24.11.2014
abcd : adn de l’art brut
Si je pouvais je mettrais Paris en bouteille et la maison rouge dans la poche de mon sac à dos. Pourquoi? Parce que la Collection Decharme qui y est exposée se déplie de l’entrée à la sortie comme un éventail japonais et que je me dis qu’elle pourrait se replier aussi. Ce serait pratique. Chaque fois que j’en aurais envie, je l’ouvrirais pour moi toute seule au lieu de la partager avec quantité de gens.
Mais je suis pas accapareuse. Je vous invite donc à la visiter sans craindre les heures d’affluence. Après un long couloir qui nous désintoxique des sirops artificiels du monde extérieur, on progresse d’enchantements en sortilèges, sous l’empire de sentiments forts, d’impressions rétiniennes durables et d’idées qui se mettent à vous pétiller sous la chevelure.
Au gré des méandres engendrés par les alvéoles inégales et biscornues qui s’offrent successivement à nous, dans un désordre contrôlé qui communique son rythme syncopé à l’expo. Sur le plan ça ressemble à une clé à molette en kit.
En vrai ça imite le fonctionnement chaotique de la pensée vivante. D’aucuns s’en inquiètent. «T’as fait des dessins?» questionne une mère, soucieuse de retenir sa fille qui court comme une balle de flipper. Liberté de photographier. Certains croient capturer l’inneffable dont ils sentent ici la présence.
Pour scander le parcours des visiteurs moins électriques, les organisateurs de cette exposition entièrement dévolue à l’art brut l’ont segmentée en 12 parties plus ou moins évidentes. L’une d’elle aurait gagné à être désignée par un terme moins lourdement philosophique que : Hétérotopies scientifiques. Une autre a des faux airs d’une chanson de Bashung : Vertiges de la chair.
Mais dans l’ensemble c’est cohérent quoiqu’un peu arbitraire. En voici le déroulé, emprunté au sommaire du book abécédien sorti pour l'expo:
Pourquoi 12 stations comme autant d’apôtres? On peut se le demander. On dirait qu’un refoulé biblique fait retour. Le voyage au pays de l’art brut decharmovien situe d’ailleurs très classiquement le chaos «à l’origine» alors que c’est plutôt tout au long du processus des œuvres qu’il se situe.
Un chaos délibérément organisé dans sa répétition même. Comme tel, ni commencement ni fin. Décalage structurel permanent. Ceux qui n’aiment pas qu’on les guide pourront tout aussi bien partir de ce cœur rouge palpitant : la petite pièce où le livre de Dellschau est présenté.
Et rayonner autour. Ou bien s’inventer des circuits personnels comme ces visiteurs qui pistent les pièces dispersées d’un créateur. Car cette exposition permet tout.
Son grand mérite c’est de n’avoir pas cédé à la facilité de nous promener dans une succession de salles dont chacune aurait été réservé à un créateur. La présence des nombreux anonymes et des pièces orphelines ne le permettant d’ailleurs pas.
L’exposition de la Collec Bruno Decharme à la maison rouge s’attaque de ce point de vue à une tâche impossible : une confrontation d’ensemble sur le mode thématique.
Elle n’en sort pas toujours gagnante. Exemple : les photos de Tichy paraissent soudain pâlotes dans le voisinage des Aloïse. Mais elle témoigne avec brio de la féconde hétérogénéité de l’art brut (autant d’art brut que de créateurs!).
Elle révèle paradoxalement, en s’en accommodant, la capacité de résistance à l’exhibition collective qui fait partie de l’ADN de l’art brut.
Bonus. Pas de panique pour la deadline. L'expo abcd à la mr se termine le 18 janvier 2015.
En revanche ça urgeotte pour la carte blanche qui lui fait écho chez Christian Berst : 29 novembre 2014.
17:24 Publié dans art brut, De vous zamoi, Expos | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : art brut, collection abcd, bruno decharme, maison rouge, antoine de galbert, galerie christian berst | | Imprimer | | |
20.06.2010
A.C.M. court le monde
Fut un temps où A.C.M. n’envisageait qu’avec répugnance le transport de ces œuvres. C’était il y a plus de 10 ans et cet «architecte du vide» (selon le mot de Béatrice Steiner dans le n°17 de Création Franche en juin 1999) qui construit en donnant le sentiment de déconstruire, parlait à ses machines avec de la tendresse sous ses grosses moustaches à la Flaubert. En ce temps-là, la présence d’un gentil chow-chow à la langue noire lui était consolante.
Il lui semblait impossible que ses sculptures puissent quitter son atelier installé dans une ancienne manufacture de tissage familial. Pourtant ses assemblages de petites pièces de machines à écrire, vissés, collés, patinés à l’acide étaient parfaitement costauds. Mais A.C.M. qui désignait son travail comme «un effritement qui dessinerait des choses» avait peur d’en perdre quelques morceaux.
Comme si sa propre chair risquait de partir en lambeaux. Il sortait à ce moment là d’une période où il n’avait cotoyé personne et où il avait pris tous les risques d’une absorbtion dans la création pour la seule création. Environné de ses productions, il souffrait de sa position inconfortable : attaché à sa solitude partagée avec le seul soutien de son épouse, assoiffé cependant d’être mieux compris des autres, sinon reconnu par un public d’amateurs.
Il a fallu de la patience aux petit nombre de ceux qui l’encouragèrent alors pour le décider à affronter le feu des expositions. Il inventa alors des conteneurs en bois où ses chers volumes, parfaitement stabilisés, purent prendre la route. Et quand il le fit, cet «écorché vif» entre le zist de l’art brut et le zest de l’art contemporain rencontra tout de suite des collectionneurs puis des marchands qui donnèrent à son œuvre son retentissement actuel.
La voilà maintenant qui traverse l’océan. Nous la retrouvons en Amérique, dans une expo de groupe (June 17, August 14) à la Galerie d’Andrew Edlin que votre petite âme errante félicite pour cela et aussi pour autre chose.
On signale également la présence d’A.C.M. dans notre vieille Europe, à Gent (Gand) en Belgique au sein de l’expo De Wereld Andersom (Le Monde à l’envers).
C’est au Musée du docteur Guislain que ça se passe dans le cadre de la sortie d’été d’une belle part de la Collection abcd.
Ceci jusqu’au 12 septembre 2010.
Après le 24 septembre 2010 et jusqu’au 9 janvier 2011, les mordus d’A.C.M. retrouveront l’artiste à la Schirn Kunsthalle de Frankfurt dans l’expo Weltenwandler/World Transformers, Die Kunst der Outsider.
19:12 Publié dans Expos | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : art brut, acm, collection abcd, musée du dr guislain, andrew edlin gallery | | Imprimer | | |