Plancher sur Jeannot avec Perrine Le Querrec (11.04.2013)

«Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un état». Qui ne souscrirait à pareille formule? D’autant qu’elle vient de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Et qu’elle est proclamée par un artiste né à Gaza. Proclamée sur savons de Marseille par Taysir Batniji à l’Espace Robert de Lamanon à Salon-de-Provence jusqu’au 16/06/2013.

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Un gratuit du coin, le supplément Marseille-Provence 2013 de La Provence («ne pas jeter sur la voie publique») reproduit cette sculpture qui se présente –devinez quoi– comme une bande de parquet blond posé sur le sol!

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J’en crus pas mes mirettes quand je vis cette œuvre savonnière et philosophique si visiblement dans la note du fameux plancher de Jeannot. Compte tenu de la notoriété grandissante de celui-ci et de la curiosité nouvelle et intéressée dont l’art brut est l’objet de la part de ceux qui le traitent comme un gisement, une telle rencontre était fatale.

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La comparaison entre le travail de l’artiste gazaouite et le cri primal du paysan farouche recroquevillé sur le corps de sa mère dans sa ferme-fort Chabrol éclaire, s’il en était besoin, sur l’abîme qui sépare l’art brut authentique de ce qu’on nous vante sous l’étiquette flatteuse d’arts dits contemporains.

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Message individuel et confiné directement projeté du cœur sur une surface ingrate et réfractaire d’un côté.

Discours universel à la cantonade, proprement gravé en capitales sages sur une matière molle de l’autre.

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Je n’insiste pas mais il est bon de rappeler que Jeannot, dans son genre, est un écrivain. Non un idéologue, en dépit des idées dérangeantes qui s’agitent furieusement sous son burin. C’est le grand mérite de Perrine Le Querrec de ne pas l’oublier.

LE-PLANCHER_LDDP_LIVRE_vignette (2).jpgDans un livre qu’elle vient de lui consacrer aux Editions Les Doigts dans la Prose, livre intitulé Le Plancher, elle trouve les mots justes pour le dire. La présentation de l’ouvrage et les quelques extraits que l’on peut lire sur le net nous prouve qu’on a affaire ici à une vraie correspondance entre une écriture et la création qui l’inspire.

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Non à une rencontre manquée entre un méta-langage artistique fondé sur les références culturelles et la confidence terrible et meurtrie dont il subit l’influence. Voyant pour la première fois le plancher de Jeannot à la Bibliothèque Nationale en 2005, Perrine Le Querrec qui ne connaît pas encore son auteur a le sentiment de voir «Artaud crever la page d’écriture de son marteau».

C’est parce qu’elle s’abandonne à ce sentiment et qu’elle se laisse submerger par l’impression qui l’assaille : «ce n’est pas le silence qui m’accueille, mais une clameur un hurlement», c’est parce qu’elle creuse en elle le besoin de comprendre le pourquoi de ces surfaces «martelées, saignées à blanc» qu’elle donne naissance à ce livre.

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Aujourd’hui où l’art brut est relayé par un discours muséo-universitaire dominant et par les commentaires coalisés des acteurs de sa circulation marchande (commissaires-priseurs, collectionneurs, galeristes spécialisés), il est réconfortant d’entendre une voix lyrique (au noble sens du terme) s’exprimer à son sujet. Comme au premier temps de l’invention de la notion par Dubuffet où le rôle des écrivains (Paulhan, Chaissac, Roché, Delteil, Ragon, Breton, Péret, Giraud etc.) était nettement plus prépondérant.

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