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Versailles : le Rose et le Noir
Encore Versailles. La poésie naturelle fleurit partout. Pourquoi pas à Versailles? A la mairie, par exemple : ce billet rose trouvé par un de mes émérites correspondants au guichet de l’Etat-civil. Un petit texte un peu sinistre rédigé d’une main légère, presque fantômatique.
Tombé de quel porte-cartes? Tout piqueté d’aiguille fine comme un talisman. «Bien sûr, ce n’est pas moi qui ai tenté de corriger l’orthographe des derniers mots dont le double sens m’enchante» souligne mon informateur.
C’est au verso d’un papillon officiel qui ne date pas d’hier que ce document autographe, digne de figurer dans mon reliquaire électronique, a été réalisé. J’espère qu’il vous plaira autant qu’il me plait, selon le souhait de l’Animulien sagace qui le découvrit
08.05.2014 | Lien permanent
Crimes et châtiments : Zoom sur Zoummeroff
Le hasard veut qu’au moment où paraît Subjectivité et vérité, le cours de Michel Foucault au Collège de France en 1980-1981, la Bibliothèque Philippe Zoummeroff passe en vente à l’Hôtel Drouot. Du moins sa partie consacrée aux Crimes et châtiments.
Un fort documenté catalogue dostoïevskien, décrivant 423 numéros, accompagnera cette vacation du vendredi 16 mai. Des bouquins, des manuscrits, des photos, des dessins, et même des objets curieux, tel un meuble à système contenant un trombinoscope criminel.
Ils méritent tous d’être estampillés «Surveiller et punir»! A la réserve peut-être du Capital de Karl Marx (n°353) dont on se demande ce qu’il fait là. Ce n’est pourtant pas l’œuvre de ce philosophe barbu qui fera problème. La Maison d’enchères Pierre Bergé & Associés a préféré en revanche retirer deux lots de la vente. L’un était une reliure à insertions de peau humaine (n°237). Celle de Louis-Marius Rambert (1903-1934).
Cet assassin repenti avait légué ses superbes tatouages à son médecin, le lyonnais Jean Lacassagne, auteur en 1934 d’un Album du Crocodile sur les Tatouages du «Milieu».
De semblables «prélèvements» seront montrés dans l’Exposition Tatoueurs, tatoués qui commence au Quai Branly mais la dimension commerciale change -on en conviendra- la donne.
Aussi Benoît Forgeot, l’un des experts de la vente, aurait-il tort de se désoler. C’est avec raison qu’il rappelle dans Le Monde du 9 mai 2014 que «cette collection n’a rien de fétichiste, elle est au contraire militante». Clarisse Fabre, auteur de l’article qui cite ces propos, précise : «Industriel à la retraite, Philippe Zoummeroff est un collectionneur engagé. Militant contre la surpopulation carcérale, il a créé une bourse pour la réinsertion des détenus».
Ceci dit, c’est étonnant que dans un corpus qui brasse les méfaits d’autant de grands sacripants (Landru, Dillinger, Bonnot, Marie Besnard, Dominici, Petiot, etc.), un corpus qui traite d’un tas d’horreurs historiques (tortures, massacres, sorcelleries, injustices), on n’enregistre pas de véritables dérapages.
Cela tient sans doute au choix rigoureux de l’iconographie du catalogue, toujours curieux, jamais complaisant. Vous m’avez comprise : il faut vous procurer cet ouvrage avant que l’étude soit en rupture de stock. Il deviendra vite collector.
Outre des infos sur des incunables du tatouage (les 12 photos de Robert Doisneau du n°245), il contient en effet bien des choses dignes de passionner des Animuliens addict aux dérivés de l’art brut.
Par exemple une flamboyante section de Dessins de prisonniers dont ceux d’Emile Simonet, dit Fanfan, chef d’une bande d’apaches dont le talent fut remarqué aussi par Jean Lacassagne.
Toutes ces merveilles, y compris la dernière (?) lettre et le dernier (?) dessin de Jean-Baptiste Troppmann (1849-1870) l’assassin de Pantin, sont visibles le jeudi 15 mai (11-18 h), salle 7.
Après, faudra sortir votre thune pour les avoir et les revoir. Mais ça, ce n’est pas interdit.
BONUS La photo de Rambert torse nu figurant dans la vente a été publiée en novembre 1932 dans le n°15 de la revue Paris Magazine. Elle illustrait un article de Roger Frédéric sur les Tatouages. Elle y est attribuée aux services du Docteur Locard, Directeur du Laboratoire de Police de Lyon.
13.05.2014 | Lien permanent
O(U)AF ! O(U)AF ! WAO ! WAO !
Marre. J’en ai marre des choses qui reviennent chaque année comme les feuilles d’impôt dans les boîtes à lettres. Raison pour laquelle je vous ai pas parlé de l’Outsider Art Fair de New York qui s’est tenue du 8 au 11 mai 2014.
Ouaf, ouaf ! Excusez le mouvement d’humeur. A force ça m’use le tempérament ces rendez-vous obligatoires. Et ça finit par enfermer l’art brut dans une case conventionnelle où il s’étiole. D’où mon silence. C’était compter sans les bonnes volontés de mes reporters. L’un d’eux m’envoie des images de la cérémonie rituelle que je vous restitue sans trop trier.
Notre Sylvain Corentin chez Cavin Morris. Ces élégances de brindilles emplâtrées ne sont pas sans me faire souvenir des bois de séverine qu’un certain Chomo tressait dans la forêt de Fontainebleau.
Verbena sur le même stand : toujours bon à prendre.
Sefoloscha chez Judy Saslow.
Et un petit jeune du nom de Nedjar chez la même.
J’arrête parce que ça ressemble trop à l’année dernière (cf. mon post Ça gaze à l’OAF du 8 février 2013). Mon honorable correspondant a ses petites préférences. Mais même quand je m’abreuve à d’autres sources, le sentiment de déjà-vu n’est pas rare. Difficile d’ouvrir les fenêtres. On a l’impression que ça tourne en rond. Le fourmillement de l’art brut est menacé par la rationalisation. Tout se passe comme si le marché se satisfaisait d’une certaine restriction au niveau des créateurs. But de la manœuvre : imposer quelques noms souvent répétés dans l’esprit du public de façon à ne pas excéder les capacités de stockage de celui-ci. Stratégie basée sur quelques réelles pointures : Darger, Ramirez, Deeds (Electric Pencil).
Et maintenant Marcel Storr dont on apprend qu’il a rejoint l’écurie d’Andrew Edlin, créateur de Wide Open Arts, la Société propriétaire de l’Outsider Art Fair. W(h)oa! A ce propos, MDR je suis quand Art actuel, le magazine des arts contemporains m’apprend que «la Galerie Andrew Edlin est très fière d’annoncer qu’elle est devenue la toute première à représenter les œuvres» de cet «artiste (sic) français autodidacte» qui n’a, bien entendu, jamais souhaité vendre quoi que ce soit de son vivant.
L’Andrew Edlin Galery projette une exposition Storr en septembre 2014. Celle du Pavillon Carré de Baudouin à Paris (France) dont j’ai rendu compte le 24 février 2012 (Storr j’adore!) n’aurait elle donc servi qu’à stimuler des appétits américains ? On peut se le demander. L’avenir dira si Mr Edlin renouvellera, grâce aux découvreurs de Marcel Storr, l’opération commerciale si bien montée avec Nathan et Kiyoko Lerner, les découvreurs de Henry Darger.
Il faut simplement avoir conscience que chaque fois qu’on parlera maintenant de Marcel Storr, cela équivaudra (du fait de cette exclusivité) à mettre deux thunes dans le bastringue du marchand new yorkais. Ce qui n’est pas à priori déconseillé, ouaf, ouaf, wao, wao.
BONUS 1 : Un autre Animulien nous envoie ce lien avec d'autres photos de l'édition 2014 de O(U)AF
BONUS 2 : la réaction d'un lecteur épris d'anonymat et de points sur les i.
Ça commence très fort.
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Bien chère animula vagula
Je ne partage pas totalement votre opinion et je crois même que vous êtes, en fin de compte, dans l'erreur. Ce salon, que je fréquente maintenant depuis de longues années évolue : il y a globalement moins d'historiques "Américains" type Traylor, Ramirez, Darger, etc... même si ces derniers, après spéculation, atteignent des prix délirants. Et il y a en fin de compte beaucoup de nouveaux venus : Nancy Josephson, Cissé, Verbena, Corentin, JJ Cromer, Couffignal, Staelens et bien d'autres encore, des Japonais, des Haïtiens, des Africains (galerie Degbomey), des Indiens (galerie Hervé Perdriolle).
Bien sûr, on part de loin, on pourra critiquer telle ou telle présence, mais le salon n'a jamais été aussi riche. Les photos ne reflètent pas toute la réalité : de nouvelles galeries apparaissent et les anciennes comme les galeries Cavin-Morris, American Primitive de New York, Just Folk de Los Angeles, Judy Saslow de Chicago, Bourbon-Lally de Haïti et bien d'autres présentent de nouveaux artistes.
En fin de compte, pour nous artistes, qui restons encore tellement marginalisés dans le marché de l'art contemporain, le but n'est il pas de collaborer avec les galeries les plus courageuses qui préfèrent présenter des artistes vivants plutôt que de surfer confortablement sur les stocks d’œuvres d’artistes décédés depuis des lustres? Existe t'il vraiment d’ailleurs pour nous une autre alternative?
Bien sûr, quoi de plus agaçant que cette imagerie d'Epinal de l'outsider que l'on se complaît à nous refourguer (qui est parfois d’ailleurs construite de toute pièce par l'artiste lui-même), que ces fausses mythologies sur les personnages et leurs œuvres. L’important n’est-il pas de tracer sa route, tout simplement, sans se poser la question de savoir si on est dans les clous, et au final de rentrer dans les imaginaires, sans verbiage superflu ? Inspiré et viscéral, voilà ce à quoi nous aspirons, humblement. Point final.
Mais vous ne pouvez pas savoir ce que c'est reposant de sortir de ce petit milieu français étriqué, apparemment si civilisé, qui pose ses gros mots partout, fait sa guéguerre puérile (ou intéressée?) entre vrais bruts, faux singuliers, expressionnistes, et j'en passe, en se fermant les yeux et se bouchant les oreilles pour ne pas voir que tout a éclaté, qu'on ne sait plus où mettre le curseur, car c'est impossible.
La boussole s’affole : qui vit aujourd'hui totalement à l'écart de la société? Qui n'est pas influencé par une imagerie extérieure? Ce n'est plus possible de faire avaler d'aussi grosses couleuvres. Vous n'avez qu'a vous promener dans les galeries de Chelsea, sur la 22e rue par exemple, pour constater qu'il y a des bouts de tout partout : d'immenses fresques brutes d'Anselm Kiefer, d'autres constituées de papier découpés composant d'immenses personnages très "outsiders", réalisées par un Américain ayant fait les Beaux-Arts, des salons de curiosité mêlant de la photo, des matières formidables avec des lignes pures, des installations pas si loin de Chomo...
Quel plaisir indicible de sortir de ces cases obsolètes et de s’autoriser quelques aventures hérétiques (photos, installations, etc…) juste pour voir les (faux) gardiens du temple crier au loup. Ce sont eux, les agneaux, qui vont se faire croquer tout crus…
Bien à vous, chère animula vagula
NB : vous connaissez le proverbe : « Qui aime bien …»
16.05.2014 | Lien permanent | Commentaires (1)
Scottie Wilson à l’université
Au chapitre des re-découvertes, il faut signaler le début d’une exposition Scottie Wilsonnienne à Ottawa le 12 mai 2014. Hé oui, on vernit le lundi au Canada! Ce qu’on nous promet? Des «œuvres inédites» conservées dans les collections du pays. L’occasion, paradoxalement, pour les commissaires, Jill Carrick et Pauline Goutain de montrer là-bas comment le grand Scottie fut chouchouté en Europe par les surréalistes et Dubuffet.
Pauline Goutain, on la connaît bien. C’est un membre du CrAB. L’expo ottawouaise durera jusqu’au 7 septembre 2014. C’est dire que vous pourrez très bien la visiter pendant vos vacances d’été, surtout si vous êtes Québécois.
Elle se tient au Cuag (Carleton University Art Gallery). Cuag, c’est rigolo comme nom. Et c’est facile à stocker dans une mémoire. Même une mémoire de piaf comme la mienne.
09.05.2014 | Lien permanent
Tagami Masakatsu : une première à Paris
C’est toujours comme ça quand je suis comme une loque. Il y a toujours une Animulienne de bonne volonté pour me sortir de mon silence. Et avec une découverte de taille en plus.
Cette fois-ci c’est Tagami Masakatsu, un Japonais du meilleur genre autodidacte. Il vit dans un village à une heure et demie de Tokyo. Son œuvre encore inconnue en France sera révélée au public parisien le jeudi 20 mars 2014 à partir de 18h, rue de l’Aqueduc dans le dixième.
Diane, mon informatrice, dont le patronyme (Winckler) a l’air tout droit sorti d’un roman de Georges Perec, professe. Dans une école d’art, s’il vous plaît ! Son enthousiasme pour la peinture de ce sexagénaire entièrement immergé dans son art est communicatif. «Elle est riche, foisonnante, libre» m’écrit Diane. Un portrait qui se minéralise jusqu’à se faire une montagne dans la tête accompagne le carton d’invitation au vernissage de l’expo Tagami.
Le texte a le mérite de ses phrases claires, assimilables par une petite cervelle comme la mienne. On y apprend que Tagami, dans sa jeunesse, ne savait pas trop quoi faire de sa peau. Qu’il s’est entièrement consacré à la création la trentaine venue. Que Tagami a eu la chance de naître dans une famille compréhensive qui lui donne des moyens pour vivre. En visionnant la vidéo sur youtube, on saura aussi que Tagami porte un T-shirt rose. Qu’il parle en douceur et avec humour de son passage-éclair dans une académie. Que les œuvres des autres artistes le laissent froid.
Neuf ans durant, il a travaillé de neuf heures du matin à neuf heures du soir. C’est qu’il a tant à faire! Il ne cesse de s’exprimer par les images qu’il produit, simplement et avec plaisir selon ses dires. Presque comme un enfant.
Ce qu’il en circule sur le Net suffit à nous convaincre du résultat. Avis aux amateurs! L’avenir dira si cette œuvre attachante sera relayée chez nous par les défenseurs d’une création qui, sans être de l’art brut, entretient avec celui-ci des affinités électives.
Parmi les acteurs du marché d’affaires «outsider», seuls ceux qui ne pensent qu’à se tourner vers une clientèle formatée par le conceptualisme officiel craindront de se brûler au feu généreux de l’expressionnisme de Tagami.
Laissons nous pour notre part toucher par la chaleur de ses couleurs. Par la gamme étendue de ses sonorités plastiques. Et par l’élégance décalée de ses gravures nourries d’une tradition déviée et sublimée.
C’est l’antenne parisienne de la galerie Atsuko Barouh à Tokyo (où la première grande exposition de l’artiste fut montée) qui nous présente Tagami. Barouh, Barouh, ça vous rappelle sans doute –chabada bada, chabada bada– le compositeur de la musique d’Un homme et une femme, le film de Claude Lelouch récompensé à Cannes en 1966.
C’est en effet à Pierre Barouh et à sa fille Maïa que l’on doit la découverte de Tagami. Et ça vaut bien une Palme d’or (brut).
09.03.2014 | Lien permanent | Commentaires (4)
Rococo brut saison 2
Vu que j’étais dans le revival, j’en ai profité pour aller jeter un coup d’oeil à mon «Tivoli sauvage» et secret. Revival Rococo caillouteux. Rococo brut 2 puisque mon premier post sur ce toujours mystérieux environnement d’art date déjà de près de 3 ans. Mon chéri faisait sa tête de cochon de devoir retourner sur nos pas.
D’une voix rocailleuse, il grommelait qu’on aurait mieux fait, avec la flotte qui tombait, de rester dans notre gîte rural pour jouer aux Milles bornes. Mon chéri adore se vautrer dans les jeux de société qui sont laissés à la dispo des moutards dans les locations de vacances. Moi, j’en avais soupé des 7 Familles, du Monopoly et des Petits chevaux et les échecs me font bailler car je suis pas Marcelle Duchamp.
Et puis je voulais vérifier (même sous un parapluie) que cet ensemble architecturo-sculptural était toujours en place et indemne. Et bien : bingo ! oui ! et même Oui-Oui comme dirait la chanson.
C’était toujours la même impression de temple exotique perdu dans la jungle tropicale.
Dans mon souvenir je voyais ça plus blond. «Sans doute la pluie qui accentue cette couleur de glaise» me dis-je (je me dis beaucoup). Mais non : à la comparaison, il n’y avait pas de différences. L’auteur des lieux avait joué subtilement des masses et des teintes des impressionnantes caillasses agglomérées dans ces compositions. On trouve ce genre de choses aux alentours, j’ai pu le constater. Tout encore était fermé dans ce château au bois dormant.
Je n’ai donc pu cette fois-ci encore visiter l’intérieur du domaine. Le créateur de cette demeure de rêve (à supposer que ce soit lui qui l’habite) reste inconnu. Restait donc à se passionner pour de captivants détails. Est-ce que ce chapeau rouge était là la dernière fois?
Je ne me souvenais pas de semblable poële à frire. Ce buste à la fois si romain et si barbare, comment s’était-il envolé de mon esprit?
Et ces terribles sabots d’un des personnages situés sous une gouttière comme il résonnaient maintenant!
Cette tête de vache qui fixait mon objectif, était-elle jusqu’alors cachée sous la frondaison?
Et cette coquille Saint-Jacques ready made? N’était-elle pas la parure de plumes minérale d’un crâne votif?
L’ensemble, à vrai dire, m’a semblé être l’objet d’une conservation attentive plutôt que d’un développement. Et c’est déjà pas mal.
11.07.2014 | Lien permanent
À Rothéneuf. Retrouver l’éternité.
Un ticket pour l’éternité. L’éternité à Rothéneuf. Une éternité humaine va sans dire. Quelques années sur la terre. Quelques minutes sur le site de l’abbé Fouré. A mesurer notre usure. Vertigineuse car tout ici, sous la lumière froide et les piqûres des embruns, évoque la dissolution dans le gouffre d’une création qui n’est autre que le gouffre de la nature.
Vingt ans sont tombés sur les frêles épaules de votre petite âme errante depuis sa dernière visite aux rochers sculptés et déjà le ciel lui pèse. La voici moins encline à sauter comme une chèvre jusqu’à la mer toujours verte.
Heureusement que son daddy ne l’a pas accompagnée. Elle n’aurait pas aimé qu’il s’aventure sur la langue noire et humide qui vient lécher les vagues.
Comme de courageux touristes le font.
Avec la précaution nécessaire toutefois.
Mais «trève de nostalgie» comme dit le chéri que j’ai. «Les Rochers sculptés se meurent d’accord mais on va pas en faire une montagne». C’est la grandeur du truc d’évoluer dans ce sens. D’ailleurs ils ne meurent pas. Progressivement ils s’effacent. Usés de trop de vent, usés de trop de pluie.
Lessivés de trop de commentaires aussi car les supporters de Fouré ne font pas toujours dans la dentelle. A leurs ovations parfois pesantes je m’en voudrais d’ajouter. Il n’est pas nécessaire, j’en suis sûr, d’enfoncer un clou dans vos mémoires.
Je me contenterai donc de célébrer aujourd’hui la poésie capillaire de ces sculptures complices des lichens et de la végétation.
Les plantes poussent drues comme barbes et cheveux autour des têtes de l’abbé comme elles poussent gaillardemment dans un jardin monastique voisin du site.
Non loin de là s’est édifié récemment un restaurant qui a l’air fait de bois de grève.
L’architecte a prolongé là une note japonisante dont l’étrangeté se marie étrangement bien avec la présence d’un pin maritime que «l’ermite» a peut-être connu.
Cela m’a fait penser aussi sec (si on peut dire avec la flotte qui me dégoulinait dans le décolleté) à Chanson d’Ar-Mor, cet admirable film expressionniste en langue bretonne de Jean Epstein.
En 1934 déjà, celui-ci avait su associer et confronter, par la musique et par la prise de vue, un âpre fond local fait de labeurs, de danses, de chansons, de magie et de traditions (celui là même où baigna l’abbé Fouré) avec une modernité rythmée par la vitesse, le luxe et des rapports humains basés sur l’argent et la position sociale.
Ceci dit pour vous signaler au cas où que la Cinémathèque française vient de sortir un coffret de 14 films de ce cinéaste trop méconnu, parmi lesquels plusieurs opus bretons.
07.07.2014 | Lien permanent
Pierre Darcel poursuit son rêve
Radio Bonheur de l’atelier s’échappe. Une voix chante : «mon cœur est en émoi».
Quand on arrive sur le territoire de Mon rêve, Pierre Darcel, le maître et l’artisan des lieux, baigne dans l’accordéon.
Comme il y a 5 ans. Lors de ma première visite qui vous a fait connaître ce créateur au cœur pur et aux mains d’or. Le volume de la radio est assez fort. Pierre n’a plus l’ouïe très fine. Peut-être aussi qu’en l’isolant du monde, la musique facilite sa concentration.
Pas au point de ne pas remarquer les visiteurs. Quand on franchit sa porte, un détecteur de mouvements l’avertit de son chant d’oiseau modulé en ultra-trilles. Du coin de l’œil, Pierre Darcel nous reconnaît. Il sait qu’on est du genre patient. Il continue donc placidement son travail.
La chance me sourit puisque le voilà qui s’attaque à un sujet grand comme un homme. Grand comme le chasseur (Pierre prononce presque «casseur») qu’il vient de terminer et qui sera bientôt installé dehors avec ses deux chiens d’arrêt.
A l’extérieur un vrai chien veille tranquillement au grain. Cette mini-meute porte les couleurs de Pierre Darcel : blanc et roux pour les statues, noir et blanc pour l’animal vivant.
Laissons Darcel œuvrer tranquille. Il n’est pas 6 heures du soir, signe de la fin de sa journée laborieuse car cet «artiste» a conservé les habitudes de l’ouvrier et du paysan qu’il fut.
En attendant je me régale à photographier les nouvelles pièces que cet animalier, de plus en plus sûr de lui, a parsemé sur son parterre : zèbre, girafe, sanglier, chèvre, vache et cochon (c’est bien le moins, lui qui se consacrait jadis à l’élevage de cette succulente bestiole).
Rien d’une ménagerie fermée cependant. Chaque sujet étant mis en scène avec un souci évident de l’espace, l’ensemble dégage une impression de liberté.
«Un jour ça va être plein!» ne puis-je m’empêcher de dire à Pierre et Yvette Darcel avant de repartir. M’est avis qu’ils ont leur idée sur la question… Ce n’est pas pour demain car les sujets décorés en coquillages sont long à faire.
«Au revoir Pierre, meilleure santé Yvette, vous qui avez été patraque ce printemps!». Bonne continuation dans tous les sens du terme.
09.07.2014 | Lien permanent | Commentaires (2)
Fauves dans un jardin breton
Soudain trois tigres blancs dans un coin de mon pare-brise. Des tigres blanc sur une haie. A la sortie d’un bourg comme tous les bourgs. Sur la route qui mène à Tréguier.
Et tout un peuple de peluches au dessus de la barrière d’hortensias. Qui fait donc ça ? Cette femme rouge là bas ? Non : la présence de ce leurre, qui surveille les curieux que nous sommes, tempère ce que la gentillesse de ces jouets peut avoir de conventionnel.
Transposés du supermarché dans ce jardin mi-rural, mi-banlieusard d’un pavillon aux allures bretonnes, ces objets de consommation courante ont l’air artistiquement dépaysés. Impression qu’accentue leur exposition au soleil et à la pluie qui les déréalise.
Sans qu’on puisse ici parler d’art brut puisque le travail s’est borné à une installation de trouvailles méditées, l’auteur de ce rassemblement peu ordinaire s’est laissé guider par un goût très personnel des volumes et des mélanges.
C’est au début de notre siècle désœuvré qui vit le triomphe définitif de la mondialisation industrielle galopante sur les vestiges de la civilisation rurale et laborieuse que cette mise en scène dérisoire mais résolue a été entreprise par la propriétaire de ce petit domaine.
Annick (appelons-là Annick) renouvelle et améliore sans cesse sa création avec l’aide des voisins qui lui proposent de nouvelles peluches quand leurs enfants sont trop grands pour jouer avec. Elles les mêle à des mannequins qu’elle perruque et habille.
Composant des tableaux où elle représente un orchestre familial
le cycliste Bernard Hinault
la marine en goguette, des joueurs de cartes peu cézanniens
Même les gendarmes jettent en passant un œil favorable à l’installation d’Annick. Famille d’accueil à elle seule depuis que son mari est mort, Annick se réjouit que ses protégées trouvent dans la contemplation et l’usage de son installation un motif d’occupation agréable.
Cela donne naturellement à cette installation un autre sens que celui qui pourrait être le sien si, d’aventure, elle était née dans un autre lieu. Un musée, par exemple. Ou une exposition d’art contemporain. Car rien n’est impossible dans notre monde d’inversion des valeurs.
02.07.2014 | Lien permanent
Allô, quoi, allô, répondez Armand Schulthess !
Il est bon parfois d’en remettre une couche comme il est bon de relire des livres qui nous ont fait rêver. Et puisque l’occasion m’est donnée de revenir rôder dans Le Labyrinthe poétique d’Armand Schulthess je ne m’en prive pas. Même si je vous en ai parlé pas plus tard qu’à Noël. Je pointais à l’époque vers le futur d’une exposition à Neuchâtel, la patrie de ce bouleversant créateur. Et le futur nous y sommes.
L’expo Schulthess, «la plus grande jamais consacrée» à son œuvre, aura bien lieu du 30 mars au 3 août 2014 au centre Dürrenmatt. Avec le concours de la Collection de l’Art Brut de Lausanne. Lucienne Peiry, l’une des têtes dirigeantes de la Maison mère, étant commissaire. Les chanceux qui naviguent au bord du lac (de Neuchâtel) pourront sans doute lui demander un autographe dès le samedi 29 mars à 17 h, jour du vernissage.
Ils s’y feront peut-être rôtir un poulet ou ils dégusteront sur le pouce un de ces plats bernois en boîte acheté à la Migros.
Comme Armand Schulthess, de son vivant, le conseillait aux visiteurs de son île-jardin utopique. On peut rêver.
J’emprunte ces détails croustillants à l’article de Hans-Ulrich Schlump (La Seconde vie d’Armand Schulthess) paru, sous couverture bleu Klein, dans le fascicule 14 des Publications de la Collec de L’art Brut. Ce texte raconte une histoire qui a tout pour plaire à la petite âme romantique que je suis restée malgré tout.
Pour une femme inconnue qu’il appelait de ses vœux mais qui ne vînt jamais Armand Schulthess avait aménagé un pavillon sur le terrain de sa résidence de campagne près de Locarno dans le Tessin.
Dès la cinquantaine, il s’était retiré là. Vivant de petits pains et de lait. Distribuant sa science encyclopédique aux arbres du jardin.
Il couvrait ceux-ci de messages philosophoco-scientifiques calligraphiés en cinq langues sur des rondelles de métal ligaturées avec du fil de fer.
Mais il se cachait quand il venait du monde. Il aurait préféré qu’on le joigne au téléphone.
Sur l’un de ces appareils qu’il disposait le long de son réseau compliqué de chemins, d’escaliers, de passerelles aménagé au fil du temps dans son domaine.
Mais les sonneries étaient en panne. Les fils avaient beau courir, les téléphones ne fonctionnaient que dans sa pensée. Et combien riche était sa pensée! Elle abritait des volumes et des volumes réalisés à la main. Ils venaient surcharger sa bibliothèque.
Près de milliers d’objets et de papiers chinés dans les décharges car ils pourraient servir. Une sédimentation d’albums remplis de photos naturistes. Écologiques pin-up, vous partîtes en fumée quand son site magique et chaotique fut détruit après sa mort accidentelle.
A 72 ans, même un pionnier ne résiste pas à deux nuits dans le froid après une chute. Et sans doute est-ce bien ainsi. Mais le monde parallèle de ce doux original (ou schizophrène qui sait ?) comme il manque au nôtre ! Et comme inconsolable, je serais de lui s’il n’y avait l’expo de Neuchâtel pour nous en restituer quelque chose.
BONUS
Paru à Cologne en 1972, l’année de la disparition d’Armand Schulthess.
Le livre d’Ingeborg Lüscher (dont l’époux est Harald Szeeman).
16.03.2014 | Lien permanent | Commentaires (3)