12.08.2013
Raoul Lehuard : un précurseur sur la sellette
Ouvrons le catalogue de l’exposition Charles Ratton, l’invention des arts primitifs. Même si celle-ci n’est pas encore très fréquentée, je suis sûre que ce sera un ouvrage de référence.
On y apprend beaucoup de choses. Y compris des choses que l’on savait déjà car il a été précédé en 1986 par un texte de l’ethnographe Raoul Lehuard : Charles Ratton et l’aventure de l’art nègre. Publié juste après la mort de Ratton mais conçu bien avant, cet article biographique constitue à lui seul le n°60 de la revue Arts d’Afrique Noire disparue en 2004.
Introuvable aujourd’hui, ce numéro est fort recherché par les collectionneurs d’art africain. C’était jusqu’à présent la seule source d’informations sur ce sphinx de Ratton. Est-ce une raison pour le dévaloriser maintenant comme le catalogue du Musée du Quai Branly n’hésite pas à le faire?
L’un des commissaires de l’expo Charles Ratton (Philippe Dagen pour ne pas le nommer) ne rate en tous cas pas une occasion de «flinguer» le travail de Raoul Lehuard. Comme s’il s’agissait d’écarter la concurrence! Une méthode plus fair play aurait été possible. Il suffisait de situer l’article de Lehuard dans son contexte historique. D’admettre qu’il constituait la première pierre d’un édifice dont on posait le toit 27 ans après.
Au lieu de ça, toutes les ficelles pour reléguer dans l’oubli un ouvrage précurseur ont été utilisées ici. On chipote sur l’orthographe d’un nom, on exploite certaines formules ambigües, on reproche à un homme, qui ne disposait ni du recul nécessaire, ni de la logistique d’une entreprise muséale, de n’avoir pas assez fouillé dans les archives de la Galerie Ratton. On conteste ses sources orales même quand son informateur est Charles Ratton lui-même : «Erreurs de mémoire d’un homme âgé (…)», p.17
Raoul Lehuard
Tout cela manque volontairement de bienveillance, c’est à dire de mesure, à l’égard d’un chercheur qui prenait le risque d’essuyer les plâtres. Il était sans doute nécessaire de rectifier certaines erreurs ou approximations de Raoul Lehuard. Il n’était pas indispensable de le traiter en rival à discréditer en prétendant «repartir de rien» (p.12)
Mieux inspiré nous paraît le catalogue du MQB quand il met en exergue ce fait fondamental : l’obsession de Charles Ratton pour le secret. Le «personnage» était «parfois plus fermé qu’une huître» remarquait déjà en 2007 Raoul Lehuard dans un autre de ses ouvrages, L’Empreinte noire (p.35)
C’est ce secret qui engendre les divergences d’interprétation actuelles car il excède celui dont un marchand d’art ordinaire entoure ses activités prospectives. «La règle impérative (…) est de ne jamais confier à ses clients la provenance des objets (…)» disait Ratton.
Force est de constater qu’il continue dans la tombe à appliquer ce principe. Ceux qui comptaient sur le catalogue du MBQ pour connaître enfin l’origine des fameux Barbus Müller, vedettes du premier fascicule de L’art brut en 1947, en seront pour leurs frais (35 €).
L’ombre de Charles Ratton qui plane derrière ces Barbus (dont beaucoup, sinon tous, lui appartinrent) reste muette à leur sujet.
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21.05.2013
L’abbé Fouré passe à l’Ouest
A peine quelques jours qu’un Animulien de bonne volonté nous signalait, par un commentaire, la sortie de l’ouvrage de Joëlle Jouneau sur L’Ermite de Rothéneuf dans la Collection L’Esprit du lieu éditée par les Nouvelles Editions Scala.
Et déjà l’actualité nous rappelle au souvenir de ce diable d’abbé Fouré, l’ermite créateur des rochers sculptés. L’ermite et non l’hermite comme l’indique par étourderie le site de La Procurequi doit penser que l’art sacré s’écrit avec une hache.
Soutane à part, l’œuvre de Fouré n’a pas plus à voir avec l’art sacré qu’avec les histoires de pirates dont la légende locale affubla ses rochers. C’est une belle et bonne vieille création d’art brut tout à fait impressionnante par son ampleur. Les deux pieds dans la matière ingrate du rocher. Ce qui ne l’empêche pas d’être fort visitée.
Aujourd’hui comme hier (du vivant même du sculpteur de tempêtes, avant 1910), par des promeneurs en quête de curiosités et de bons bols d’air. Une exposition des cartes postales éditées au début du vingtième siècle en témoigne jusqu’au 29 juin 2013 à la Bibliothèque municipale de Brest.
Dans le cadre d’un «festival» intitulé L’Art brut à l’ouest où sont montrées aussi des sculptures de Pierre Jaïn et, parallèlement, des photos de Gilles Ehrmann à l’Artothèque que j’écrirais bien l’Artaud-thèque pour rigoler.
Mais les rochers sculptés ce n’est pas de la rigolade et une asso se remue joliment pour la bonne cause de la falaise érodée par les marées, les fréquentations touristiques, les belles histoires sans fondement véridique et, depuis peu, par de romantiques lieux communs sur «la poésie des ruines».
Un article récemment paru dans le journal numérique de Libération (18 mai 2013), sous le clavier de Bernadette Sauvaget, envoyée spéciale à Saint-Malo vous en dit plus. C’est de loin le meilleur papier que j’ai lu sur le sujet dans un quotidien depuis longtemps. Ironie du sort, la journaliste est en charge des sujets religieux à Libé. Non d’une rubrique artistique.
Bien documentée, elle n’en mène pas moins de front une présentation vivante et accessible de l’histoire de l’abbé, un aperçu précis sur l’œuvre et une enquête sur l’état actuel des problèmes posés par ce site indisciplinable. L’angle qu’elle a choisi pour intéresser ses lecteurs : le travail de proximité de l’association de protection et d’information.
Elle a, ce faisant, le mérite de brosser le portrait de l’animatrice de cette asso : Joëlle Jouneau elle-même.
Portrait qui manquait jusqu’alors.
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11.05.2013
L’Asphyxiante culture passe la nuit à Bègles
«La culture procure à qui en est doté l’illusion de savoir, qui est très pernicieuse, car un qui ne sait pas cherche et débat mais un qui croit savoir dort satisfait».
Cela fait un moment que j’avais pas lu ça. Je me replonge pas tous les jours dans Asphyxiante culture. J’ai tort. Si j’étais pas aussi cossarde j’apprendrais par cœur certaines des vérités finement paradoxales qui jalonnent ce petit livre de «libertés nouvelles» publié par Jean Dubuffet en juillet 1968 chez Pauvert (merci Jean-Jacques!).
Par exemple celle-ci qui sonne comme un avertissement aux «intellectuels prétendus révolutionnaires» de l’époque et qui conserve tout son sel aujourd’hui :
«La position de subversion cesse bien sûr s’il advient qu’elle se généralise pour devenir à la fin la norme. Elle s’inverse à ce moment de subversive en statutaire».
Bien jeté, non ? De nos jours où c’est la mode de discréditer Dubuffet tout en lui faisant les poches, où bon nombre de ceux qui ont l’art brut à la bouche se croient fondés (au nom dont ne sait quelle modernité) à «promouvoir» celui-ci en imposant une régression théorique «visant à nier la coupure épistémologique de son inventeur», il est réconfortant de savoir qu’une Nuit des musées va être consacrée à Bègles à une lecture publique de larges extraits d’Asphyxiante culture.
Réconfortant aussi de lire dans le dossier de presse de la Création Franche -puisque c’est dans cet établissement qu’aura lieu le 18 mai la performance- que «c’est un texte facile à lire, un manifeste dans lequel Dubuffet affirme que la culture (…) n’est plus au service des œuvres» et que «ce constat est encore terriblement d’actualité».
Qui c’est qui dit ça? Frédéric Maragnani. La voix qui portera ce soir là une pensée toujours novatrice qui ne demande qu’à s’envoler vers les âmes errantes de bonne volonté dont vous êtes (ou vous serez) chers Animuliens et Animuliennes de choc. Que vous ayez lu, mal lu ou pas lu du tout encore ce philosophe qu’était Jean Dubuffet.
23:05 Publié dans art brut, De vous zamoi, Lectures, Ogni pensiero vola, Parlotes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : art brut, jean dubuffet, frédéric maragnani, création franche | | Imprimer | | |
08.05.2013
Le peuple des berges
La Seine monte. C’est le moment de lire Le Peuple des berges. Le moment d’acheter à pleines péniches ce récent titre de Robert Giraud pour en inonder vos amis.
On y assiste avec trouble et attendrissement au «carnaval perpétuel» de Nénette. A cette époque (dans les années cinquante du siècle de l’auteur), on n’avait pas peur du mot «clocharde».
«La cloche en argot c’est le ciel» nous dit la quatrième de couverture de ce recueil de neuf articles parus jadis dans Qui ? Détective.
A cette époque (8 octobre – 3 décembre 1956), les Nénette élisaient domicile sous les ponts de Paris. Cette âme errante abritait donc sa coquetterie guenilleuse «dans une alvéole du Pont-Neuf, au milieu de ses richesses» de carton. «Eté comme hiver, Nénette porte toute sa garde-robe sur elle» nous dit Robert Giraud. Et «sa toilette se complète obligatoirement d’un chapeau extrait, il y a une dizaine d’années, du plus profond d’une poubelle».
Image tirée de "La cloche et les clochards". Film réalisé en 1972 par Robert Bober pour l'émission d'Eliane Victor : "Les femmes aussi"
Cliquer sur l'image pour voir un extrait
Rien de bien original jusque là. Aujourd’hui que sont revenus les temps mauvais, il suffit de faire un tour sous le périphérique au marché aux puces de Saint-Ouen pour avoir une idée de ce que Bob évoque.
Plus captivantes en revanche, les lignes que Giraud consacre à la pulsion de parure corporelle de ladite Nénette. Pulsion qui en fait presque la prêtresse d’un body art avant la lettre. «Les heures que [Nénette] ne consacre pas à la recherche et au tri de nouveaux haillons (…), elle les passe à faire et à refaire son maquillage». (…) «Un affreux plâtrage dont le fond de teint est constitué par du Mercurochrome. Pour ses autres fards, Dieu seul sait dans quelles décharges publiques Nénette va en recueillir les ingrédients!».
Pouvoir de ce style ému mais précis du grand reporter littéraire! Giraud sait comme personne communiquer au lecteur sa fascination. Atteindre comme une balle le nœud du problème. Sans lui ôter de son mystère. «Nénette garde le secret du drame qui a dérangé sa cervelle».
Citons encore la relation de son jeu d’esquive facial: «De ce paquet de loques émerge le visage de Nénette, une face de gargouille peinturlurée où l’on ne remarque rien de ce que l’on regarde ordinairement : la couleur des yeux, la forme du nez, les dessins des lèvres…».
Les amoureux du vieux Paris, les amateurs de petits métiers insolites, ceux qui apprécient combien l’humanité et la créativité des gens du très-commun se dégagent du pittoresque, voudront lire ce recueil de chroniques nouvelles et néanmoins ressuscitées.
Personne ne s’étonnera qu’il soit préfacé par Olivier Bailly. Ni qu’il soit édité par Le Dilettante qui ne cesse d’inscrire à son catalogue les Bob-sellers de l’«envoyé spécial au royaume de la nuit».
20:26 Publié dans Ecrans, Ecrits, Lectures, VU SUR ANIMULA | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : robert giraud, robert bober, robert doisneau, eliane victor, nénette | | Imprimer | | |
24.03.2013
Le vingt quatrième cahier sort en mai
Où j’ai la tête des fois je vous jure! Seule la décence m’interdit de le dire. Hier encore, je vous disais un peu vite que la série des «Cahiers» de l’Art Brut en était arrivée au numéro 22 et voilà qu’on annonce pour le mois de mai 2013 la sortie du numéro 24.
Beaucoup de noms italiens ou d’origine italienne parmi les contributeurs de cette nouvelle livraison consacrée à des «artistes» également italiens mais aussi suisses, américains, russes, français et ivoiriens.
Les plaisantins diront que moi aussi j’y vois rien mais ce n’est pas ma faute si j’ai raté l’épisode du Fascicule 23 : une erreur d’aiguillage sur les étagères surpeuplées de ma bibliothèque.
Voilà ce qui arrive quand on oublie de vérifier dans les archives électroniques animuliennes!
Car votre petite âme errante n’avait pas oublié de célébrer en son temps la naissance du vingt-troisième. Je m’en aperçois un peu tard en retrouvant ma chronique du 15 octobre 2011 : L’Art Brut se met au vert. Et comme il est bon de suivre ses propres conseils, je me mets subito presto aux épinards comme Popeye.
16:30 Publié dans art brut, De vous zamoi, Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : art brut, collection de l'art brut | | Imprimer | | |
20.10.2012
Le Dépaysement : un tour de France
C’est toujours pareil avec mes petites chroniques. Je cherche à dire des choses et puis je les trouve par hasard mieux exprimées ailleurs. Au fil de mes lectures désordonnées, je suis tombée (aïe !) sur un passage du livre de Jean-Christophe Bailly, Le Dépaysement, voyages en France qui vient de ressortir en édition de poche (Collection Points).
On est dans la vallée de la Vézère et Jean-Christophe Bailly méandre un peu sur les mammouths, les Aurignachiens, les Magdalélions et les peintres caverneux qui vont avec. A propos de ces représentants de l’art paléolithique, il a ces phrases qui, je m’en avise, pourraient aussi bien concerner les créations de ce Joseph Courilleau dont je vous causais pas plus tard que dimanche dernier :
«Ces hommes avaient avec les bêtes – avec les mammifères en tout cas – des relations étroites qui relèvent, qu’on le veuille ou non, d’une intimité perdue : l’absolument différent (l’animal) était l’absolument intime – c’est lui l’animal, qui revenait dans la nuit humaine».
11:19 Publié dans Ecrits, Glanures, Lectures, Ogni pensiero vola, VU SUR ANIMULA | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : jean-christophe bailly, le dépaysement, joseph courilleau | | Imprimer | | |
12.10.2012
Penser l’art brut librement
Aujourd’hui : zéro. Y’a des journées comme ça. Une lettre de Véronique ce matin dans la boîte. Elle va bien, elle m’apporte son expertise dans une affaire que j’ai sur les bras. Post’it sur le frigo : les chocolats elle adore, faudra penser à lui en offrir. Pause-déjeuner avec ma copine Isabelle. Le p’tit resto italien du coin pour échapper aux collègues de la cantine. Isabelle arrête pas de tchatcher. J’aurais le temps d’avaler trois fois mes pastas qu’elle n’a pas fini le quart de sa Regina. Sages : on prend pas de tiramisu, pas de gelati, pas de desserts. Rendez-vous ce soir avec mon diététichien. J’ai perdu un kilogramme à force qu’il m’aboie dessus. Zéro vous dis-je. Mon quotidien de bad girl. Pas de quoi en faire une chronique. Pas même un SMS. D’ailleurs je suis bloquée.
Depuis qu’un commentateur exigeant m’a invitée à «penser plus librement» sur ma note à propos des photos de Marie-France Lacarce. Penser, me «débarrasser» (des préjugés) et me «forger de nouveaux outils» par dessus le marché! Et puis quoi encore? Chacun sait que j’en suis pas capable.
Alors j’ai mis mon gang sur le coup. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’il a pris son temps mais enfin l’une des gâchettes qui le composent a daigné dégainer une réponse présentable à mes lecteurs. Cela commence bien : «Je me souviens d’un visiteur taché par une œuvre exposée au musée d’art moderne de Saint-Etienne». La suite, je vous préviens, est moins marrante voire carrément trapue. Celles et ceux qui voudront quand même tenter l’aventure, glisseront leur souris jusqu’à ces lignes et cliqueront là-dessous.
23:50 Publié dans art brut, Ecrits, Lectures, Parlotes | Lien permanent | Commentaires (1) | | Imprimer | | |
08.10.2012
Rendève avec Joinul au Dingoraminoir
Deux fois par an, j’ai des nouvelles de Joinul. Cet écrivain inclassable, sarcastique avec lui-même, énigmatique, persiste à dispenser ses bontés à celle qu’il appelle «Animula Volga».
De temps en temps il me fait une piqûre de rappel avec une de ses brochures réalisées avec le concours d’artistes : Federica Matta (voir ma note «sépulcrale» du 1er novembre 2011), JeCherryLaNuit pour des poèmes rouges et bleus intitulés na vou ja mé accompagnés de photomontages en surimpression.
Je me tue à essayer de lire les dédicaces échevelées. Joinul écrit comme un toubib. Normal puisqu’il fut médecin dans une autre vie. Médecin-psychiatre même. Ce qui lui valut d’être le révélateur de 4 cas d’art brut. René Le Bedeau, François et, pour les plus importants, Emmanuel le Calligraphe, Pierre Jaïn. Ceux ksa intéressent trouveront tout ça dans les articles de Joinul parus dans les Publications de la Collection de l’Art Brut : fascicules 4, 8, 10, 16. En ce temps là, sous gouvernement thévozien, la CAB honorait ses sources.
Drôle de médecin entre parenthèses, Pierre Maunoury alias Joinul qui partit en vrille en 1984 pour se consacrer corps et biens à la création littéraire et lettriste. Entré dans la carrière en novembre 1958. Jeune médecin-chef d’un hosto psy. S’en souvient encore, non sans malaise.
Ne l’appelez pas Docteur : «Univers d’aberration, encore plus asilaire que ceux fréquentés au cours de mes années d’internat». C’est que Pierre Maunoury a vécu la fin de ce monde fermé des institutions asilaires d’alors. De cette période où il s’usa le tempérament à mettre en place des lieux alternatifs, il a tiré en 1971 un livre hallucinant qui relate de l’intérieur la vie d’un hôpital psychiatrique : Dingoraminoir. C’est spécial!
Cela fait penser au premier Prix Goncourt de 1903 : Force ennemie, le roman de John-Antoine Nau.
Sauf que c’est écrit dans une langue plus délirante et calembourdesque et que Joinul mélange sans arrêt les personnages et le narrateur. On ne sait jamais si c’est un médecin ou un malade qui relate les extravagantes péripéties d’un quotidien aberrant. Fête à l’Art Sauvage, Graffiti sur ciment révélé par la salive, Statues fabriquées avec des dents, vocalisations : «A o iue e oi e oeau e ao», Jeu de la Libidoie, ex-votos de «fous du dimanche». Pour ne choisir que des exemples «artistiques».
L’auteur, ami de Robert Tatin et de Jean Dubuffet, a lu Raymond Roussel. Il pousse celui-ci dans ses retranchements bouffons. Il se soucie comme d’une guigne de la lisibilité linéaire. A vous d’inventer vos chemins de traverse pour arpenter son opus. Dingoraminoir jusqu’à peu était introuvable. La première édition ayant été pilonnée à la demande de l’auteur : des collègues à lui s’en servaient pour torpiller ses efforts de réformes. Ce «roman rebelle» reparait chez L’Harmattan sous couverture ornée d’un collage «hourloupéen» de l’auteur sur morceaux de draps d’hôpital. Je soupçonne Joinul d’avoir un peu arrangé/augmenté le texte initial.
Certainement pas Roger Gentis qui a donné ici à son ami Joinul une éclairante préface.
20:19 Publié dans Ecrits, Lectures, VU SUR ANIMULA | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pierre maunoury, joinul, john-antoine nau, prix goncourt | | Imprimer | | |
30.09.2012
Excentriques, entrez dans le Dansel
Grand ménage aujourd’hui. Enterré sous une pile de coussins je retrouve Les Excentriques de Michel Dansel acheté au printemps dernier. Le genre de bouquin qu’on se promet de dévorer et puis… les yeux plus gros que le ventre! Je me souviens quand il est arrivé dans mon sweet home, je m’étais promis de consommer de A jusqu’à Z ses 830 pages. Quelques notices avalées en diagonale après, je me suis laissée emporter par d’autres aventures. La vie quoi! En fait c’est un ouvrage de référence qu’il faut attaquer par petits morceaux, un soir une notice, un soir une autre pour se distraire avant de s’endormir.
Il y a aussi les 37 cas d’excentriques anonymes, des considérations savantes sur la marge et les classifications et une anthologie de textes choisis pour illustrer la galerie de portraits. La densité des textes sur deux colonnes commandait la Collection Bouquins de chez Robert Laffont.
Elle a l’avantage de stocker beaucoup mais ses volumes sont un peu mous à la main. N’était mon addiction aux versions papier, je kifferais bien Les Excentriques sur tablette si ça existait. Idéal pour lire au lit en évitant de réveiller son chéri qui pionce déjà! La catégorie des excentriques est large. Ce n’est que par moments qu’elle recoupe notre dada brutoïde.
Mais ces moments ont nom Jean-Pierre Brisset, Fulmen Cotton, Berbiguier de Carpentras, Ferdinand Cheval, Chomo, Henry Darger, Paulin Gagne, Raymond Isidore, Raymond Roussel. Une copieuse bibliographie ouvre des boulevards aux petits pisteurs de la curiosité. Entrez dans le Dansel!
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29.09.2012
Gaston Chaissac : « LA SOUPE EST À CUIRE »
De loin, j’ai cru que c’était un livre de cuisine. Posé à plat sur la table d’une librairie de mon quartier où je contemplais d’un œil maussade les piles de madame Angot. Des livres de cuisine, j’en ai 243 au moins. Un plein placard de cuisine. Mais je m’en lasse jamais.
Alors quand j’ai lu sur la couverture couleur lentille claire : LA SOUPE EST À CUIRE en gros caractères, je me suis dit que ça tombait à pic vu la saison qui se rafraîchissait. Et puis il y avait cette petite tête de poireau triste dessinée dans le coin à droite.
En m’approchant, je compris mon erreur. «Mamma mia! mais c’est un nouveau Chaissac que j’ai devant moi», me dis-je. Il vient de paraître et on m’avait rien dit.
La Soupe est à cuire reprend les premiers mots de l’ouvrage qui n’est pas, comme on pourrait s’y attendre un recueil de lettres du grand soupier qu’était Gaston Chaissac. Des recueils de lettre du Gastounet, il y en a déjà des masses de parus. Mais là, c’est plus que ça, c’est mieux que ça.
Les Editions Finitude qui ont publié 100 livres en 10 ans, émanant d’un tas d’auteurs au poil tels que Georges Darien, Eugène Dabit, Georges Perros, Henry Miller, Raymond Guérin, Henry David Thoreau, Robert-Louis Stevenson et Raphaël Sorin (voir ma note Produits d’entretien du 16.01.2006) ont eu la bonne idée de reproduire un livre unique fait à la main par le peintre de Sainte-Florence de l’Oie le 26 mais (sic) 1950.
Jean Dubuffet à qui il avait été adressé avait eu tout de suite envie d’en faire tirer 50 exemplaires mais en définitive le livre était resté inédit. Dubuffet, engagé lui-même, peu de temps avant, dans la réalisation de petits livres à la saveur rustique, ne marchande pas son admiration à Chaissac à propos de La Soupe est à cuire.
«Je mets cet ouvrage sur le plan des œuvres les plus précieuses que je connaisse au monde. Je trouve que cette œuvre de toi est ton œuvre maîtresse, une espèce de somme où tous les thèmes qui t’habitent se trouvent tous ensemble et d’un seul bloc projetés avec une force extrême.»
Collectionneurs, attention! Finitude n’a pas prévu, comme parfois, de tirage de luxe spécial. Cette édition qui restitue le manuscrit dessiné et calligraphié à la plume sur papier kraft ne s’éternisera cependant pas sur les rayons des libraires.
Toute basique qu’elle soit, elle est soignée et assortie d’une transcription typographique sur papier blanc ainsi que d’une préface de Dominique Brunet. Elle mérite donc de voisiner, pour ceux qui ont la chance de les posséder, avec Ler dla campane ou l’Histoire de l’aveugle.
15:38 Publié dans De vous zamoi, Ecrits, Lectures, VU SUR ANIMULA | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : gaston chaissac, jean dubuffet, editions finitude | | Imprimer | | |