« 2014-03 | Page d'accueil
| 2014-05 »
10.04.2014
Préempter l’art brut
Dans la jungle de nos villes, le lion de l’État n’est jamais mort ce soir.
Non content de rugir des taux de TVA intimidants, il arrive qu’il ôte carrément de la bouche du collectionneur sa pauvre proie capturée en vente publique.
C’est ce qui est arrivé récemment lors de la Saison 3 d’une vacation Beaux-Arts à la Galerie rue Visconti.
Un de ces effrontés guépards qui courent derrière la moindre feuille volante qui passe, avait réussi à mettre la patte sur les Cinq petits inventeurs de la peinture.
Sans trop s’essoufler car les guépards, s’ils ont de l’appétit, manquent de thune sur la fin, c’est bien connu. Pour ce modeste papier plié en deux, notre infortuné enchérisseur avait pourtant de la réserve. C’est que ce tract-présentation d’une exposition lilloise de 1951 à la Librairie Marcel Evrard promettait la substantifique moëlle de Paul End (Paul Engrand),
Photo : Collection de l'art brut
Alcide, Liber, Gasduf (Gaston Duf),
Photo : Collection de l'art brut
Sylvocq (Sylvain Lecocq),
Photo : Collection de l'art brut
figures de l’art brut des origines, issus de l’Hosto Psy de Lommelet. De quoi saliver quand on a la fièvre acheteuse! Hélas, le coup de marteau fut suivi d’une claironnante «préemption» et notre guépard dut rentrer à la niche en maugréant.
Pour ceux qui l’ignorerait encore, la préemption est un droit régalien permettant à une collectivité publique, musée, archives (ou comme ici bibliothèque) d’acquérir en priorité un bien acquis aux enchères par un particulier. Rien à redire à ça puisque c’est la loi. Dura lex sed lex.
N’empêche qu’il n’est de loi qui ne s’applique avec doigté. Comme le dit Fabien Bouglé dans sa note sur Le Bon usage de la préemption parus dans Les Lois du marché sur le site de La Gazette de l’Hôtel Drouot : «En principe, la préemption, procédure exceptionnelle, n’est possible que pour les biens représentant pour la collectivité un intérêt majeur. (…). Si le bien est plus commun, l’État ou les collectivités publiques réaliseront leur achat comme un acheteur ordinaire, en entrant dans le jeu naturel des enchères».
Les amoureux de l’art brut seront ravis de constater que les Cinq petits inventeurs qui montèrent le samedi 5 avril 2014 jusqu’à la somme astronomique de 110 € (cent dix malheureux euros, vous avez bien lu !) furent considérés par la Bibliothèque Kandinsky, le préempteur, comme un bien d’un intérêt majeur. Même si le texte de Jean Dubuffet qui y figure est parfaitement accessible dans le tome 1 (pages 509-511) de Prospectus et tous écrits suivants publié à grand nombre par Gallimard.
La morale de cette histoire, je l’emprunte à cet écrit : «On appelle sain et raisonnable l’homme qui adhère totalement au mythe collectif». Et je la dédie à ceux qui, parmi les marchands d’art, seraient tentés de multiplier les clins d’œil aux institutions pour qu’elles affectent leurs maigres crédits à cet art brut dont elles ne voulaient pas hier et qu’elles vont enterrer aujourd’hui.
20:24 Publié dans art brut, De vous zamoi, Encans | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : paul engrand, gaston duf, sylvain lecocq, jean dubuffet | | Imprimer | | |
05.04.2014
Le surréalisme à la petite semaine
Voilà que je me suis dis en en jetant un (d’œil) sur le communiqué de presse m’informant un peu tard de la participation du Musée de la Création Franche à la Semaine surréaliste organisée par le Théâtre de la Rencontre à Bordeaux.
Non que je trouve illicite qu’on veuille gratouiller aujourd’hui encore les liens entre surréalisme et art brut mais j’ai sursauté, je l’avoue, en apprenant que dans l’exposition éphémère (du 7 au 12 avril 2014) montée pour l’occasion au Musée de Bègles on notait la présence de Simone Le Carré Galimard parmi des épigones ô combien tardifs du mouvement dirigé par André Breton. Certes SLCG a la réputation d’avoir réalisé des reliquaires (qu’elle appelait plutôt des boîtes) mais s’il suffisait de fabriquer des reliquaires pour être surréaliste alors les carmélites le seraient et réciproquement.
J’ai déjà eu l’occasion de vous toucher deux mots par ci par là à propos de l’œuvre et de la personnalité de cette artiste dont la floraison tardive s’épanouit en bouquet final dans les années 90. Ses assemblages où dominent les plastiques colorés, ses collages à fragmentation d’images de jolis corps féminins nus et parcellisés, ses masques et pantins d’un primitivisme moderne mariant ingénuité et dextérité sont visibles en grand nombre à la Fabuloserie.
Plutôt que la rue Fontaine ou la brasserie Cyrano, c’est l’atelier de Germaine Richier dont elle fut la massière,
c’est La Palette, rue de Seine que Simone Le Carré fréquenta.
Pas plus que de Montaigne et la Boëtie, elle ne fut l’amie de Dali, de Miro, de Ernst ou de Man Ray. Simone fut la confidente de Yolande Fièvre, dans un rapport de proximité avec Jean Paulhan, par ricochet.
Les peintres Jean Criton
qui exposèrent avec Bernard Réquichot
lui furent par ailleurs chers. Ce n’est pas là le premier cercle de famille du surréalisme! Aussi n’est-il pas surprenant que ce fût en se détournant de celui-ci que Simone Le Carré accédât à ce qui fit sa spécificité.
Abandonnant les dessins à la plume et les compositions qu’elle projetait pour une illustration des Chants de Maldoror,
Simone se lança témérairement dans sa voie de corrosion et de conglomération, sa voie de colle irrespirable et de matières fondues, de papiers froissés et de colifichets rescapés de la décharge.
Elle touche ce faisant, par des moyens qui ne doivent pas tout au hasard, à un onirisme de fond, à un gisement structurel intérieur qui se distinguent du petit gibier de l’automatisme de surface dont se contente trop souvent un surréalisme quasi centenaire épris de métaphores littéraires, d’étrangetés séduisantes et de théâtralité des images.
20:23 Publié dans De vous zamoi, Expos | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : simone le carré galimard, création franche, germaine richier, yolande fièvre, jean criton, dominique d'acher, bernard réquichot | | Imprimer | | |