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29.08.2015
Chez Monsieur D on n’y voit que du bleu
Le bleu. Au bleu de la campagne, Monsieur D aime à se consacrer. Le bleu charrette? Le bleu dont on badigeonne les portes de grange? Le bleu du ciel plutôt. Un bleu dont on fait les flûtes. Car D, en gars jovial qui pose, vêtu d’un T-shirt customisé pour la presse locale, ne semble pas accorder plus d’importance que ça à ses expérimentations coloristes.
Lui qui, de par ses fonctions de pompier, baigna longtemps dans le rouge, aime simplement tremper sa maison jusqu’à mi-volets dans l’azur. Ou peindre de même les troncs des arbres de son jardin comme s’il n’y avait pas que les branches qui dussent se noyer dans le firmament. Décoration, land art? Allez savoir.
Monsieur D n’explique rien. Rien de ce sobriquet issu d’une chanson paillarde dont il s’affuble et que je réduis ici à une initiale. Rien de ces inscriptions sur la façade de sa maison située dans un petit patelin de Bourgogne. Rien de ces agglomérats de jouets, poupées, mickeys, posters de foot, photos de famille au milieu desquels il aime vivre. Leur sacrifiant les murs de chez lui.
Selon les observations de l’Animulien d’honneur (par ailleurs blogueur littéraire émérite dans la catégorie poids yéti) qui m’a signalé ce petit cas curieux, Monsieur D se borne à modifier régulièrement ses bombages scripturaux. Et voilà tout.
Selon Sophie, grand reporter pour mon blogounet dépêchée sur place au détriment de ses vacances, ledit D, qui fut tailleur de pierres, ne sculpte mie. Il se contente d’une table, d’une toile cirée, de quelques clopes pour être lui-même.
Il appartient (dans la catégorie poids plume tombée du ciel) à ces «originaux», chers au journaliste Charles Monselet qui les situait dans son «siècle dernier» ce qui nous fait remonter au dix-huitième siècle. Singulier, bizarre, chevalier de la marge, un peu dérisoire, D ne déroge pas à cette tradition de traviole bien vivante. Elle vaut bien l’autre : la grande tradition des coutumes collectives ancestrales dégénérée en spectacles touristiques car tout à fait morte celle-là.
N’allons pas faire cependant de Monsieur D un sauvage. Tous les jours il traverse sa rue morne pour aller dire bonjour à sa voisine qui tient l’épicerie-restaurant de l’endroit. Au petit garçon de celle-ci, tous les jours il apporte un œuf.
01:47 Publié dans Glanures | Lien permanent | Commentaires (4) | | Imprimer | | |
25.08.2015
Le loup et « l’art brut »
En ces temps post caniculaires, une réaction à chaud s’impose. Car il n’y a pas, sachez-le, que des raisons d’espérer! Un papier anonyme du 19 août 2015 sur le site de La Nouvelle République Indre est là pour nous en convaincre. Franchement, je vous le recommande si vous avez besoin de vous casser le moral en cette rentrée radieuse.
De quoi s’agit-il? Mais des jeunes espoirs de l’avenir, voyons! Si j’ai bien compris il s’agit d’un atelier d’été au Musée de l’Hospice Saint-Roch à Issoudun. Une photo montre une demi douzaine de sympathiques fillettes et garçonnets bien propres sur eux représentant sagement des araignées au moyen de brimborions en barquettes baptisés «objets naturels».
Sous la houlette d’une pédagogue qui fait ce qu’elle peut pour occuper les tipeus. Le loup car il y a un loup c’est qu’ils sont censés apprendre «à travailler l’art brut».
Cette remarque montre bien que l’auteur de l’article n’y connaît rien. Ce que confirme sa conclusion au clairon : «Plus de secret avec l’art brut». Si justement, monsieur l’issoldunois journaliste! Que des secrets avec l’art brut. Jamais élucidés. Et de la trouille épaisse à côtoyer sans faire comme si c’était une tartine de Brutella.
Je n’ai rien contre l’idée qu’on puisse aider les enfants à exorciser leurs cauchemars.
Quand ils le demandent. Et non quand les institutions ont besoin de justifier leur existence devant les parents qui trouvent commode de s’adresser à elles. Mais faire croire aux minots qu’ils font de l’art brut en classe dirigée, c’est du foutage de leur innocence. Même si on cherche pour cela la caution de Pierre Bettencourt et de Monique Apple.
Même si on prend prétexte de l’exposition (jusqu’au 30 août 2015) des Veilleurs de Brigitte Terziev, une artiste qui mérite visiblement mieux. Beaucoup mieux.
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15:20 Publié dans De vous zamoi, Ecrans, Expos, Gazettes, Nos amies les bêtes | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : monique apple, brigitte terziev, issoudun | | Imprimer | | |
23.08.2015
Des pierres qui parlent en provençal
«Ça mérite pas! Je suis pas Rodin!» me dit Roger quand je lui demande si les journalistes locaux se sont intéressé à ses sculptures. Roger peut-être ne s’appelle pas Roger mais il ne tient pas à ce que son nom soit prononcé. Même s’il me laisse libre d’évoquer son travail sur le Net pourvu qu’il n’en sache rien.
Les cigales, Mistral,
une Arlésienne qu’il préfère de profil…
Roger sacrifie au folklore de sa Provence natale. Sans doute vaut-il mieux, dans un village, ne pas faire de vagues mais Roger aime la littérature. Vraiment. Quand nous arrivons, il lit Thyde Monnier. D’une démarche claudicante, il s’est approché quand j’ai garé Blanchette, ma Clio d’été, devant son portail. Les Québécois appellerait ça un parterre. Cet espace entre la maison et la route que les créateurs à l’état natif comme Roger aiment à transformer en showroom de leur imaginaire.
La route ici est un bien grand mot. J’étais partie à la recherche de l’entrepôt d’un brocanteur. Une erreur d’interprétation de mon soporifique GPS m’a mis sur la piste du lieu où Roger cache et montre (tout à la fois) sa tranquillité et ses créations d’art.
Un plaisant joufflu, une Torpédo,
un pélican sur un pilastre.
Une stèle à la mémoire d’une chienne dont Roger est inconsolable.
Avec celle-ci on approche du meilleur de cet autodidacte du bas-relief et de la ronde-bosse. La pierre des Baux qui abonde dans cette région du sud d’Avignon où Roger réside, le sculpteur en a fait sa confidente. Lui qui fut maçon et tailleur de pierres, elle lui parle. Elle l’avertit quand il risque de la fendre. Elle lui tend ses veines qu’il devine comme un sourcier.
Roger est d’un monde dont le moule est cassé. Son grand-père était carrier. Son instituteur exigeait qu’il parle français et non sa langue provençale. Une photo de sa classe prise en 1946 montre des gamins marqués par les privations de la guerre. Pareil homme incline à ne pas désespérer de 2015.
J’aime sa façon presque médiévale de renouer avec les Profits champêtres et ruraux. Les bergers, les faucheurs, il en connaît la hiératique noblesse.
Roger modestement sait bien quels sont ses morceaux de bravoure. Son mazet étoilé est d’une poésie indéniable. Et l’on composerait à loisir une galerie avec ses portraits (animaux compris).
«Si, Roger, ça mérite! Votre œuvre n’est peut-être pas abondante mais, issue d'un coeur sincère, elle suffit à justifier une vie».
17:11 Publié dans art brut, art naïf, Glanures, Sites et jardins, Vagabondages | Lien permanent | Commentaires (1) | | Imprimer | | |
03.08.2015
Une Norvège rustique-moderne
Pas d’eau chaude depuis 3 jours. Mon plombier est à la pêche. En Norvège. Un pays dont je rêve! Et mon daddy aussi dont la collection de timbres se la pète avec un tas de vignettes où s’étale le mot Norge.
Monsieur Mourad (mon plombier) a trop la frite avec ses escapades fish and chips! Pour me venger j’ai déniché sur une brocante le bouquin du photographe Rune Johansen : Insolite Nordland. Moi c’est Nordland qui m’a interpellée mais je vous vois frétiller des moustaches (ou du ruban Minnie) devant l’adjectif insolite. Vous n’avez pas tort.
Ce Rune né à BODØ (je le fais en cap car j’ai pas de petit Ø dans mes caractères spéciaux), une ville un peu au delà du cercle polaire arctique, excelle dans le rendu des intérieurs candidement kitchounets de ses parents ou voisins et les portraits plus dans leur jus-tu-meurs d’iceux. N’allez pas croire que je bouffonne.
Rune Johansen a inventé une variété d’insolite de la plus belle eau. Celle qui est si authentiquement au ras des paquerettes de la réalité qu’elle passe inaperçue. «Aucune de mes photos n’est mise en scène» déclare Rune Johansen. «J’immortalise la part de simplicité et de proximité qu’on trouve chez les gens ordinaires sans changer ni leur intérieur ni leur identité».
Tout un programme. Johansen révèle de ce fait le sens rustique-artistique du décor intime de ses concitoyens du terminus nord constituant son pays natal. Sa préface qui évoque sa rencontre inaugurale avec Erlend, un vieil original mal léché, seul habitant d’un coin abandonné au bout d’un fjord, vaut 10. Elle prélude aux rencontres avec les personnes dont le photographe a eu la permission de faire le portrait.
Sa tante Sigrid près de sa lampe Cerf dans le coucher de soleil. Les jumeaux Kiss et leurs tatouages identiques.
Simon, un géant viking auteur d’une toile naïve représentant son chalet.
Shirlei et son uniforme de collectrice caritative. Sans oublier d’autres personnages aux noms plus pittoresques tels que Stale le salaud et Henrik la ferraille. Plusieurs d’entre eux sont des accumulateurs compulsifs comme oncle Leif dont la vieille écurie est un chef d’œuvre limite art brut.
Je dis limite parce que Rune Johansen possède cette faculté rare de camper sur les limites où rien des choses de la vie n’a encore reçu de dénomination précise.
Que dire par exemple d’une chambre au portrait du roi Olav sur papier peint Muppet Show? Art modeste? J’aime la chambre de Truls qui orne la couverture du livre : l’histoire de la musique du monde entier tapissée sur les murs.
Truls est l’auteur d’un rouleau de 4 mètres où il a noté le nom des villes des USA de plus de 50000 habitants avec leur nombre en 1980-1990. Et puis il a appris le tout par cœur. «Du grand art, si vous voulez mon avis» commente le photographe. Je ne suis pas loin de penser comme lui.
18:07 Publié dans Ailleurs, Images, Lectures, VU SUR ANIMULA | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : rune johansen, photographes, norvège, art modeste | | Imprimer | | |