L’art nègre à Rothéneuf (22.04.2008)
Quand il fait frigo et que la pluie nous pourrit le cuir chevelu, comment se balader sans être enfermée ?
Réponse : aller au Grand Palais visiter le Salon International du Livre Ancien.
C’est ce que votre petite âme errante a fait ce ouikène.
Le Grand Pal est un endroit où l’on reste au sec tout en ayant le ciel par dessus le soi. Sous les kms de verrière qui surplombent les stands, on se prend pour des Jonas dans le ventre de sa baleine.
C’est Jules-Vernien à mort comme chaque fois que la République fait dans le monumental.
Qu’allais-je faire dans ce Nautilus ? Mais trouver d’l’art brut, nom d’un chien !
De l’art brut au milieu des enluminures et des grimoires ayant appartenu à Marie-Antoinette ?
Tu doutes de rien, ma pauvre Ani !
Et pourtant oui. En fouinant j’ai mis la main sur un bouquin de 1899 causant Du Tatouage chez les Prostituées. Auteurs : 2 toubibs de Saint-Lazare (pas la gare, la prison). Le Blond et Lucas. Palpitant pour les messages et dessins tatoués reproduits. Dans ma grande bonté, je vous en offre quelques uns.
En A19 (c’est comme la bataille navale, la liste des exposants), sur le stand de monsieur Léon Aichelbaum, m’attendaient quelques pages, pas chères du tout, relatives à l’abbé Fouré. Tirées de je ne sais où et datées du 25 mai 1921, elles ont pour particularité de s’étendre plutôt sur le musée de Rothéneuf entouré d’un mur crénelé que sur les fameux rochers sculptés. Son titre a de quoi mettre l’eau à la bouche : L’Art nègre à Rothéneuf mais je n’ai pas eu le temps encore de lire la chose.
Comme une nunuche, j’ai failli louper la case E14 où la Librairie Alain Brieux (48, rue Jacob 75006) avait installé ses pénates. Faut dire que la science est pas mon fort et que cette vénérable maison donne surtout dans cette discipline.
«Mais qui dit science, dit médecine et qui dit médecine dit psychiatrie», me dis-je en dirigeant mes pas de ce côté. Bien m’en a pris puisque j’ai découvert sur une cimaise 5 aquarelles d’art brut faites par un «malade interné dans un hôpital psychiatrique du Nord de la France» selon une indication de la main de Jean Dubuffet (j’ai reconnu son écriture) au verso.
Sans être hors de prix, c’était trop cher pour moi parce que j’ai dépensé ma jolie thune à Barcelone. Alors, je me suis contentée de prendre le catalogue bleu du libraire où ces aquarelles figurent sous le n°143, à côté de cahiers de dessins faits en 1935 par des prisonniers qui sont pas mal non plus. Hélas, hélas, y’a pas de repros dans ce catalogue et j’ai pas osé sortir mon téléphone pour photographier ces œuvres là.
Pour me consoler, mon chéri que j’ai m’a HT au stand de l’ascèse (A16) le catalogue de la vente de la Collection André Lefèvre de décembre 1965 parce qu’au milieu des objets d’Art nègre et d’Océanie, on trouve (n°147) une Tête dite «Barbu Müller» en pierre volcanique. «Massif central, Art populaire. Peut-être une pierre de source». Un barbu comme ces barbus de la fameuse brochure de 1947 qui n’a jamais été distribuée par Gallimard, son éditeur, mais qui existe bien, la preuve :
Je vous dis ça parce que je sais que ça intéresse Julien qui m’a écrit 2 fois au sujet des Barbudos.
23:32 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : art brut, abbé fouré, barbus müller, tattoo | | Imprimer | | |
Commentaires
L'article "L'art négre à Rothéneuf" a été écrit par un certain A. de Bersaucourt. Il fut publié dans "La revue critique" (T.XXXII, n°189, 29 mai 1921). En dépit du fait qu'il représente un bel exemple de prose réactionnaire empreinte d'ironie raciste (il s'y moque des "énergiques et lucides théoriciens" (de l'art moderne, faut-il comprendre) "qui comprennent la nécessité de régénérer au contact de Bamboula une inspiration affaiblie par les Rodin et les Bourdelle"... Et il y souligne que Fouré a compris cette "grande loi de l'art moderne", à savoir que "le fin du fin [est] que l'on puisse tout découvrir dans une oeuvre tout en n'y découvrant rien, et précisément parce que l'on n'y voit rien"...), en dépit de cette ironie qui se veut très fine (qui rappelle un peu celle d'un Courteline devant le "musée des horreurs" de sa propre collection d'art naïf), l'article de ce de Bersaucourt apprend à tous ceux que l'existence et l'oeuvre de l'abbé Fouré fascinent (dans deux ans, ce sera l'anniversaire de sa mort, et sur le Poignard Subtil, je me fais fort de fêter l'événement avant la date, dans les mois qui viennent) qu'en 1921, le Musée de l'Ermite, qui était très distant, spatialement parlant, du site des rochers sculptés, comme je l'ai déjà signalé dans mon "Art Immédiat" n°2 (1994), ce Musée de l'Ermite, racheté en 1910 par un certain M.Galland, était donc encore debout...
Car il a été dévasté à une date encore non précisée, ce fameux musée. On n'a pas revu depuis ces décennies-là du XXe siècle une seule des sculptures que contenait le jardin avec ses galeries et ses vérandas, si on excepte quelques meubles sculptés exposés ici et là (Galerie de Messine, collection ABCD...). La tête d'homme barbu présente dans la collection d'art brut de l'Aracine est à l'évidence une attribution fortement aventurée...
Avec mes salutations cordiales,
B.M.
Écrit par : Bruno Montpied | 23.04.2008
Je vous signale que le livre des docteurs Le Blond et Lucas (Du tatouage chez les prostituées) vient d'être réédité par A Rebours et ce n'est pas cher: 9 euros.
Salut et merci pour vos infos.
B
Écrit par : Blek | 10.06.2008