09.02.2007
Le mur de Martias
De Rouen à Sotteville-lès-Rouen, il n’y a qu’un pas et votre petite âme errante le franchit d’autant mieux qu’elle a reçu sur sa messagerie des tas d’ encouragements à poursuivre son bla-bla malgré la crève qui lui coupe le sifflet.
«J’ai été pas mal en accord spirituel avec toi» lui sussure-t-on d’un pays voisin.
«Ta note se rapportant aux travaux de Charbonnier est fascinante» lui murmure-t-on d’outre-Atlantique.
Quant à l’image du sieur Aulard dans son commentaire du 22 janvier à HP Réalités de 1955 : «un dessinateur qui ouvre des fenêtres très serrées les unes aux autres», elle provoque chez une de mes lectrices cette interrogation : «Faudrait-il voir aussi dans les sculptures de Martias, taillées sur les pierres du mur d’enceinte de son hôpital, des fenêtres ouvertes sur l’imaginaire, une tentative de désincarnation désincarcération ?».
Mais qui est ce Martias dont elle nous parle ? J’ai enquêté dans mon environnement de réducteurs de têtes et j’ai reçu des précisions tout ce qu’il a de claires de madame Béatrice Steiner, double-psy de son état. Comme c’est déjà tout rédigé, je vous en fait profiter tel quel parce que c’est l’heure de mon antitoussif.
Adrien Mesmin Martias a été admis à l’hôpital psychiatrique de Sotteville Lès Rouen le 4 février 1932 dans un pavillon «d’aliénés difficiles». Il y est mort de dénutrition comme des milliers de malades mentaux pendant la guerre, le 11 février 1943, à l’âge de 42 ans.
Après cinq années de tension et d’agressivité restées dans la mémoire des soignants de l’époque, un apaisement progressif se produit et s’installe de façon durable alors qu’il entreprend une activité de sculpture sur les pierres du mur fermant la cour du pavillon, ouvrant un espace de liberté au lieu même de l’enfermement.
Ce mur fut démoli en 1962 et nous devons à la vigilance du Dr Roland Beauroy la conservation d’une trentaine des pierres sculptées par Martias avec un simple silex, une clé de boîte de sardines ou un moignon de cuiller. Tous les renseignements médicaux ont disparu dans les destructions de la guerre. Ne restent que des témoignages et quelques informations administratives recueillies par le Dr Paul-Edmond Huguet et publiées en 1964 avec le Dr Beauroy aux Annales Médico-Psychologiques. Jean Dubuffet s’est intéressé à ces travaux comme en témoigne un courrier de 1965.
Le Dr Huguet a confié sept de ces pierres sculptées à la Section du Patrimoine de la Société Française de Psychopathologie de l'Expression et d'Art-thérapie. Elles ont été exposées à Athènes en 2004 lors de l'expositon L'autre rive
23:55 Publié dans De vous zamoi, Jadis et naguère, Musées autodidactes disparus | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : adrien martias, art brut | | Imprimer | | |
Commentaires
Chère Animula,
N'auriez-vous pas, dans les brumes des sirops, fait un lapsus? J'imagine qu'il fallait lire :"une tentative de désincarcération" et non de désincarnation...qui certes était en marche pour lui, si je comprends bien!
Je suis très émue par la première image de ce personnage figé dans la pierre, comme entré déjà, désincarné, dans la légende d'une impossible chevauchée fantastique que nous suggèrent les deux autres pierres.
Écrit par : Jeanne | 10.02.2007
Vous avez raison, atchoum, chère Jeanne, atchoum, je rectifie, atchoum
Écrit par : Animula Coryza | 10.02.2007
Félicitations, Animula, pour toutes ces découvertes: l'anonyme peintre dont quelques traces en images ont été si bien conservées par Jean-Philippe Charbonnier et puis cet Adrien Mesmin Martias dont, à moins de faire partie des cénacles de chercheurs en histoire de la psychiatrie, sans doute bien peu d'amateurs, je gage, avaient entendu parler jusque là. Et cependant, Dubuffet l'avait repéré! En voilà un qui veillait.
Béatrice Steiner a raison de relever l'espace de liberté qu'il s'ouvrait en sculptant le mur qui l'enfermait. Je l'ai souligné moi-même dans d'anciens articles sur les graffiti, particulièrement ceux du "prisonnier de Gisors" que l'on peut voir en moulage au Musée des Graffiti de Serge Ramond. En creusant les murs des prisons, des asiles, ou même de nos villes, on cherche une issue vers le jour.
Et vous, en le signalant sur votre blog, vous l'aidez encore, post mortem hélas, à trouver la sortie, y compris en dehors de l'histoire de la psychiatrie...
Écrit par : Bruno Montpied | 11.02.2007
Les commentaires sont fermés.