08.10.2012
Rendève avec Joinul au Dingoraminoir
Deux fois par an, j’ai des nouvelles de Joinul. Cet écrivain inclassable, sarcastique avec lui-même, énigmatique, persiste à dispenser ses bontés à celle qu’il appelle «Animula Volga».
De temps en temps il me fait une piqûre de rappel avec une de ses brochures réalisées avec le concours d’artistes : Federica Matta (voir ma note «sépulcrale» du 1er novembre 2011), JeCherryLaNuit pour des poèmes rouges et bleus intitulés na vou ja mé accompagnés de photomontages en surimpression.
Je me tue à essayer de lire les dédicaces échevelées. Joinul écrit comme un toubib. Normal puisqu’il fut médecin dans une autre vie. Médecin-psychiatre même. Ce qui lui valut d’être le révélateur de 4 cas d’art brut. René Le Bedeau, François et, pour les plus importants, Emmanuel le Calligraphe, Pierre Jaïn. Ceux ksa intéressent trouveront tout ça dans les articles de Joinul parus dans les Publications de la Collection de l’Art Brut : fascicules 4, 8, 10, 16. En ce temps là, sous gouvernement thévozien, la CAB honorait ses sources.
Drôle de médecin entre parenthèses, Pierre Maunoury alias Joinul qui partit en vrille en 1984 pour se consacrer corps et biens à la création littéraire et lettriste. Entré dans la carrière en novembre 1958. Jeune médecin-chef d’un hosto psy. S’en souvient encore, non sans malaise.
Ne l’appelez pas Docteur : «Univers d’aberration, encore plus asilaire que ceux fréquentés au cours de mes années d’internat». C’est que Pierre Maunoury a vécu la fin de ce monde fermé des institutions asilaires d’alors. De cette période où il s’usa le tempérament à mettre en place des lieux alternatifs, il a tiré en 1971 un livre hallucinant qui relate de l’intérieur la vie d’un hôpital psychiatrique : Dingoraminoir. C’est spécial!
Cela fait penser au premier Prix Goncourt de 1903 : Force ennemie, le roman de John-Antoine Nau.
Sauf que c’est écrit dans une langue plus délirante et calembourdesque et que Joinul mélange sans arrêt les personnages et le narrateur. On ne sait jamais si c’est un médecin ou un malade qui relate les extravagantes péripéties d’un quotidien aberrant. Fête à l’Art Sauvage, Graffiti sur ciment révélé par la salive, Statues fabriquées avec des dents, vocalisations : «A o iue e oi e oeau e ao», Jeu de la Libidoie, ex-votos de «fous du dimanche». Pour ne choisir que des exemples «artistiques».
L’auteur, ami de Robert Tatin et de Jean Dubuffet, a lu Raymond Roussel. Il pousse celui-ci dans ses retranchements bouffons. Il se soucie comme d’une guigne de la lisibilité linéaire. A vous d’inventer vos chemins de traverse pour arpenter son opus. Dingoraminoir jusqu’à peu était introuvable. La première édition ayant été pilonnée à la demande de l’auteur : des collègues à lui s’en servaient pour torpiller ses efforts de réformes. Ce «roman rebelle» reparait chez L’Harmattan sous couverture ornée d’un collage «hourloupéen» de l’auteur sur morceaux de draps d’hôpital. Je soupçonne Joinul d’avoir un peu arrangé/augmenté le texte initial.
Certainement pas Roger Gentis qui a donné ici à son ami Joinul une éclairante préface.
20:19 Publié dans Ecrits, Lectures, VU SUR ANIMULA | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pierre maunoury, joinul, john-antoine nau, prix goncourt | | Imprimer | | |
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