13.05.2012
Dématérialisation du V
Trop de papiers chez moi. Je froisse, je jette, je déchire, je dématérialise à tour de bras. J’ouvre de nouvelles fenêtres, je crée des dossiers. Je scanne des trucs zarbis qui tombent de l’air du temps.
Tel ce «recueil historique» consacré à la 22e lettre de l’alphabet : le V (de la Victoire, bien sûr).
Je possède deux exemplaires, dans des formats différents, de cette brochure, publiée au début juillet 1945, que les marchands de raretés bouquinières ont tendance à classer dans la mouvance des productions relevant de la folie littéraire.
Folie typographique plutôt puisque Pascal G. Dubonville, l’auteur-éditeur, qui se présente comme «prisonnier-déporté», a adapté son texte libératoire pour le saturer de V imprimés en cap et en gras par G. Granguillot, «maître-artisan F.F.I.». «Hitler-le-Vampire, le Verbeux Goebbels, Himmler-la Vipère et le Volumineux Goering» en prennent pour leurs grades et ce n’est pas dommage.
Les plaies de la guerre sont encore ouvertes et les illustrations du peintre Robert Mahélin évoquent, dans un style narratif à l’expressionnisme teinté d’innocence, les crimes des Nazis et de leurs séides collaborationnistes, les combats des Alliés et de la Résistance, les bals de la paix.
Vive la Vie Véloce, Véritable et Vibratoire donc! La beauté bordélique de l’art brut aux antipodes des austérités de l’uniformément laid! Rien de tel pour vous remettre un cœur fatigué à l’ouvrage.
A trop dématérialiser, il arrive qu’on se dématérialise aussi. La rationalisation a du bon mais le désordre aussi. Du moins cette forme supérieure du désordre qui favorise les transversalités.
Voici, tombés sur ma table d’opération comme le parapluie et la machine à coudre de Lautréamont, cette composition décorative d’Augustin Lesage et cette image du temple de Madurai qui orne la couverture de En Inde, un livre de Catherine Donzel (De Monza Editeur, 2007).
Rien que pour le plaisir de suggérer aux amateurs de sources (ou de passerelles entre art brut et productions culturelles médiatisées) une piste photographique possible : celle du procédé Photochrom dont le brevet fut déposé en 1888 par le Suisse Orell Füssli. Ce procédé d’impression lithographique à base de photographie fut supplanté par l’invention de la photographie en couleurs et abandonné dès les années 1910. A cette époque, le mineur Lesage avait 34 ans. L’année suivante il entendra une voix lui annoncer son destin de peintre.
Le Photochrom avait la particularité de permettre un rendu des couleurs «d’une subtilité et d’une richesse inouïes» (opus cité). Il n’est pas impossible de penser que Lesage ait été sensible à l’ambiance poétique un peu irréelle qui caractérisaient ces photos-souvenirs en couleurs, commercialisées dès 1889 par Photoglob, la société créée à Zurich par l’inventeur du procédé. A condition bien sûr qu’elles lui soient tombées sous les yeux.
Hypothèse, Hypothèse. Hypothèse risquée, peut-être, mais qui porte à rêver.
16:06 Publié dans art brut, Ecrits, Miscellanées | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : pascal g.dubonville, robert mahélin, augustin lesage, art brut, catherine donzel, orell füssli, photochrom | | Imprimer | | |
04.12.2010
Augustin Lesage inspire Max Hattler
Que ferait le genre humain sans l’internationale? L’internationale des Animuliens s’entend. De Suisse, l’un d’eux me branche sur le travail de Max Hattler avec ce commentaire pour le moins laconique : «assez étonnant». Jugez-en vous même! Moi, c’est vachement envoûtant, que j’aurais tendance à dire devant les films expérimentaux de ce media-artiste allemand. Deux d’entre eux, intitulés 1923 Aka Heaven et 1925 Aka Hell, s’inspirent d’une œuvre du peintre Augustin Lesage, mineur de son premier état et créateur d’art brut majeur devant l’éternel.
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Dans le genre imagerie techno, ces animations en boucle sont belles à tomber avec leurs brassages de motifs fluos toujours renouvelés, non? Surtout ce qui me frappe c’est que Max Hattler ne joue pas les prédateurs. S’il emprunte à Lesage c’est pour lui restituer. Son activité d’artiste visuel sur l’espace, le mouvement, l’abstraction et la fusion des formes, prolonge (et accomplit dans une certaine direction) l’œuvre d’Augustin Lesage.
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Hattler en relaie donc le message symbolique pour le faire passer, sans le pasticher, le caricaturer ou l’affaiblir, sur le terrain de la culture du XXIe siècle, indissociable de l’électronique. Bel exemple, quand on y réfléchit, d’un possible dialogue entre art brut et culture contemporaine par le truchement d’une transformation esthétique véritable.
On est là aux antipodes des tristes juxtapositions où de vivifiantes œuvres d’art brut sont (par contresens déguisé en modernité) mêlées à de moribondes pièces d’un art conceptuel en déclin au seul avantage de ce dernier. Attention, si vous êtes sensibles aux effets stroboscopiques, consommez les films de Max Hattler avec modération car ils ont un pouvoir hypnotique
23:22 Publié dans art brut, Ecrans | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : augustin lesage, max hattler | | Imprimer | | |
22.06.2008
Lesage, Trenkwalder : confrontation à la Maison rouge
«L’œil du collectionneur» est dans la Gazette de l’Hôtel Drouot n°24 (20 juin 2008) et il nous regarde par le biais d’un portrait de Bruno Decharme accompagné de ses «propos recueillis» par Geneviève Nevejan. Un long métrage est sur le gaz, le marché de l’art brut U.S. est florissant, «George Widener (…) mémorise les dates des catastrophes aériennes depuis quatre cents ans (…)». Rien de vraiment neuf dans cet entretien, si ce n’est qu’il marque l’émergence d’un concept tout droit sorti du chapeau de l’article, celui de collectionneur-conseil : «le cinéaste est depuis vingt-cinq ans l’observateur des artistes mais aussi le conseiller du marché de l’art brut».
Des œuvres d’Augustin Lesage appartenant à Monsieur Decharme figurent dans l’exposition qui commence à la Maison rouge à Paris.
Et là, votre petite âme errante pousse son cri primate : «iiiiiiiiiiiiiiiiii». Elle y est allée et elle en est toute retournée. Des accrochages de cette qualité, vous êtes pas prêts d’en voir souvent. J’étais partie boulevard de la Bastille avec mes préjugés en bandoulière, bougonnante contre la détestable mode qui consiste à fourrer les pépites de l’art brut et l’orfèvrerie chichiteuse de l’art contemporain dans le même sac. Je croyais me farcir encore le mariage de la carpe et du lapin, du bouquetin Van Dongen et d’Hélène Smith, la gazelle de l’au delà et puis je suis tombée sur le troublant binôme Augustin Lesage/Elmar Trenkwalder. Je suis restée scotchée. Un orage pouvait tomber sur la cage des tourterelles (Birdhouse café) près de la salle principale, j’ai du me rendre à l’évidence. Là il se passe quelque chose. La confrontation des deux univers produit, mieux que du dialogue, des questions au spectateur.
Comme je connais mieux les œuvres de Lesage que celles de Trenkwalder qui s’exprime par des assemblages de céramiques émaillées, serpentines, fluides, torsadées et colorées, c’est d’abord les tableaux du mineur que je me suis mise à looker avec un max d’intensité.
La présence perturbante des stèles de guimauve, des totems phalliques épluchés de l’artiste autrichien me conduisant à redécouvrir les larves blanches qui roulent en vague dans certaines des toiles de Lesage.
Inversement la contemplation de ses vertigineuses symétries est comme stabilisée par les structures architecturales de Trenkwalder, moitié mobilier d’église baroque, moitié palais martien. Dans une salle en bas un petit format de Lesage avec 2 rosaces multicolores répond (ou interpelle) une cathédrale trenkwalderienne qui tient du poële germanique.
Sans abuser de ces parentés de formes et de couleurs, l’expo favorise l’écho entre les deux œuvres. Façon de nous dire que chacun des artistes (on peut employer le terme pour Lesage qui a fait carrière) s’abreuve à une même source souterraine. Une source à laquelle Augustin accède par les voies d’un automatisme souverain et ingénu tandis qu’Elmar y touche par le recours à des stratégies patiemment calculées.
Si cette trop belle expo nous apprend une chose, c’est que l’art brut génère sa propre compatibilité avec un certain art contemporain. Le confronter avec n’importe quelle production platement ordinaire sous prétexte qu’elle est d’aujourd’hui (ou hier) n’a d’autre intérêt que de faciliter sa consommation sur un marché international.
Se creuser le ciboulot pour découvrir les bons compagnonnages (il y en a), c’est ça le truc. Même si on triche un peu. Car, si j’ai bien compris, non seulement Trenkwalder connaissait Lesage avant de participer à ce pacsage mais son travail semble payer tribut au médiumnisme. Voir par exemple ci-dessous WVZ87, tumultueux dessin inclus dans un cadre meringué façon pâtisserie viennoise exaspérée.
Toutes les photos sont tirées du catalogue et/ou du dossier de presse
01:02 Publié dans Expos, Oniric Rubric | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : art brut, augustin lesage, elmar trenkwalder | | Imprimer | | |
02.01.2007
Art brut 2007 : 2 rétrospectives et 1 vente
Meilleurs vœux mes petits (animu)loups ! J’espère que vous serez contents de la nouvelle année car elle nous en promet de belles. J’ai noté quelques réjouissances en perspective pour vous faire saliver. Tout d’abord, ça va faire mal, l’expo Martin Ramirez à l’American Folk Art Museum de New York. «The first major retrospective of the self-taught master in more than 20 years» comme ils disent sur le site de l’AFAM.
Photo Phyllis Kind Gallery
Cela commence le 23 janvier 2007, autant dire sur les chapeaux de roues. Faudra vous procurer absolument le catalogue, surtout si vous lisez l’anglais ou l’espagnol. Sinon, vous aurez encore 137 illustrations en couleurs à vous mettre sous le verre progressif. L’expo déclinera 70 œuvres sur papier, ce qui est beaucoup pour ce créateur. Elle durera jusqu’au 29 avril. Le catalogue, sous la direction de Brooke Davis Anderson, commissaire de l’expo, coûte 45 dollars mais le change est favorable en ce moment.
Février, le plus court des mois verra le retour de Lobanov, «le plus important auteur d’art brut russe» selon le site de la Collection de l’Art brut à Lausanne qui lui consacrera à partir du 16 février une rétrospective, «la première grande» of course. Pour l’occasion, Lobanov a russifié l’orthographe de son prénom. Il a troqué son «Alexandre», trop occidental pour un «Aleksander» plus kremliniquement correct. Ne vous laissez pas désorienter pour autant. Il s’agit bien de ce créateur fasciné par les armes à feu dont la Galerie Messine avait, en 2003, largement contribué à révéler l’œuvre : Alexandre Lobanov pour ne pas le nommer. Le catalogue de cette galerie comportait 3 auteurs à son générique. Celui que nous promet Lausanne en alignera 19 sous les houlettes de Dominique de Miscault et Alain Escudier, responsables de la publication.
Augustin Lesage
Préparation de la vente d'art brut du 20 avril 2007
Je vous dirai encore que l’étude Tajan prépare sa grande vente d’art brut de printemps et puis j’éteindrai ma bécane pour me jeter dans les bras de Morphée.
00:10 Publié dans Ecrits, Expos | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : Martin Ramirez, Alexandre Lobanov, Augustin Lesage, art brut | | Imprimer | | |