Martin Ramirez, on en parle, on en parle (11.02.2007)

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Si j’vous dis que j’ai toujours aimé lire, ça vous étonnera pas. Les étiquettes de fromages, les notices de médicaments, le mode d’emploi de mon fer à repasser qui crache. Tout y passe, même les cartons d’invitation.
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J’y découvre des choses qu’on soupçonnerait pas. Ainsi, dans le beau triptyque pour l’expo Lobanov à la Collection de l’Art brut de Lausanne, au milieu des photos d’Olivier Laffely, cette mention : «Visite en langage parlé complété (pour les malentendants)». Initiative heureuse, surtout s’agissant de l’œuvre d’un créateur dont la surdité entraina le mutisme, l’internement et la rage de ne pouvoir s’exprimer et se faire comprendre.

medium_bon_point1.2.jpgElle mérite le Bon Point d’Honneur spécial Animula que je distribue avec parcimonie. Elle gagnerait à se généraliser. Cela donnerait des expos Emile Ratier où les cartels seraient en braille, des expos Kosek où les visiteurs seraient tenus d’apporter leur bouteille d’eau minérale.

Je compte sur vous pour trouver des tas d’autres idées poétiques.

Quand j’entends dire que la famille de Martin Ramirez (qui cessa, lui aussi, de parler durant son internement) ne possède pas une seule œuvre de son aïeul je ne peux m’empêcher de penser que cela pourrait peut-être s’arranger. Il suffirait qu’à chaque transaction de ses tableaux, les marchands acceptant de gagner moins, les collectionneurs de payer plus, réservent une petite somme à une Fondation Ramirez créée à cet effet.

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Et comme j’y vais carrément quand je me lance dans l’utopie, je me dis qu’on pourrait demander 1 dollar de plus à chaque visiteur de l’expo Ramirez de New York et quelque thune supplémentaire à tous ceux qui voudront conserver le catalogue en souvenir.
En attendant, voici en prime la libre opinion d’un lecteur sur le même sujet :


Devant Martin Ramirez New York s’incline. Roberta Smith, dans l’International Herald Tribune du 30 janvier 2007 n’y va pas de main morte : Ramirez «is simply one of the greatest artists of the 20th century».

Kathryn Shattuck dans le New York Times du 3 février reprend ses propos définitifs : «he belongs to the group of accessible, irresistible genius draftsmen that includes Paul Klee, Saul Steinberg (sic) and Charles Schultz (resic)».
Le ton est donné dès le préambule par Mrs Smith : l’expo Martin Ramirez de l’AFAM «should render null and void the insider-outsider distinction». Cette nouvelle réjouira ceux qui en ont assez de voir l’art brut confondu avec un courant néo-baba où, de «neuves inventions» en «collections très annexes», on aboutit souvent à de «franches» médiocrités.
Mais Roberta Smith n’évite Charybde que pour tomber dans Scylla. Ramirez serait un acteur comme un autre -un des plus remarquables toutefois- sur la scène de l’art contemporain. J’ai bien peur que cette opinion ne reflète une tendance irrésistible du marché à son stade «mondialiste».
Vu les prix atteints par des créateurs de la trempe de Ramirez, il devient capital de leur faire rejoindre le «mainstream», faute de quoi les acheteurs risqueraient de douter de la marchandise. Raison pour laquelle il convient de minimiser, voire de gommer, la dimension follement créative de cette œuvre et de son auteur. La preuve en est que Ramirez dessinait dans les marges de ses lettres avant d’être interné ! («which questions his inclusion in the art-of-the-insane category»).
Quelque chose ne va pas dans la démonstration de Roberta Smith. C’est le fait qu’elle reconnaisse sincèrement que Ramirez a changé sa vision de l’art («Ramirez changed my view of the art world 21 years ago»). Quelle que soit la précision de ses analyses concernant les techniques du dessinateur et les influences qu’il a subi (le prélèvement d’images venues de la culture populaire ou du cinéma, notamment), Roberta Smith échoue à nous faire toucher du doigt la spécificité de l’art de Martin Ramirez.
Ce qu’elle nous décrit pourrait s’appliquer à n’importe quel artiste ordinaire qui s’inscrit dans des voies ordinaires. Tout au plus s’approche-t-elle du secret de cette création quand elle met l’accent sur les «rhythmic systems of parallel lines» qui la structurent mais faute de mettre ceux-ci en rapport avec l’automatisme mental, elle le manque.
 
Jean-Louis Lanoux 

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