11.12.2005
Environnements bruts : restaurer, dérestaurer
Ces créateurs d’art brut, ils ne sont pas raisonnables ! Tout spécialement ceux qu’on appelle «les habitants paysagistes». Peuvent rien faire comme tout le monde : choisir un terrain stable pour construire leurs architectures « singulières », utiliser des matériaux qui ne se périment pas à la vitesse du yaourt, repeindre leur façade chaque année de la même couleur. Voilà en gros ce qui ressort de la journée d’études qui s’est tenue hier au musée d’art moderne de Villeneuve d’Ascq.
Du moins, ce qui transpirait des interventions des responsables de la restauration du site de Fernand Chatelain.
On aurait dit des avocats adoptant une stratégie de rupture du fait de la minceur de leur dossier. Ce n’était plus la cause des restaurateurs que l’on plaidait mais le procès du restauré que l’on instruisait en sourdine. Ce n’était plus la faible abondance des sources consultées (famille, voisins et quelques témoins photographes) ni la briéveté de l’enquête préliminaire (un mois, à ce que j’ai cru comprendre) que l’on justifiait mais l’évidente insouciance de Fernand Chatelain que l’on mettait en cause.
F. Chatelain et son épouse devant les 4 100 Q
Il est vrai que ce bougre là utilisait des bourrages de papier ayant tendance à moisir. Dans ces conditions, il faut reconnaître que les restaurateurs ont été bien bons d’adopter certaines de ses méthodes (concernant l’armature en grillage notamment) au lieu d’en préférer de plus modernes dont on ne s’est pas privé par ailleurs.
Des projections nous montraient les opérations de sablage, lissage, blanchissage et peinturage dont avaient bénéficié Les Quatre sans Q, certes entièrement relookés mais que viendrait peaufiner bientôt «une nouvelle patine». L’orateur suivant, le réalisateur Clovis Prévost a relativisé sans le vouloir cette habile plaidoirie. Evoquant le travail de l’architecte Jean-Pierre Jouve, restaurateur du Palais idéal du Facteur Cheval, qui se documenta pendant 3 ans, il a mis en garde, cependant, contre le danger d’aller trop loin, n’hésitant pas à dire qu’il «faudrait de temps en temps dérestaurer».
16:40 Publié dans Parlotes, Sites et jardins | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : fernand chatelain, art brut | | Imprimer | | |
Commentaires
La restauration des statues de Fernand Châtelain par l'association Hourloupe soulève des questions en effet. On notera que les restaurateurs qui se sont engagés à sauver ces oeuvres qui étaient sur le point de basculer dans le néant (je les ai photographiées en 2002 à ce moment devacillement pathétique et en même temps magnifique-ô la poésie des ruines!), ces restaurateurs, ne l'oublions pas, sont jeunes. C'est leur force, ils ne doutent de rien et réalisent ce que d'autres, plus rassis, plus vieux, remettent toujours à plus tard, par excès de scrupule, et laissant du coup ce qu'ils ont aimé disparaître corps et biens... Ils sont jeunes, mais c'est aussi leur faiblesse. Car ils se précipitent, ils ont des certitudes un peu trop ancrées, ils ne veulent pas perdre de temps à se documenter outre mesure. Ils s'aperçoivent, mais seulement en cours de route, quand ils ont déjà commencé à remplacer les statues absentes, qu'ils pourraient faire un appel aux photographes qui sont passés devant le jardin "humoristique", et pas seulement des photographes de la région (ce qui semble avoir été jusqu'aux débuts des travaux leur seule source de documentation, voir sur ce blog même le témoignage de ce M.Crétois auquel l'Infatigable a déjà répondu). C'est mettre un peu la charrue avant les boeufs. La jeunesse oublie qu'avant elle il y a eu quelque chose, quelqu'un d'autre. Ce n'est pas bien grave sauf quand on veut justement s'occuper de restaurer les choses du passé. Il était étonnant de voir à la journée d'études du 10 décembre la restauratrice des sculptures de Fernand Châtelain, Laure Chavanne, présenter ses travaux sans songer un seul moment à instaurer un dialogue avec celui qui nous a laissé des documents photographiques et filmiques remarquables sur Châtelain (il s'agit d'un photographe d'art et de toute première grandeur), qui se trouvait à la table des intervenants, à deux chaises d'elle, j'ai nommé Clovis Prévost...
Il est cependant difficile de vouloir se lancer dans une critique qui deviendrait vite acerbe si on se laissait aller (la différence entre les restaurateurs de Châtelain et Châtelain lui-même ne tient -elle pas tout entière dans ce fait que celui-ci travaillait dans une pure dépense sans contrepartie, à perte, alors que ceux-là ont dû être salariés je pense? La différence ne tient-elle pas dans les 150000 euros que l'on nous annonce comme le coût global de cette restauration? Ce qui expliquerait les modifications d'infrastructures réalisées pour des questions de longévité -on ne dépense pas nos sous pour rien que diable!-, le côté trop lissé et léché des enduits (plus de bosselé, plus d'inégalité dans le traitement des surfaces, de cette inégalité qui trahit une maladresse qui nous émeut, ce qui fait que quand elle n'y est plus, notre émotion s'envole, et c'est triste...), et le côté trop uni, trop éclatant des couleurs -on avait déjà constaté ce défaut de couleurs qui "gèlent" quelque peu les statues de Camille Vidal transplantées dans le parc de la Fabuloserie à Dicy...).
On ne se laissera donc pas totalement aller à ces critiques qui me paraissent certes fondées. Car nous sommes aussi contents que des générations d'êtres plus jeunes reprennent le flambeau de la défense de ces sites populaires inspirés. Sans doute que la jeunesse du jardin de Fernand Châtelain a pu ainsi trouver un repêchage du côté de jeunes gens apparus bien après lui, au moment même où il allait sombrer dans l'anéantissement, dans une sorte de dialogue des jeunesses intemporelles malgré le vandalisme et l'indifférence.
Écrit par : Bruno Montpied | 12.12.2005
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