Art brut : la réalité dépasse les fictions (25.03.2013)
Maintenant que j’ai mis le nez dedans, impossible d’en sortir. Dans quoi? Mais dans la collection des «Cahiers» de l’Art Brut, badame. Elle tabasse tout cette collection! On y revient toujours au hasard des méandres de l’actualité.
Samedi prochain (30 mars 2013), par exemple, l’Institut National d’Histoire de l’Art (INHA) ouvrira de 9h30 à 13h sa salle Walter Benjamin au séminaire du CrAB consacré à Des fictions d’art brut parmi lesquelles il y a Juva.
L’occasion de se replonger corps et âme, pour réviser un peu avant, dans le n°21 des «Cahiers» évoqués plus haut. Cahier qui nous dit tout sur le cas de ce prince austro-russe, collectionneur de camées et de vases en cristal de roche, converti au silex dont il aime la matière au point de la sublimer en sculptures retouchées, peintes et soclées par ses soins.
Jean Dubuffet consacra très tôt (en 1948) à cette œuvre née d’un cache-cache avec la science préhistorique, à cette œuvre révélatrice du pur langage des formes, un texte qu’André Breton compara à «un tube d’escalier en vis sans fin». Et une exposition au sous-sol de la Galerie René Drouin.
A propos de «sous-sol», notons que Les Statues de silex de M. Juva, le texte de Dubuffet, se termine en boîtant sur ce mot. «Peu de gens», prophétise Dub, prendront garde aux statues de Juva mais «si quelques-uns pourtant se sentent ici touchés (…) par ce vent venant pour une fois non des points indiqués par la rose [des vents] mais de sous les pieds et de sous-sol (sic) – alors tant mieux».
C’est naturellement «de dessous le sol» qu’il faut lire. Dubuffet, dans l’édition originale ronéotée, a rectifié l’erreur à la main.
Celle-ci a été corrigée dans la version imprimée parue à l’été 1948 dans Les Cahiers de la Pléiade, revue dirigée par Jean Paulhan mais non -curieusement- dans le tome 1 de Prospectus et tous écrits suivants (1967) formaté par Hubert Damish.
Pinaillage, me direz-vous, mais c’est en pinaillant sur le sol et aux bords des rivières qu’Antonin Juritzky découvrait ses «pierres-à-figures» pour emprunter un terme à Boucher de Perthes (1788-1868), le père de la Préhistoire dont les théories, mélangeant vérités et divagations, donnèrent tant à rêver aux autodidactes.
Antonin Juritzky adopta le pseudo de Juva lorsque la science officielle l’expulsa de son délire pseudo-scientifique. Lui qui créait des «faux» qui ne dérivaient pas d’originaux fut convaincu de faire, en quelque sorte, des ready-made aidés et non des ready-made tout court! C’est arrivé à d’autres, à Robert Garcet notamment.
Le CrAB serait bien inspiré de se tourner vers ces exemples significatifs plutôt que de nous en faire des «schizomètres» avec une blague pataphysicienne déguisée en calembour lacanien qui, au fur et mesure qu’elle dure, perd tout son sel.
Bonus : Antonin Juritzky est l’auteur d’un ouvrage publié en anglais par un musée hollandais qui, contrairement à ce qu’avance Jacqueline Roche-Meredith dans le N°21 (p. 70) des Publications de l’Art Brut, existe bien (depuis 1939) et ne relève donc pas d’un soi-disant «délire mythomane» de Juva.
J’emprunte à cet ouvrage quelques photos et une introduction qui suggère une piste enfantine à la base des observations de Juva : «Walking in the spring of 1946 along a group of allotment gardens I was struck by a most charming scene. Playing children has marked off a kind of enclosure on the border of the field with little sticks, and inside this square they had laid a stone which was to represent an ox. Indeed, the stone -a flint- had the shape of a buffalo’s head (fig.1)».
19:15 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : art brut, crab, collection de l'art brut, jean dubuffet, juva, antonin juritzky, jacques boucher de perthes, robert garcet, emile fradinjacqueline roche-meredith, schizomètre | | Imprimer | | |
Commentaires
Bravo pour ce retour amont de l'iNHA à Juva, puis à Boucher de Pertes, ce visionnaire génial qui a su voir l'art là où personne ne l'attendait : dans les pierres collectionnées puis "arrangées" par nos «ancêtres antédiluviens», (1847 !). Quelle perspicacité ! Quel fulgurant lancement pour une pseudo-science qui ne perdra pas son pseudo, puisque l'art ne relève pas du savoir, mais du sentir.
Entre une pierre-figure aurignacienne et la Vénus de Milo, on ne quitte pas la famille.
Salut. Continuez à sévir !
Écrit par : sait lire et écrire | 14.04.2013
Cela m'étonne. Tout ce que vous dites sur Juva vient de mon article sans me citer, sauf lorsque vous croyez trouver la faille: le musée qui soi-disant existe. Soit, mais soyez plus positive dans vos commentaires car j'ai fait une longue recherche sur Juva (j'ai connu même quelqu'un de sa famille) et d'après votre texte, mon article vous a été fort utile. Je vous remercie de m'envoyer les coordonnées de ce musée. Meilleures salutations,
Jacqueline Roche-Meredith
Écrit par : Roche-Meredith | 26.06.2013
@ Jacqueline Roche-Meredith
Des erreurs, tout le monde en commet.
La seule chose à faire c'est de les reconnaître pour mieux les rectifier. C'est la dure loi de la recherche!
Plutôt que de vous abandonner à la mauvaise humeur, vous pourriez faire contre mauvaise fortune bon coeur.
Après tout je vous offre l'occasion d'améliorer un article dont vous êtes fière.
Ce n'est pas par malignité que les mots "existe bien" sont soulignés dans le texte de mon bonus.
Si vous aviez cliqué sur ce lien, vous seriez tombée sur le site du musée dont vous me demandez les coordonnées.
Écrit par : Ani | 29.06.2013