié dans art brut, Expos | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : création franche, art brut polonais, ryszard kosek, iwona mysera, przemysław kiebzak, justyna matysiak, adam dembiński, konrad kwasek, roman rutkowski, henryk Żarski, leszek macak, malgorzata szaefer | | Imprimer | | |
11.05.2013
L’Asphyxiante culture passe la nuit à Bègles
«La culture procure à qui en est doté l’illusion de savoir, qui est très pernicieuse, car un qui ne sait pas cherche et débat mais un qui croit savoir dort satisfait».
Cela fait un moment que j’avais pas lu ça. Je me replonge pas tous les jours dans Asphyxiante culture. J’ai tort. Si j’étais pas aussi cossarde j’apprendrais par cœur certaines des vérités finement paradoxales qui jalonnent ce petit livre de «libertés nouvelles» publié par Jean Dubuffet en juillet 1968 chez Pauvert (merci Jean-Jacques!).
Par exemple celle-ci qui sonne comme un avertissement aux «intellectuels prétendus révolutionnaires» de l’époque et qui conserve tout son sel aujourd’hui :
«La position de subversion cesse bien sûr s’il advient qu’elle se généralise pour devenir à la fin la norme. Elle s’inverse à ce moment de subversive en statutaire».
Bien jeté, non ? De nos jours où c’est la mode de discréditer Dubuffet tout en lui faisant les poches, où bon nombre de ceux qui ont l’art brut à la bouche se croient fondés (au nom dont ne sait quelle modernité) à «promouvoir» celui-ci en imposant une régression théorique «visant à nier la coupure épistémologique de son inventeur», il est réconfortant de savoir qu’une Nuit des musées va être consacrée à Bègles à une lecture publique de larges extraits d’Asphyxiante culture.
Réconfortant aussi de lire dans le dossier de presse de la Création Franche -puisque c’est dans cet établissement qu’aura lieu le 18 mai la performance- que «c’est un texte facile à lire, un manifeste dans lequel Dubuffet affirme que la culture (…) n’est plus au service des œuvres» et que «ce constat est encore terriblement d’actualité».
Qui c’est qui dit ça? Frédéric Maragnani. La voix qui portera ce soir là une pensée toujours novatrice qui ne demande qu’à s’envoler vers les âmes errantes de bonne volonté dont vous êtes (ou vous serez) chers Animuliens et Animuliennes de choc. Que vous ayez lu, mal lu ou pas lu du tout encore ce philosophe qu’était Jean Dubuffet.
23:05 Publié dans art brut, De vous zamoi, Lectures, Ogni pensiero vola, Parlotes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : art brut, jean dubuffet, frédéric maragnani, création franche | | Imprimer | | |
24.09.2012
Les photoportraits crépusculaires de Marie-France
Je parle sans savoir n’ayant pas vu de visu. Pourtant quelque chose m’intrigue dans le catalogue de l’exposition bèglaise Visions et Créations dissidentes dont le vernissage tombe cette année le samedi 29 septembre. Ce sont les photos de Marie-France Lacarce.
En ces temps où l’on cherche dans la photographie un moyen d’hypothétiques rencontres entre l’art brut pure laine et ses succédanés plus ou moins «contemporains», il se pourrait bien que cette créatrice de portraits chamarrés, surgis tout décalés de la nuit, ouvre une nouvelle piste funambulique.
J’ai cherché vainement sur le site du Musée de la Création Franche les détails biographiques qui pourraient permettre de statuer sur l’étrange «cas» de Marie-France Lacarce. Dans le catalogue, la notice de Pascal Rigeade nous en dit plus : Bordelaise, autodidacte de son art, retraite, solitude, méticulosité, goût du rangement. De quoi déduire un bon pronostic. Sans que cela suffise. Mais il y a le dangereux mystère de ces autoportraits auxquels cette novice de l’objectif a eu l’instinct très sûr de se cantonner.
«Ils s’affranchissent du photoréalisme et réinsèrent dans l’image les infinies possibilités de l’imaginaire», nous dit Pascal Rigeade. J’aurais même envie de dire qu’ils communiquent avec un plan plus abyssal qui déchire et qui fout la trouille. Sans en passer pour cela par la magie professionnelle qu’on sent à l’œuvre dans maints clichés surréalistes. Leur vénéneuse beauté plastique les inclinerait plutôt vers la peinture, celle empreinte d’un expressionnisme du malaise à la Fred Bedarride, par exemple.
J’arrête là mon délire. Ce qui me paraît bon signe chez Lacarce c’est que pour parvenir à ce résultat qui la fait naturellement pencher du bon côté (celui des forces intimistes et non celui du spectacle grand angle) elle invente ses propres procédés à partir des techniques proposées par la technologie contemporaine. Pascal Rigeade ne nous dit pas lesquels. Les connaît-il ?
On apprend simplement que Marie-France se sert de l’appareil de Madame Tout-le-Monde : un Kodak Easy Share C433, qu’elle a dû, comme vous et moi, se «débrouiller» avec le mode d’emploi pas des plus évidents. Qu’elle travaille au crépuscule, non en studio mais dans son «petit appartement».
La suite a tendance à me laisser sur ma faim : «Devant l’objectif, l’espace dans lequel elle se meut, proche de la transe; un presque vide qu’elle remplit du bricolage minutieux d’objets divers(…)». On aimerait en savoir plus tant ce visage, plusieurs fois décliné, nous arrive mis à nu et nimbé de noirceur, arraché au rêve et à la chair.
A quelle panoplie, à quels accessoires, à quel maquillage, à quels bidouillages sur des logiciels de retouches sont dues ces images non pareilles ? Je l’ignore mais, après tout, c’est très bien comme ça.
00:05 Publié dans Expos, Images, Oniric Rubric | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : marie-france lacarce, création franche, autoportraits, photographie, créateurs contemporains, kodak easy share c433 | | Imprimer | | |
07.06.2012
Rosemarie Koczÿ à corps et à cri
Quelques images avant la route? Commençons par les plus dures. Celles de Rosemarie Koczÿ qui entament l’âme (errante ou pas). Le Musée de la Création Franche consacre à cette artiste, certes «trop cultivée et trop communicative pour être classée parmi les auteurs d’art brut» (Michel Thévoz) mais hyper-émouvante tout de même, une publication qui accompagne l’exposition A corps et à cri.
Vous avez jusqu’au 19 août pour la visiter. Le début de la vie de R K est si dramatique qu’on a peine à en lire les péripéties passées au crible de sa mémoire. D’ascendance hongroise, née en Allemagne, déportée avec sa mère, elle a survécu à deux camps de concentration avant de subir les rigueurs d’un orphelinat catho où l’on s’employa à lui faire oublier son identité de petite fille juive. J’ignore si ses récits correspondent en tous points à la réalité ou s’ils procèdent d’une sorte d’enkystement perpétuel de la douleur comme on en a parfois l’impression.
Toujours est-il qu’à regarder (non sans difficulté pour moi) la série de ses dessins à l’encre de Chine intitulée Je vous tisse un linceul, dessins dont elle disait : «c’est un enterrement que j’offre à ceux que j’ai vu mourir dans les camps», on ne peut qu’approuver Pascal Rigeade, le directeur du MCF de Bègles d’avoir entendu à la lettre la conclusion de l’article de Michel Thévoz dans le n° 31 de la revue Création Franche (voir ma note du 1er oct. 2009).
«A notre tour», écrivait Thévoz, «il nous incombe de tisser un linceul à Rosemarie Koczÿ».
14:10 Publié dans Expos, In memoriam | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : rosemarie koczÿ, création franche | | Imprimer | | |
01.03.2012
Peinture et poésie aux Chartrons
Avant le grand retour sur mon Paris chéri, un petit détour par le grand sud-ouest, pourquoi pas?
A Bordeaux, j’aime bien la Halle des Chartrons. Un élégant pavillon hexagonal plein de lumière qui filtre au travers de sa structure de pierre, de fer et de verre.
Plus à l’échelle humaine qu’un édifice Baltard -quoiqu’un peu frigo les jours d’hiver (mais déjà le printemps montre son museau)- la HDC est idéale pour les salons du livre. Sa périphérie commode aux piétons est propice aux restos sympas où la voyageuse que je suis a même pu un jour recharger son portable sans qu’on lui montre les canines.
Les marchés de la poésie, j’aime bien aussi. Alors quand ils ont lieu dans cette fameuse Halle des Chartrons, je ne peux pas m’empêcher de le crier sur les toits.
Surtout si ce Marché de la Poésie là qui se tiendra du 2 au 11 mars 2012 en profite pour agiter ses clochettes en l’honneur de Sanfourche le 7 mars à 20h. Comment? Sous forme d’une évocation orale de Jean-Luc Thuillier, éditeur et légataire de l’artiste décédé il y a deux ans et non (comme un émouvant lapsus du programme détaillé tendrait à le faire croire) en mars 2012. Jean-Joseph Sanfourche aurait aimé ce délai de grâce offert à lui.
Les Animuliens bordelais ou de passage à Bordeaux aimeront aussi se rendre le vendredi 2 mars à 18h30 au Musée de la Création Franche de la Bègles voisine pour le vernissage de l’expo JJS qui occupera la Grande Salle de l’étage jusqu’au 9 mars 2012.
Tant qu’il y sont, ils en profiteront pour se faire les autres expos en cours dans ce lieu jusqu’au 18 mars 2012. Celle d’Yvonne Robert dont les compositions moins étranges qu’à ses débuts semblent avoir définitivement rallié les lignes d’une naïveté aimable.
Celle de Natasha Krenbol surtout dont on n’a pas trop souvent l’occasion d’apprécier la peinture d’un raffinement fluide et poétique dont les tonalités diaphanes se combinent aux chauds accents d’une terre d’Afrique pigmentée de mythes.
14:41 Publié dans art brut, Expos | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : art naïf, yvonne robert, création franche, jean-joseph sanfourche, natasha krenbol | | Imprimer | | |
18.01.2012
Vintage & Revival, des revues très tendance
Vous allez dire que je me prends les pieds dans l’art-thérapie mais ce n’est pas ma faute si le sujet revient sur le devant de la scène par le truchement de la dernière livraison de la revue Création Franche. Ce ne sont pas moins de 4 articles sur 10 qui, par différents angles, abordent la chose.
«Art-thérapie» est d’ailleurs une façon de parler, une commodité langoustique puisque, au fur et à mesure que celle-ci se généralise, c’est plutôt le vocable d’«ateliers de création» qui est avancé. Ateliers par ci, ateliers par là, le terme revient souvent (au moins en filigrane) que ce soit pour le Creahm ou La Pommeraie en Belgique, pour L’Erreur en Italie, pour La Passerelle en France sous les plumes (ou grâce aux claviers) de Déborah Couette, Teresa Maranzano, Dino Menozzi et Bruno Montpied.
Pour aller vite, chez Dino j’ai remarqué «le rhinocéros hybride» de Giulia Zini, digne d’être enviée «pour la simple cohérence de son existence, pour la spontanéité avec laquelle elle se livre à son monde, pour le dédain exemplaire derrière lequel elle se réfugie, pour le sourire satisfait qui émerge toujours d’elle».
Maranzano m’a impressionnée avec les objets sous bandelettes et la cabane de Pascal Tassini qu’elle compare à un Merzbau. Ceci malgré des références un peu appuyées à Henri Focillon.
Bruno m’a tout l’air de recycler des infos qu’on a déjà lues sur son site.
Ce que j’ai préféré c’est le papier de Débo relatif au «travail d’Alexis Lippstreu» parce qu’à côté d’une simple étude de cas, elle s’attaque bravement à la question du faux mimétisme dans l’art brut. C’est à dire à cette capacité qui est la sienne de s’affranchir des influences par un véritable travail de transmutation.
«Un Gauguin par Lippstreu n’est plus un Gauguin mais un Lippstreu» conclut Déborah Couette et ça veut tout dire.
Sur le front des revues, signalons le retour -mais oui!- de L’Œuf sauvage. Vingt ans après, le mousquetaire Claude Roffat refait l’Œuf! Il sort -comme si l’eau n’avait pas coulé sous le pont Mirabeau- non une nouvelle mouture mais bien le n°10 de sa sauvagine revue! Le jarret est bon et le poignet ferraille quoiqu’avec moins de vélocité. L’avenir serait-il dans les œufs? On verra.
Ce numéro au parfum revival ne séduira pas que les nostalgiques ou les dénégateurs de temps qui passe. Les amateurs de cas plus récents pourront s’intéresser aux émouvantes convocations mortuaires des dessins de Ghislaine dont la lucidité terrible et désespérée crépite comme une flamme sous l’effet de l’oxygène existentiel.
Je vous en aurais bien dit plus sur ce come back et sur le contenu de ce numéro qui tourne le dos à une si grande plage de silence mais Alain Paire vient de poster à ces propos une de ces notes définitives dont il a le secret. Le mieux est de lui rendre visite.
11:21 Publié dans art brut, De vous zamoi, Gazettes, Jadis et naguère, Miscellanées | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : création franche, art brut, art-thérapie, déborah couette, teresa maranzano, dino menozzi, bruno montpied, giulia zini, pascal tassini, merzbau, alexis lippstreu, paul gauguin, l'oeuf sauvage, claude roffat, ghislaine, alain paire | | Imprimer | | |