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11.10.2008

Gentil chapon touche du bois

L’autofiction est à la mode et Schwarz-Abrys, un de ses devanciers, sort de l’ombre avec Gentil chapon touche du bois aux Editions Cambourakis. «Encore un Hongrois», me direz-vous, «et encore un ouf» avec un titre pareil, dans une pareille collection (En Démence). Vous y êtes presque. Le nom de Schwarz-Abrys, pour les amoureux de l’art brut reste lié à une expo historique : l’Exposition d’œuvres exécutées par des malades mentaux (peintures, dessins, sculptures et décorations) organisée par le Centre Psychiatrique Ste-Anne du 16 au 28 février 1946

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Intérieur de l'exposition

Le 15, jour du vernissage, Gaston Ferdière, qui avait apporté des œuvres de Rodez, conférencie mais le catalogue dit bien que c’est «avec le concours de Schwarz-A» que l’expo se déroule.

Qu’est-ce qui vaut à ce peintre autodidacte qui s’est fait connaître en 1939 au salon des Indépendants avec des tableaux à clous, cet «honneur» et cette mission ? La virtuosité avec laquelle, après guerre, il joue avec l’auréole de la folie et avec son image de persécuté, tout à la fois.

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Né en 1905 à Satoraljanjhely dans une famille juive de journaliers agricoles, S.-A., peut-être à cause des mesures antisémites du régime d’Horthy, quitte la Hongrie pour venir en France où il se marie. Engagé volontaire au début du conflit mondial, fait prisonnier puis libéré, selon lui par erreur, il passe la période de l’Occupation à Ste-Anne. Réfugié ou patient ? Il entretiendra toujours le doute sur ce point, semblant se servir de ses symptômes pour décrire, par la peinture et la littérature, sa vie d’aliéné. gentil chapon 1950.jpg

Entre 1950 et 1955 (son heure de gloire), il publie 3 bouquins mêlant fiction et souvenirs asilaires.

C’est l’un d’eux : Gentil chapon… qui est réédité aujourd’hui avec une préface d’Anouck Cape.

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Celle-ci a le mérite d’apporter un peu de clarté dans la brume volontairement ourdie par Schwarz-A : «ce récit d’un internement ne cesse de jouer avec les limites (…) qui séparent la folie et la raison, le témoignage et la fiction, la vie et la littérature».
A l’époque, on a comparé S.-A. à Céline, ce qui est pousser loin le bouchon. Relisons plutôt, sur les mêmes thèmes, Force ennemie de John-Antoine Nau, le premier Prix Goncourt.

Force ennemie.gif

Les autres romans schwarz-abryssiens sont pourvus de titres aussi loufoques : Ni chardons ni duvets et surtout L’âne ne monte pas au cerisier (1950, mais pas trop coton à trouver sur le marché de second hand). Je résiste pas à vous en montrer la graffitique couverture et la racoleuse bande-annonce.

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portrait de schizo.jpgCe livre a par ailleurs l’avantage de contenir des repros –en noir, hélas– des portraits de fous d’un vigoureux expressionnisme (!) peints en live à l’asile par Schwarzys ou d’après études, allez savoir !

 

13:52 Publié dans Ecrits, Expos, Gazettes, Lectures, VU SUR ANIMULA | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : art brut, léon schwarz-abrys, gaston ferdière | |  Imprimer | | Pin it! |

Commentaires

Bonjour!
Je suis très intriguée par les photos de Schwarz-Abrys qui illustrent votre article. Pourriez-vous me dire d'où elles proviennent? Merci!

Écrit par : Curieuse | 13.10.2008

@ Curieuse

Je me souviens plus où j'ai ramassé l'invitation que je reproduis. Sans doute dans une de ces brocantes aux vieux papiers que je fréquente .
La photo du peintre en auto est anonyme.
C'est peut-être un photographe de l'hebdomadaire "Samedi soir" qui l'a prise.
Je l'ai agrandi parce qu'elle est pleine d'entrain.
La dame au volant est sans doute l'épouse du peintre. L'immatriculation de la bagnole est primitive.
Quelqu'un pourra peut-être nous en dire davantage sur ce curieux engin à 3 roues dont je n'ai vu l'équivalent que dans "The Party" de Black Edwards avec Peter Sellers.
Dans le tableau reproduit sous l'article du critique d'art Jean Bouret, on notera le côté "Jean Rustin" du personnage de droite.
Bonsoir, bonsoir.

Écrit par : Ani | 13.10.2008

En vous lisant, je me suis souvenu d'une visite au "Maître Schwarz-Abrys" (son épouse le désignait ainsi). Il y 20 ans, dans une boutique du bas de la rue de Maubeuge, transformée en galerie pour ses oeuvres. J'étais entré, un peu par hasard. Il y régnait une chaleur d'enfer. Comme au théâtre, il avait fallu attendre l'arrivée de l'artiste. J'étais mal à l'aise. Il l'avait senti. L'implantation de mes cheveux l'intéressait. Sur un ton d'observation malicieux, il me parla de ma "coiffure à la Méphistophelès". Lui-même arborait une belle chevelure longue et une barbe très blanches. Son élégance de rapin, en velours côtelé noir et cravate en lacet beige, contrastait avec les décorations de sa boutonnière. Il me demanda si je savais ce qu'était l'ordre de Malte et il s'étonna que je sache que Dubuffet fut d'abord marchand de vins. De sa conversation pleine de détours, de chemins de traverse, de digressions et de gloses sur ces digressions, sa compagne, qui le traitait comme une Pythie l'aurait fait d'un dieu, prétendait qu'elle devait son originalité aux origines hongroises de Schwarz-Abrys. Selon elle, son hésitation sur les genres grammaticaux le conduisait à "emberlificoter quand il ne savait plus si on doit dire le ou la" (je cite mes notes). Pierre Dumayet, avec qui S.-A. avait, parait-il, participé à une émission de télévision, aurait trouvé qu'il était "un client difficile" car on ne pouvait pas le couper facilement. Brigitte Bardot, Bernadette Chirac, le frère de Philippe de Broca, Marie Bonaparte, Raymond Oliver, le psychanalyste Jones, qui était, selon S.-A., son client, défilèrent dans sa conversation, trois quarts d'heure durant. Au chapitre des rencontres, il évoqua encore un personnage qui soutenait que l'émotion est le seul critère: "ça me touche, c'est bon, ça me touche pas, c'est mauvais", prétendait cet homme. "Imaginez de belles femmes nues", rétorquait à posteriori Schwarz-Abrys, "l'opinion ne sera pas la même suivant qu'on est un homme viril, un homosexuel ou un abélardisé, pourtant la femme reste belle quand même" (je restitue, je crois, fidèlement ses propos). A propos de l' article d'un journal financier évoquant le prix de ses tableaux, S.-A. parla nonchalamment de 2000 à 5000 francs. "20.000 à 50.000" rectifia son épouse. Il avait mal lu. On était en décembre 1988. La crise du marché de l'art était imminente.

Écrit par : Jean-Louis Lanoux | 15.10.2008

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