14.09.2010
Hassan, designer brut à Barcelone
L’inconnu de Barcelone. Encore de l’art brut et encore un nouveau cas révélé sur les ondes d’Animula. Un dessinateur. Africain. A l’air libre. Une œuvre. Discrète mais pas mâtinée cochon d’Inde, façon «art tribal en bandoulière» ou «artisanat cauries-raphia» pour touristes (15 % de naïveté et 85 % de beaux-arts mal digérés). Non, non. Un créateur brut de chez brut. Avis à la populace!
J’emprunte cette injonction musclée à l’affiche du Critérium Sauvage des Cascades qui roule ma poule ce dimanche 19 septembre 2010. J’aime la rue des Cascades. J’y ai déjà glané des graffiti que j’ai collé sur mon post du 4 novembre 2007 : Calaveras.
Ses habitants y suspendent des chaises dans le ciel.
On y croise des artistes, des petites filles qui s’appellent Violette et des garçons qui vont au pain en souriant comme Razibus Zouzou, le pote à Bibi (Fricotin).
Les soirs d’été je vais y boire des coups à La Fontaine d’Henri IV, micro-troquet posé comme une fleur au pied des escaliers de la venelle Fernand Reynaud.
J’y donne des RDV à mes fidèles lecteurs car Bellevill’Montant est un vivier d’Animuliens bien informés.
Parmi ceux-ci, un dénommé Eric, le découvreur de l’œuvre de Hassan, le fameux inconnu échoué à Barcelone «avec l’Afrique dans sa tête».
Eric pousse un peu ma théière pour étaler, sur le guéridon du café, les panneaux de bois tracés à la règle et subtilement colorés que je vous montre à mon tour. Choc positif. Emue comme me voilà, j’envoie planer d’un geste maladroit l’i-phone d’Eric sur le trottoir.
«On rentre pas dans son monde» me disait-il à propos d’Hassan. Machiniste de théâtre de son métier, Eric n’a pas l’habitude de garder ses yeux dans sa poche. Il dispose de la bienveillance nécessaire à l’approche des plus farouches créateurs de rue. Même si, comme Hassan, ils paraissent «très perdus dans l’alcool et les joints». Loin de ses Cascades, Eric a donc zoomé, un jour de vacances, sur ce jeune garçon sénégalais recroquevillé le long d’une palissade de la capitale barcelonaise.
Il avait aperçu les dessins sur planchettes de caisses à vin dispersées près du jeune homme. L’auteur de ces dessins, d’une inspiration géométrique qu’on peut seulement rapprocher de celle d’Hélène Reimann,
Collection abcd
affectionne les encoignures, la proximité des poubelles, les lieux sévèrement taggués, l’ombre mitée.
Il en a fallu à Eric de la patience pour parvenir à rencontrer son regard!
Le paradoxe est que ce créateur homeless, qui s’accommode de l’inconfort le plus total et qui vit dans le dénuement, ne semble rêver qu’à du mobilier fonctionnel et à des maisons à toits plats à la déco en damier.
Bauhaus du pauvre sur lequel un grand oiseau semble vouloir se percher.
Des outils aussi, qui font écho au petit matériel qu’Hassan transporte dans une toile roulée et qu’il déballe sur le trottoir pour travailler : crayons de charpentier, marteaux, pieds à coulisse.
Humble matos avec lequel ce designer du type «clochard céleste» sertit élégamment (souvenir de quelle forge de village?) l’émouvant petit poinçon en cuivre qui lui sert de marque de fabrique ou de signature.
23:55 Publié dans Ailleurs, Glanures, Images | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : art brut, rue des cascades, hassan le designer brut, barcelone, hélène reimann | | Imprimer | | |
Commentaires
La dureté du trait a le tranchant d'un couteau, d'une découpe à la japonaise - sauf l'oiseau. Contraste saisissant. Est-ce l'aile protectrice qui le recroqueville contre la dureté du mur et de l'asphalte, et pour finir l'y "poinçonne"?
Merci pour cette découverte!
Écrit par : Béatrice Steiner | 15.09.2010
J'ai croisé plusieurs fois un jeune SDF qui dort dans une sorte de cabane en tôle de chantier juste avant le pont d'Austerlitz (quand on sort de la gare pour aller vers Bastille) il est occupé tous les soirs à peindre sur de petites planches des sujets naïfs : oiseaux, végétation...
je suppose qu'il les vend, je n'ai pas oser lui demander, j'y penserai une prochaine fois s'il est toujours là.
Écrit par : Cosmo | 15.09.2010
@ Cosmo (bravo)
Eric, avec Hassan, a eu les même scrupules que vous, cher observateur de la création urbaine sans collier.
C'est tout à votre honneur cette crainte d'oser. Le tact est indispensable à la découverte.
Ceci dit, Eric a bien fait d'HT quelques pièces à Hassan. Les créations de la rue sont si menacées qu'il importe de les préserver. Non seulement elles témoignent de la pérennité de l'art brut mais encore elles prouvent que quelque chose de positif peut venir du pavé (ou du ruisseau).
Mieux vaut en la matière de petites sommes renouvelées qu'une grosse d'un coup à cause des dangers auxquels sont exposés les S.D.F. Et puis ça peut permettre d'approfondir les contacts. Vous le savez bien.
J'espère que vous allez précipiter cette "prochaine fois" dont vous parlez. Le moindre changement de météo peut provoquer l'envol de votre créateur d'oiseaux. La moindre curiosité inopportune aussi.
Ici, nous sommes entre Animuliens de bonne compagnie mais gardons nous, à l'avenir, de trop localiser de tels dessinateurs. Ils n'ont pas comme nous de "chez eux" où se retrancher.
Bon, je bavarde... J'attends vos photos des oeuvres de l'inconnu du pont d'Austerlitz sur ma boîte e-mail.
D'avance merci.
Écrit par : Ani | 15.09.2010
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