maison rouge : suivez le guide (20.11.2014)
Pas plus grand qu’un smartphone, le livret qu’on distribue à l’entrée de l’exposition des deux chevaliers de la maison rouge! Il mériterait pourtant d’être oscarisé. Antoine de Galbert, la puissance invitante, Bruno Decharme, le collectionneur on the air et le staff de la programmation culturelle ont soutenu là une gageure : faire une présentation de la collection abcd (et des notions complexes qui tournent autour) qui ne soit ni bête ni prétentieuse. La clarté est chose trop rare pour qu’on ne la salue pas au passage.
Le petit journal de cette expo d’art brut, qui est un must en la matière, s’adresse aussi bien à ceux qui ne connaissent rien au sujet qu’aux afficions chevronnés. Les premiers n’y sont pas pris pour des billes.
Les seconds y trouveront un billet pour un voyage au pays de leurs connaissances.
Personnellement, j’ai apprécié que ce «livret de visite» constitué d’un plan et d’un glossaire aborde la question de l’éthique. Souligner que «l’exposition et la circulation des œuvres» doivent se faire «dans le respect de leurs auteurs» et dans l’assurance «qu’ils profitent, d’une manière ou d’une autre, des bénéfices générés par le commerce de leurs œuvres» est indispensable par principe et juste dans les termes.
Ceci posé ça peut pas faire de mal de chercher la petite bête dans le langage documenté et précis employé par les rédacteurs des notices du glossaire.
Comme tonton Niezstche le dit dans Humain trop humain : «les convictions sont des ennemis de la vérité plus dangereux que les mensonges».
C’est donc du côté des certitudes qu’il faut chercher dans le petit journal de l’exposition art brut de la maison rouge les endroits où ça coince. La notice art contemporain / art brut démarre ainsi par une pétition de principe : «Les temps sont au décloisonnement (…)». Une fois que vous avez reçu cet uppercut dans le plexus scolaire, votre petite cervelle de piaf vacille dans ses Converse.
Vous voilà mûrs pour l’enchaînement suivant : l’art brut s’était constitué «à travers une opposition à un art dit culturel (sic)» mais «actuellement» (sous entendu : c’est fini) «de nombreuses expositions tendent à le confronter à des réalisations intégrées au monde de l’art contemporain» (tout court)».
Et patapoum, admirez le travail! Si vous n’y prenez garde, cette voltige démonstrative vous envoie au tapis, prêts à admettre que l’art brut c’est kif kif le soi-disant art soi-disant contemporain (en fait vieux comme mes robes duchampomyennes).
La méthode pour parer c’est d’abord de prendre conscience que l’argument des «temps» (autant dire la dictature de la mode ou du marché) ne vaut pas un clou. L’Histoire est pleine de ces moments où une époque se crut à tort au bord de quelque chose qui s’ouvrait devant elle (que ce soit le communisme, le royaume de Dieu ou l’abstraction lyrique).
La méthode c’est ensuite de reconnaître que ce qu’on nous présente comme du décloisonnement n’est en fait que du confinement au sein d’une catégorie unique (l’art contemporain) où le ferment corrosif de l’art brut serait enfin édulcoré par ses célébrateurs mêmes.
23:50 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : art brut, maison rouge, antoine de galbert, abcd, bruno decharme | | Imprimer | | |
Commentaires
Chère Animula,
alors là, votre petite bête est vraiment trop petite pour une aussi grande exposition - où on serait bien en peine de trouver un choix qui céderait "à la dictature de la mode"!
Les œuvres s'imposent, j'ai presque envie de dire par leur "conscience professionnelle", et...au diable les discours! Ce qui n'empêche pas d'être vigilant sur leurs dérives.
Écrit par : Béatrice Steiner | 21.11.2014
Vous m'obligez, chère Mme Steiner, à sortir mon menu!
Pour l'instant vous n'avez eu droit qu'à l'amuse bouche et au hors d'oeuvre. Il me faut du temps pour préparer le plat de résistance: je compte bien chroniquer mes visites à l'expo maison (rouge).
Ne faites donc pas votre Gordon Ramsay. On n'est pas dans "Cauchemar en cuisine" tout de même!
Un peu de patience. Le fromage et les desserts viendront plus tard. Les salades aussi.
Cette expo est trop capitale pour que je puisse la faire digérer en une seule fois. Contrairement à vous, je crois qu'il y a beaucoup à dire à son propos.
Surtout que pour l'instant la presse écrite se montre plutôt fadasse: elle se contente de relayer sans vérifications ni grain de sel, les informations fournies par les organisateurs de l'exposition dans leur matériel de communication.
Le feu sur lequel je cuisine provient d'un autre sarment.
Il n'est pas besoin d'y jeter de l'huile.
Écrit par : Ani la bête qui monte | 21.11.2014