17.11.2008
A la poursuite du facteur Cheval
A la poursuite du facteur Cheval, j’ai rencontré Gérard Manset. Manset, vous le connaissez pour avoir entendu -et sans doute fredonné les jours de blues- Il voyage en solitaire, sa chanson mélancolo, désaccordée du piano. Manset il montre pas sa tronche, il réédite pas ses anciens morceaux, ce qui fait qu’on le connaît sans le connaître. Auteur, compositeur et interprète, Manset est aussi peintre, photographe et … écrivain. Et là, surprise ! Le 6 novembre 2008, il a sorti un roman au cœur duquel on trouve l’époustouflant Ferdinand. Son titre? A la poursuite du facteur Cheval.
Si! Sans déc. Avec mon repassage en retard, les carottes à éplucher, Dominique et Léa qui vont arriver pour le thé, vous pensez si j’ai le temps de me vautrer dans la critique littéraire! En plus Manset, je comprends pas tout ce qu’il dit et faut pas compter sur lui pour vous expliquer. Amateurs de romans traditionnels, passez votre chemin! Et vous les groupies des intrigues bien menées qui progressent sagement au rythme de la chronologie et de la logique, allez voir ailleurs!
Ecrivain-voyageur, Gérard Manset bouscule le temps, ses fantasmes et ses souvenirs asiatiques ou colombiens. Avec des morceaux de bravoure dans des Thaïlandes de rêve où l’on exhibe une pathétique créature qui fait penser à l’hermaphrodite-albinos du Satyricon de Federico Fellini. Impossible de suivre son récit de A jusqu’à Z. Il faut accepter de tomber dans des trous, admettre de s’y reprendre à plusieurs fois, chercher son passage du nord-est perso. Bref, errer dans un labyrinthe où vous retombez toujours (mais pour le perdre aussitôt) sur ce «prédateur des styles», sur ce «propagateur de la fièvre hindo-bouddhiste» : le facteur Cheval himself.
Acte de naissance de Ferdinand Cheval
C’est pas la première fois, bien sûr, que Cheval fait irruption dans la littérature. Sans remonter au Revolver à cheveux blancs d’André Breton (1932) : «Nous les oiseaux que tu charmes toujours du haut de ces belvédères», on se souvient d’Alexandre Vialatte (Dernières nouvelles de l’homme) : «Chez l’homme, la tête pense, la main suit. Le reste y passe. Parfois pendant une vie entière. Le facteur Cheval en est un exemple éclatant».
Et de Robert Morel éditant en 1969 un beau texte d’Alain Borne et témoignant : «C’est à Lyon, en 1942, dans les rues vides où nous rodions après le couvre-feu, qu’Alain Borne me parla du Facteur Cheval pour la première fois».
Mais c’est pas une raison pour pas vous laisser porter par la musique très particulière et plus contemporaine de Gérard Manset : «L’avez-vous vu, ce palais? L’avez-vous déjà vue, cette basilique tout aplatie comme serait un morne coléoptère sur du sable tamisé ? Criquet dont la famille aurait volé plus loin (…). Un être avait commis cette équipée de la taille, tout juste, d’une goélette dont les cheminées seraient ces danseuses sémaforologiques (…) tournant leurs bras dans une gestuelle d’alphabet morse et incitant d’emblée à consulter les courts poèmes de grès marqués à la truelle mettant en scène ce qu’un Apollinaire lui-même aurait pu inspirer (…)».
00:22 Publié dans Ecrits, VU SUR ANIMULA, Zizique | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : art brut, ferdinand cheval | | Imprimer | | |
15.11.2008
Un arc-en-ciel au C.A.T
Toujours à la recherche du diamant brut, votre P.A.E. explore la P.Q.R. Elle découvre des arcs-en-ciel dans les canards de nos provinces. Il y a une douzaine de jours, le 3 novembre 2008 exactement, je suis tombée sur une feuille du Courrier de l’Ouest. Non, c’était pas celle dans laquelle M. Yvon, mon poissonnier, enveloppe mon litre d’animoules !
C’est une de mes informatrices qui m’a refilé cet article relatif au 38e Salon des Arts de Cholet qui s’est tenu en octobre dernier dans la ville du Petit mouchoir. Près de 200 artistes, «pros et amateurs», exposaient là, à la salle des fêtes. Rien de glamour, à première vue, même si parmi les 200, il y avait des personnes accueillies dans un centre d’Aide par le travail.
Ce qui m’a fait dresser l’oreille, c’est que l’article est intitulé : L’Art brut aux couleurs de l’Arc-en-Ciel. J’ai failli dégainer mon joker Nos amies les bêtes, en lisant que les toiles de ces personnes «sont des petits chefs-d’œuvre d’art brut qui éclosent sous la houlette du peintre Jean Boccacino».
Non, monsieur Alain Tissot (je m’adresse là au journaliste qui a recueilli les propos du dit peintre en charge de l’Atelier), il y a contradiction dans les termes.
L’art brut est tout
sauf un mouton
jamais on ne l’a vu
se courber
sous une houlette.
D’ailleurs, Mr Boccacino le sait bien. Lui qui a l’air de se décarcasser honnêtement, malgré sa tendance au perfectionnisme, il reconnaît volontiers ce que ces «artistes», qui «ont besoin» de lui «pour aller plus loin dans leur démarche», ont apporté à sa propre expression artistique. En conclusion de son entretien qui illustre à merveille le sac de noeuds dans lesquels s’enferme la pauvre art-thérapie quand elle veut expliquer sa pratique, Jean Boccacino nous confie que le travail de l’Atelier de l’Arc-en-ciel l’a «remis en cause».«J’ai modifié mon expression dans le contenu et dans la forme. Leur travail m’a rassuré (…)». Vous trouverez sur Gougueule-images, une série de tableaux de Jean Boccacino.
L’article du Courrier de l’Ouest est accompagné de photos des œuvres des créateurs dont il s’occupe. L’une d’elle reproduit un dessin très volubile : un couple sous un porche à fronton décoré. Dommage qu’il n’y a pas le nom du créateur qui l’a fait. On aimerait savoir si c’est une scène de mariage, son dessin.
Avec tous les petits personnages qu’il y a autour et toutes les petites têtes, légères comme des ballons, qui ont l’air d’acclamer, ça se pourrait. Comme ça se pourrait autre chose ou tout simplement le plaisir de remplir la feuille de papier, plaisir qui se communique très fort au spectateur. Alors, merci madame la dessinatrice, car si j’ai bien compris c’est une certaine Béatrice l’auteur de ce dessin.
Et même je crois que c’est Béatrice Babarit. Une créatrice drôlement champion dont le travail a été remarqué au Festival Art et Déchirure de Rouen en 2008. Vous trouverez plein d’images à elle sur le site d’Artelier.
Et merci aussi aux autres familiers de l’Arc-en-ciel. Ceux qu’on voit sur les photos et ceux qu’on voit pas.
11:37 Publié dans Gazettes, Images, Ogni pensiero vola | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : art brut, béatrice barbarit | | Imprimer | | |
10.11.2008
Shigabcd catalogue art brut
Puisque Japon il y a, faut pas que j’oublie de pointer Shiga sur la carte. Le dessin n’a pas été copié dans Gala. Il est de ma pomme. Mais c’est là que, grosso modo, se trouve le Museum of Modern Art qui prête ses cimaises jusqu’au 30 novembre 2008 à la Collection abcd, une nouvelle fois en vadrouille. Le catalogue que je viens de recevoir est une petite merveille.
Grouillez-vous, mes abeilles, si vous aimez garnir vos rayons, de le réclamer à Montreuil, siège de l’asso présidée par Bruno Decharme.
Sous son étui-préservateur rouge, c’est un bijou noir et argent, relié à la jap avec des fils apparents. Consultation souple, ouverture grand angle et légéreté. Pas du tout le genre «bourgeoise-qui-s’encanaille» chère à votre petite âme errante.
Cette publication en jette plutôt par ce côté zen un peu glacé qui caractérise les productions abécédiennes. Cet art est ici poussé si loin que les textes, imprimés sur papier souris, sont presqu’illisibles. Vous me direz que je pige que couic au nippon. Okay, mais même la version française, tirée en gris sur fond noir, je vous défie de la déchiffrer, y compris avec les lunettes de votre mamie.
Abcd qui, en matière de typographie, a toujours montré un amour immodéré pour les petits corps, s’est abandonnée ici à son vice. Tant pis pour les auteurs et tant pis pour les lecteurs. Les textes, pourtant copieux, ne sont là que pour apporter le contrepoint formel d’un bloc impeccable comme la tablette de chocolat de L’Odyssée de l’Espace.
A côté de cette symphonie en anthracite majeur, la partie centrale, réservée à la reproduction en couleurs des œuvres, a l’air d’un rayon de soleil levant. C’est voulu par le designer et c’est réussi. Nos amis japonais auront sans doute le choc.
Les Européens auront peut-être une impression de déjà-vu. Depuis plusieurs années que ces images circulent de L’Isle-sur-la-Sorgue à Paris, de Prague à Kaustinen (Finlande) en passant par Athènes, leur œil a eu le temps de s’habituer.
Pour le vérifier : un petit jeu. Le catalogue Shigabcd scande ses différentes parties au moyen de négatifs agrandis.
J’en livre 5 ci-dessous à votre sagacité. A vous de deviner à quels créateurs ils correspondent.
13:11 Publié dans Ailleurs, Expos, Images | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : art brut, abcd | | Imprimer | | |
09.11.2008
Jet Set Tour Brut
Pirosmani, Waldau, Miyawaki, Art en marge… Vézelay, Kyoto, Genève, Bruxelles.Y’a des fois, j’aimerais faire partie de la jet set. Je prendrais des avions et je brûlerais du kérozène mais je passerais mon temps à voir les expositions qui m’attirent. Pas vous ?
Sachant qu’il ne me reste plus que jusqu’au 10 novembre 2008, je me propulserais au Musée Zervos de Vézelay où sont montrées 17 toiles de Niko Pirosmanachvili (autrement dit : Pirosmani), le grand peintre autodidacte géorgien, qui avait commencé par peindre des enseignes avant de fasciner les membres de l’asso d’avant-garde La Queue d’âne (Le Dentu, Malevitch, Tatline).
Billet de banque à l'effigie de Pirosmani
De là, je m’envolerais vers Odessa où l’on signale à la Gare Maritime la présence d’Yvon Taillandier.
Non sans faire un détour d’abord par la Maison des Arts de Châtillon pour une expo de cet artiste prolixe, qui fut critique d’art avant de passer à la peinture pour y élaborer, avant la Figuration Libre, un monde sinueux et luxuriant, narratif et bigarré que certains (notamment la galeriste Ceres Franco) ont senti comme fraternel à cet art brut qui avait déjà pris sa vitesse de croisière.
Ensuite, je filerais vers le Japon, en faisant un crochet par Bruxelles/Brussels pour une étape, rue Treurenberg, au Centre Culturel Hongrois où se tient Meetings on the margin, une expo dont je sais pas plus que ça mais montée avec le concours d’Art en marge, c’est tout dire.
A Kyoto, j’aurais jusqu’au 14 décembre 2008 pour me rendre à la Galerie Miyawaki faire un tour dans l’expo perso de Gene Mann (Tendres humains), un peintre qui n’est pas à enrégimenter dans l’art brut mais dont j’ai déjà eu l’occasion de signaler le livre en accordéon dans ma note du 27 juillet 2008 intitulée L’Art outsider à la pompe. Gene Mann, qui vient de découvrir mon blogounet, pense à ses frères et sœurs de création «hors bords» dans l’invitation qu’elle m’adresse. Le mot est joli. Il mérite d’être relevé pour sa tentative de sortir des ornières terminologiques.
L’intention ne l’est pas moins (jolie) car c’est rare de voir les zartisses s’occuper du nombril des autres. Celle-ci, dans son atelier ou dans la nature où elle dessine sur la mousse, ne craint pas de se colleter avec la matière et que voulez-vous, moi j’aime ça. Il n’y a que ses cheveux qu’elle rassemble en touffe sur sa tête (ce qui la fait ressembler toute entière à un pinceau) qui restent à l’abri des couleurs. Gene Mann qui est d’origine française mais qui vit en Suisse me ramène à Genève où Une Sardine collée au mur montre les travaux de 5 créateurs de l’Atelier artistique de l’hôpital de la Waldau.
«Loin d’être insensées, ce sont des œuvres qui parlent de la délicate condition de l’être humain» nous dit délicatement le carton d’invit.
18:13 Publié dans Expos, Images, Vagabondages | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : art brut, pirosmani, yvon taillandier, gene mann | | Imprimer | | |
05.11.2008
Jean Dubuffet au séminaire
Vous savez pas quoi faire samedi ? Hello, ça vous dirait un p’tit séminaire ? D’ici là, l’Amérique sera barackée. A moins qu’elle n’en pince pour le playmobil. En tous cas, vous serez à New York pour l’événement et on peut dire que ça tombe pile poil parce que c’est au Folk Art Museum que, juste avant le lunch (entre 11 Am et 1 PM), vous aurez la chance (pour peu que vous ayez 20 $ dans la poche de votre doudoune) d’assister le 8 novembre 2008 au Saturday Seminar dans le cadre des Folk Art Studies. C’est très sérieux, ne rigolez pas. Qui a dit que les Américains, démocrates et républicains (il me semble qu’on peut être les 2 à la fois) ne comprenaient rien au mot «art brut» ? Sans doute ceux qui croient branchouille de jargonner pidgin à tire-larigot dans leurs papiers ou sur leurs sites : outsiders par ci, self-taught par là. A ceux-là le séminaire de l'AFAM apporte – lon, lon, laire – un démenti puisqu’il s’intitule : Jean Dubuffet’s «Discovery» of l’art brut and les ecrits bruts : The European Context.
Bon, O.K., il y a ces guillemets qui festonnent la Découverte mais cette titraille est quand même prometteuse puisqu’elle montre à l’évidence que nos amis Uessiens ne craignent pas de se coltiner l’art brut, à la fois le mot (pas la peine donc de lui chercher des équivalents anglais plus ou moins vaseux) et la notion elle-même. Et même d’avaler au passage, quoique sans accentuation, un autre syntagme françois, j’ai nommé les «écrits bruts».
Je persiste en vous refilant le très clair laïus qui présente le Seminar : «This seminar will examine the historical specificity of Dubuffet’s “discovery” of l’art brut and les ecrits bruts in France in the immediate post–World War II period in light of the artist’s political affiliations and literary and curatorial aspirations. We will review the artistic and literary genealogy of art brut and discuss the extent to which Dubuffet’s postwar definition of art brut differs from the surrealists’ celebration of l’art des fous. Concomitantly, we will look at Dubuffet’s extensive writingson specific artistes brutes, including, but not limited to, Aloïse, Gaston Chaissac, Le Comte du Bon Sauveur, Charles Jaufret, Alfonso Ossorio and Francis Palanc.»
Collection of Audrey B. Heckler © Estate of Martin Ramirez
Comme je sais pas trop avec quoi vous illustrer cette note, j’emprunte à la shop du musée une image ramirezienne trouvée dans un portefeuille de cartes. C’est une repro de l’une de ces fameuses œuvres redécouvertes en 2007 exposées à l'AFAM jusqu'en avril 2009 sous l'intitulé : Martin Ramirez, the last works.
00:05 Publié dans Expos, Parlotes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : art brut, jean dubuffet, martin ramirez | | Imprimer | | |
03.11.2008
Rouge ciel, 100 minutes pour l’art brut
C’est comme dans les bonnes séries télé, on ne change pas un concept qui gagne. Alors, abcd présente, jusqu’au 20 décembre 2008, la saison 2 de l’expo si astucieusement baptisée : brut alors !
Et, comme c’est encore dans les vieux projets, mûris pendant des années avec détermination qu’on fait la meilleure soupe, Bruno Decharme, réalisateur et collectionneur émérite que l’on sait, nous annonce parallèlement la sortie de son long métrage qui se veut un «essai» cinématographique sur l’art brut, et non un simple docu de plus. Portraits de créateurs et témoignages de gens divers allant des marchands aux amateurs passionnés en passant par les psychanalystes, les historiens d’art et, et, et … les collectionneurs, sont au rendez-vous de cet événement promis-juré pour ce mois de novembre. 100 minutes à se mettre dans les mirettes, dans les oreillettes, dans les gencivettes ! Youpi !
Bon, avec ses modestes capacités intellectuelles, votre petite âme errante n’a pas trop compris le titre : Rouge Ciel. Elle savait déjà que «la terre est bleue comme une orange» mais là, elle préfère attendre qu’on lui décortique cette image surréalistiquement percutante. En attendant, va pour Rouge Ciel ! Car il faut dire que je me suis régalée (et je vous invite à en faire de même) avec l’extrait hyper-tonique que nous distille avec le sens du rythme qui le caractérise, l’auteur du film, sur Système B (comme Bruno?).
J’ai spécialement pris mon pied avec la partie qui présente des repères historiques dubuffetiens. Il faut dire qu’elle nous apporte sur un plateau un résumé de faits, par définition un peu arides, sous la forme d’un dessin animé où mon daddy chéri a immédiatement reconnu un pastiche des réalisations de Jean-Christophe Averty. Ceci à grand renfort de miousic kusturiquienne et d’un commentaire, décapant en diable et gentiment iconoclaste, tout à fait dans l’esprit animulien.
08:14 Publié dans Ecrans, Expos, Images | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : art brut, abcd | | Imprimer | | |
01.11.2008
Janko Domsic, le mécanicien céleste
Domsic, ça m’donne faim, voilà le hic. Rien comme l’art brut pour creuser des trous dans l’appétit ! Surtout après une chevauchée en vélib. C’est pas parce qu’on est une âme qu’on n’aurait pas le droit de se caler les joues avant une expo.
Aussi, errant dans les territoires venteux du XIIe arrondissement, en attendant de rendre visite à l’ami Janko, me suis-je offert un p’tit resto de la Charenton’s street qui lèche si gentiment le derrière de l’Opéra-Bastille. Vous n’avez rien contre les thaïs ? Alors je vous recommande le Bai Thong, au 47. Salade de bœuf, céleri, concombre, poisson à la vapeur dans sa feuille de bananier, riz parfumé.
Et vue imprenable sur le trottoir d’en face et sur la Galerie Objet Trouvé qui vous ouvre sa porte à l’heure du dessert. Vous avez jusqu’au 22 novembre 2008 pour répéter ce scénario, déposer votre K-way mouillé sur le canapé blanc, dire bonjour à la dame au joli collier tordu qui vous sourit la bienvenue et assister au défilé triomphal du rayonnant Janko Domsic.
Heureusement qu’il y a un chouette catalogue à vous mettre sous la dent. Il vous expliquera tout.
Si je m’écoutais, je vous en ferais pourtant des tonnes à propos des pas de l’oie et des bras raides brandis des automates impudiques et fulminiques, aux calots oustachiens et chapeaux pointus de derviches tourneurs, de ce créateur d’origine croate que Christian Berst, le capitaine d’Objet Trouvé appelle «le mécanicien céleste».
On pourrait aussi bien dire : «la bielle de Dieu» car répare-t-il quelque chose au ciel ou n’est-il que l’instrument d’une force transcendante qui le tyrannise, ce progieux emberlificoteur de lignes de stylo à bille vert et/ou rouge ? La complexité des connexions, que trahit l’écheveau des courroies que Domsic représente, en dit long sur son assujettissement, tandis que les croix gammées, faucilles, marteaux, fourchettes, étoiles éructés par ses pantins ubuesques en disent long sur sa révolte. Révolte à l’égard de cette douche de langage qui ne cesse de tomber sur le râble de ses protagonistes.
Il faut souligner, à ce propos, l’un des mérites de cette expo. A aucun moment, elle ne cherche à faire oublier au profit des images, les textes sous-jacents ou parallèles à celles-ci. Cette fonction de palimpseste, de discours bourdonnant, bourgeonnant et parasite, elle la souligne même par l’accrochage d’un grand format carrément dense que d’autres auraient peut-être trouvé trop bavard, c’est-à-dire moins évidemment pictural.
Dans la version avec option du catalogue, le très valeureux Christian n’a pas hésité à se farcir la diabolique transcription de ce vertigineux morceau de délire : «dessine cigare Havana reuni inter sovietique tota yanco E electronique smokin ustacha schisme solidaire contre Humanitaire inter social mondial evangelique ya ya Gott Mit Uns dieu jean yann BOG MARIE SP CHRIST (…)».
Toutes les photos sont extraites du catalogue
Photos : Elisabeth Berst ©Galerie Objet Trouvé
14:35 Publié dans Expos | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : janko domsic, art brut | | Imprimer | | |
26.10.2008
Franck Calloway, 3 siècles d’art brut
Si je vous dis Calloway, vous pensez Cab et moi Franck, le champion du monde de la longévité brute. Franck Calloway, dessine des trains qui se prélassent sur des kilomètres de papier de boucherie, 7 à 9 heures par jour, près d’une fenêtre, dans une institution pour le 5e âge (car il a -tenez-vous bien- 112 balais) à Tuscaloosa en Alabama.
Des trains, des bateaux, des maisons, des véhicules de sa lointaine jeunesse puisque né en 1896, il est un trait d’union entre 3 siècles. Beaucoup de choses très colorées qui nous ouvrent une fenêtre sur un sud agricole disparu.
Photos AVAM
Aujourd’hui, comme je sors de 6 heures de T.G.V. avec de sales moutards qui balançaient des coups de pied dans mon fauteuil pour passer le temps, c’est surtout les trains qui m’ont frappée. Rien de tel que le train, même sur coussin d’air, pour vous ramener à la cadence. Moins de tchou-tchou mais toujours le défilé du paysage, les saccades, le trou noir du prochain tunnel.
Quelque chose me dit que Franck Calloway, qui ne voyage plus guère que dans sa belle salopette en jeans bleue, est sensible à ce genre de chose : une sorte d’auto-engendrement presque infini (il faut bien changer de rouleau de papier parfois) des formes. Le fait qu’il se récite volontiers des tables de multiplication me fait penser que son propos n’est pas si naïf qu’il en a l’air.
Eloigné en tous cas d’une préoccupation purement descriptive. Proche de nos basiques circuits mentaux. Automatiques pour tout dire. «There is a presence with him, I’m telling you, that feels angelic» dit pour sa part Rebecca Hoffberger, la directrice de l’American Visionary Art Museum de Baltimore qui a eu la bonne idée d’accueillir 18 rouleaux de dessins au stylo à bille, crayon et marqueur de ce super-papy créatif dans son exposition intitulée The Marriage of Art, Science & Philosophy.
The Marriage of Art, Science & Philosophy@AVAM-Photo Mark Barry
The Marriage of Art, Science & Philosophy@AVAM-Photo Mark Barry
Franck Calloway est si en forme qu’il s’est, paraît-il, tapé la distance qui sépare l’Alabama du Maryland en avion pour l’inauguration qui a eu lieu le 4 octobre 2008. On souhaite ardemment, bien sûr, pour peu que la schizophrénie conserve, qu’il soit toujours avec nous quand sera venue l’heure de la fermeture de l’expo le 6 septembre 2009. Le diagnostic porté sur lui en 1952 peut bien l’avoir conduit, depuis ce temps là à vivre dans diverses institutions, nous avons grand besoin de ces magiques compositions défilantes, si loin de la statique peinture de chevalet.
Avec les années ses protecteurs ont égaré les traces de sa vie d’avant. Lui, évoque des souvenirs de métiers durs : poseur de rails, bûcheron, fermier, forgeron peut-être. Peu d’école. Juste le temps qu’un instit l’encourage à dessiner. Puis plus rien. Jusqu’à ce qu’en 1980 (il a 84 ans), son talent se réveille sous l’effet de son intégration dans une «art class». Merci l’art-thérapie. Grâce à elle, cette fois, un des plus vieux types de la planète n’a plus quitté la seule activité qu’il aime et qu’il considère comme son job : le dessin à l’état brut.
23:55 Publié dans Ailleurs, Expos, Images | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : art brut, franck calloway | | Imprimer | | |
15.10.2008
Mangez brut !
C’est fou ce que Mantegna peut me ramener à la cuisine. Si j’en crois, du moins, les commentaires à ma note nuageuse du 30 septembre dernier. C’est Teresa qui s’est «régalée» avec le Trionfo della Virtu ! C’est Mamina, une inventeuse de recettes, qui m’invite à aller sur son blogue voir Si c’était bon.
Vous me croirez si vous voulez mais il ne sont pas rares ceux qui arrivent sur Animula Vagula en tapant «Choux farcis». Tout ça parce qu’un jour de décembre 2006 (le 20 exactement), j’ai mitonné un petit ragoût autour d’un livre d’Allen S. Weiss.
C’est sûr que je devrais vous la jouer gastronomie plus souvent. C’est un bon sujet, tout ce qu’il y a de people. Idéal pour l’audience. Hélas, il cadre mal avec mon thème mental. Rien de plus culturé en effet que la cuisine, rien de plus savant, de plus raffiné, de moins hors l’hénaurme.
La française, particulièrement, qui a tendance à se prendre pour le sel de la terre et de la mer réunies.
Pourtant je ne désespère pas d’accrocher mon petit fait-tout brut à la queue de cette vénérable casserole. Quelque chose me dit en effet que dans la république de la gourmandise, il y a, comme partout, deux thèses qui s’affrontent. L’une, vivifiante et gueuse, porteuse de saveurs sauvages. L’autre majestueuse et chichiteuse qui s’épanouit dans les délices de Mantoue (Pardon : de Capoue). Il est bien sûr dans la nature des choses que la seconde méprise la première mais lui emprunte sans vergogne.
La cuisine en toque blanche ignore la cuisine en sabots (ou en crocs) mais elle lui fait les poches et bien des choses dégueulasses venues des fournaux médiévaux, péquenauds et/ou exotiques, une fois domestiqués et anonymisés, se retrouvent dans nos assiettes intelligentes, contemporaines et syncrétiques.
Tout ça pour dire qu’il en est de l’art culinaire comme des autres : on peut y faire des découvertes, au moins rustiques et modernes, sinon brutes.
Mangez brut, vous penserez de même !
Les images ci-dessous représentent une chose comestible.
Un bouquin de Mamina à la première (ou au premier) qui me dira ce que c’est et comment on l’assaisonne.
01:16 Publié dans De vous zamoi, Ogni pensiero vola | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : art brut | | Imprimer | | |
11.10.2008
Gentil chapon touche du bois
L’autofiction est à la mode et Schwarz-Abrys, un de ses devanciers, sort de l’ombre avec Gentil chapon touche du bois aux Editions Cambourakis. «Encore un Hongrois», me direz-vous, «et encore un ouf» avec un titre pareil, dans une pareille collection (En Démence). Vous y êtes presque. Le nom de Schwarz-Abrys, pour les amoureux de l’art brut reste lié à une expo historique : l’Exposition d’œuvres exécutées par des malades mentaux (peintures, dessins, sculptures et décorations) organisée par le Centre Psychiatrique Ste-Anne du 16 au 28 février 1946
Intérieur de l'exposition
Le 15, jour du vernissage, Gaston Ferdière, qui avait apporté des œuvres de Rodez, conférencie mais le catalogue dit bien que c’est «avec le concours de Schwarz-A» que l’expo se déroule.
Qu’est-ce qui vaut à ce peintre autodidacte qui s’est fait connaître en 1939 au salon des Indépendants avec des tableaux à clous, cet «honneur» et cette mission ? La virtuosité avec laquelle, après guerre, il joue avec l’auréole de la folie et avec son image de persécuté, tout à la fois.
Né en 1905 à Satoraljanjhely dans une famille juive de journaliers agricoles, S.-A., peut-être à cause des mesures antisémites du régime d’Horthy, quitte la Hongrie pour venir en France où il se marie. Engagé volontaire au début du conflit mondial, fait prisonnier puis libéré, selon lui par erreur, il passe la période de l’Occupation à Ste-Anne. Réfugié ou patient ? Il entretiendra toujours le doute sur ce point, semblant se servir de ses symptômes pour décrire, par la peinture et la littérature, sa vie d’aliéné.
Entre 1950 et 1955 (son heure de gloire), il publie 3 bouquins mêlant fiction et souvenirs asilaires.
C’est l’un d’eux : Gentil chapon… qui est réédité aujourd’hui avec une préface d’Anouck Cape.
Celle-ci a le mérite d’apporter un peu de clarté dans la brume volontairement ourdie par Schwarz-A : «ce récit d’un internement ne cesse de jouer avec les limites (…) qui séparent la folie et la raison, le témoignage et la fiction, la vie et la littérature».
A l’époque, on a comparé S.-A. à Céline, ce qui est pousser loin le bouchon. Relisons plutôt, sur les mêmes thèmes, Force ennemie de John-Antoine Nau, le premier Prix Goncourt.
Les autres romans schwarz-abryssiens sont pourvus de titres aussi loufoques : Ni chardons ni duvets et surtout L’âne ne monte pas au cerisier (1950, mais pas trop coton à trouver sur le marché de second hand). Je résiste pas à vous en montrer la graffitique couverture et la racoleuse bande-annonce.
Ce livre a par ailleurs l’avantage de contenir des repros –en noir, hélas– des portraits de fous d’un vigoureux expressionnisme (!) peints en live à l’asile par Schwarzys ou d’après études, allez savoir !
13:52 Publié dans Ecrits, Expos, Gazettes, Lectures, VU SUR ANIMULA | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : art brut, léon schwarz-abrys, gaston ferdière | | Imprimer | | |