11.09.2011
Vaudou de chez Cartier
Vaudou de chez Cartier, ce n’est pas mon nouveau parfum. Vaudou c’est pas doux. C’est le titre de l’expo de la Fondation Cartier que vous feriez bien de vous dégrouiller de voir (si ce n’est fait) parce qu’elle se termine le 25 septembre 2011.
Choisissez pour cela une de ces journées étouffantes dont nous gratifient cette arrière-saison parisienne. Rien de tel qu’une atmosphère tropicale pour ajouter au mystère de ce rendez-vous avec un ensemble exceptionnel de sculptures bocio provenant des collectes du grand collectionneur et «expert autodidacte» Jacques Kerchache lors de ses voyages en Afrique de l’ouest.
Cliquez dans l'image pour voir le film tiré des archives de Jacques Kerchache
Dans l’actuel Bénin (ex-Dahomey), berceau du vaudou, culte et tradition philosophico-magique ancienne. J’ai conscience de vous imposer là encore un écart par rapport à mon thème de prédilection mais quand je lis que Mawu, le plus grand des dieux vaudou, s’appelle parfois Mawu-Lisa car il est à la fois masculin et féminin, comment voulez-vous qu’Animula Vagula ne se sente pas concernée?
Bocio signifie «cadavre qui a des pouvoirs». Et ces statuettes en bois, faites d’une accumulation d’éléments (ossements, cauris, fibres végétales, cheveux, machoires d’animaux, cordes, cadenas, argile, huile séchée, patine sanglante sacrificielle demeurée secrète) sont des objets-passeurs entre le monde des humains et celui des esprits.
Même sans leur poison ou leur substance-médecine, jadis contenus dedans, elles restent détentrices d’une force respectable qui n’est pas sans rappeler celle que nous rencontrons en fréquentant de grandes œuvres d’art brut. Avec cette force psychique, un autre monde fait irruption. La violence du choc nous frappe au cœur, de sa masse pétrifiante. C’est pas de la rigolade. Les ligatures sont là pour nous rappeler que, dans des sociétés qui n’ont pas -comme la nôtre- cantonné la sorcellerie à un rôle folklorique, on peut réellement claquer le beignet à un méchant.
Le cahier olivâtre qu’on distribue à l’entrée de l’expo contient la liste des œuvres montrées. On n’est donc jamais obsédé par les cartels quand on visite les bocio d’en haut (troncs d’arbres sculptés disposés en cercle comme dans la cour d’un village) et ceux de la salle du bas (statues plus petites alignées sur des supports carrés et protégées par des cubes transparents. Un peu à l’écart, le Chariot de la mort, un bocio biface, qui se reflète dans un bassin, est relié par des chaînes à des crânes de crocodiles. De quoi figer le sang!
La très élégante scénographie d’Enzo Mari a le mérite de servir la lisibilité. Mais son parti pris d’esthétisation (conforme à l’esprit Kerchache), s’il révèle la sauvage beauté des objets, met un peu à distance la force dont je parlais plus haut. De ce point de vue, j’avais été plus impressionnée par l’expo plus bordélique de Genève, il y a 3 ans (voir mon post Au pays des zombies du 3.07.2008). L’ambiance fouettait davantage même si les œuvres étaient moins remarquables. Si vous avez pas 49 € pour le catalogue, raflez les documents pour les enfants. Ils sont beaux, bien faits et on peut les mettre entre les mains d’un adulte.
C’est dire si la Fondation Cartier n’infantilise pas son jeune public. C’est assez rare de la part d’une institution muséale pour que ça soit souligné.
Les photos des œuvres de la collections Anne et Jacques Kerchache sont extraites du dossier de presse de l'exposition.
©Yujy Ono
23:52 Publié dans Expos | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : arts premiers, vodou, jacques kerchache, bocio, bénin, dahomey, mawu-lisa | | Imprimer | | |
Commentaires
Animula a raison: dépêchez-vous d'y aller. C'est vraiment proche de "notre" sujet. Chaque objet est la combinaison personnelle d'éléments prélevés selon un rituel privé qu'on peut apercevoir malgré son secret nécessaire.
Chaînes et ficelles à tous les étages : on ne peut pas oublier que c'est dans cette région qu'on a ensuite déporté les esclaves.
Et cette belle citation: chaque fois que l'on défait un nœud, on trouve un dieu.
Écrit par : Béatrice Steiner | 19.09.2011
Concernant le "garottage", une autre chose frappante: la présence des cadenas, symbole surdéterminant de la chaîne (étymologiquement: "cadena").
On pense aussi aux "cadenettes", ces tresses sur les mâles visages des soldats de l'empire.
Quelque chose pour bloquer la chaîne symbolique? Un truc pour s'attacher les coeurs? Dans le livret distribué à l'expo Kerchache, on lit que ces cadenas renfermaient les poisons visant à ensorceler l'ennemi. Philtre de haine ou philtre d'amour n'est-ce pas du pareil au même?
Les amoureux qui, aujourd'hui, attachent les leurs (de cadenas) en des endroits privilégiés ne font-ils que conjurer le risque d'abandon? Cet usage populaire mériterait d'être mesuré à cette aune car comme toute pratique magique vivante dans nos contrées positivistes, il passe étrangement inaperçu.
Écrit par : jean-louis lanoux | 23.09.2011
Chaîne vient de "catena" (en latin) et non "cadena", mais cela dit, vous avez raison, "cadenas" vient bien comme "chaîne" de "catena".
Les cadenettes? Mouais... Un peu tiré par les cheveux. Je ne sais pas. D'autant que ça vient d'un sieur de Cadenet (Vaucluse), sous Louis XIII, mais bon, si dans votre esprit ça peut évoquer ça, disons que c'est un beau hasard paranoïa-critique.
Sur les cadenas des amoureux, notamment ceux qui régulièrement sont placés depuis des dizaines d'années à l'entrée du Ponte Vecchio de Florence, j'ai lu un article dessus dans une revue d'anthropologie il y a quelques années, mais je ne sais plus où.
Stepan Borowiec
Écrit par : Borowiec | 23.09.2011
moi aussi je suis fou du chocolat Lanvin
stef
Écrit par : stephane lemonnier | 23.09.2011
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