16.02.2009
Unica Zürn et son MistAKE
Zürnophiles et zürnolâtres, en bon français : amoureux et amourêveuses de l’œuvre d’Unica Zürn seront heureux et reuses d’apprendre que ses textes écrits en français et dispersés à droite et à gauche sont recueillis pour la première fois dans un petit bouquin bien propre sur lui et même carrément élégant sous sa couverture bleu-pétrole imprimée en blanc modeste.
La couverture est de Pauline Nunez et ce livre intitulé : MistAKE et autres écrits français (je respecte autant que possible le belle typo utilisée) est paru chez un petit éditeur, Ypsilon, fin octobre 2008.
Le monogramme de la maison qui ne compte encore que quelques titres à son catalogue mais du puissant :
Pier Paolo Pasolini, Djuna Barnes, Yannis Ritsos est dessiné par Franck Jalleau.
Y et Z étaient, c’est naturel, fait pour se rencontrer. Isabella Checcaglini, la fondatrice de cette petite (mais déjà respectable) maison d’édition s’en est aperçue, elle qui ne craint pas les décortications du langage puisqu’elle a eu le culot de s’attaquer bille en tête au Coup de Dés de Stéphane Mallarmé pour entrer dans le métier
Votre petite âme errante aurait pu s’en apercevoir aussi puisque j’ai découvert que, fin novembre 2008, j’ai loupé (on me dit jamais rien!) une lecture d’extraits de MistAke à la librairie franco-allemande de Montmartre, j’ai nommé la Libraire Buchladen, rue Burq n°3 dans le 18e of Paris. Maintenant que vous êtes en appétit, foncez ici et là pour tout savoir. La préface de Rike Felta à ces Ecrits de Zürn est éclairante aussi. Elle file comme une balle et sans graisse inutile au cœur du problème : «MistAKE se présente comme un mot qui pourrait en contenir plusieurs autres, en particulier quand on intègre en même temps plusieurs langues et leur dimension phonétique comme c’est le cas ici (…)».
Nous revoilà au cœur des anagrammes, cœur de l’œuvre d’Unica Zürn et cœur de son malheur. De ce point de vue, moi c’que j’préfère c’est le tout premier texte, dans un français très personnel qui marche sur les fautes comme on marche sur des courbatures. Il daterait du début des années soixante. Unica y relate un voyage en avion pour un retour à Berlin et un internement dans un hosto psy de cette ville.
Cela commence comme ça : «Sans ventre, elle fait la naissance d’une ville. Tout le mond dans l’avion la regarde, mais elle est trop occuper avec l’acouchement de sa ville, qu’elle regard personne. Elle écoute : tout qui passe par l’oreille devient plus vraie, que les experienes par les yeux».
Procurez vous 17 thunes pour lire la suite. Achetez vite ce livre et soyez un des 500 heureux à le posséder. Après, tant pis pour vous, il sera épuisé.
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14.02.2009
Du nouveau sur la planète Boix-Vives
Boix-Vives, c’est le bon plan! Ou je pars en vrille ou mon p’tit doigt me dit que la 2009e année après le Crapaud de Nazareth (c’est pas mortel le chant des crapauds ?) ne s’achèvera pas sans qu’on reparle de ce peintre catalano-savoyard aux palpitants jardins de paradis caraïbe. Rumeur d’expos en perspective? Faut pas être voyante extra-lucide! Y’a qu’à se promener un peu sur la toile mais chut… «Chaque chose en son temps» comme dit mon daddy dans sa grande sagesse. Moi je me suis cramé les yeux sur l’écran pour vous retrouver, dans les archives de la Télévision Suisse Romande, un film de Jean-Claude Diserens passé dans l’émission Champ Libre. Il date pas d’hier, c’est de mars 1966.
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Pour la journaliste Marie-Madeleine Brumagne, Anselme Boix-Vives met en chanson son plan d’union mondiale pour sauver la civilisation. C’est qu’avant de se lancer sur le tard dans la peinture qui lui apportera la notoriété d’un peintre d’art brut de premier plan, le cher Anselme s’acharna à montrer à ses concitoyens de quel bois il se chauffait avec les choses tordues de la planète. Ses idées généreuses et candides, marquées au coin d’un pacifisme inébranlable et d’un capitalisme populaire spontané, il n’avait pas hésité à les répandre dans des brochures philosophico-politiques raides originales. Faisant du crédit la base de l’édifice social, il y préconise, avec une désarmante façon d’écarter les difficultés réelles, des solutions anti-chômage que n’aurait pas désavouées Alphonse Allais : aplanissement des montagnes, changement de place de l’océan.
Idéal en temps de crise! Dans son univers pictural, les catégories sociales subsistent mais envisagées sur un même plan. Boix-Vives adore les rois, les prêtres, les religieuses et les concierges. Tous noyés dans la même nature luxuriante. Cet égalitarisme coloré qui doit quelque chose à l’actualité de son temps (le mouvement pour les droits civiques aux U.S.A.) peut nous paraître plus séduisant. Il est quand même frappant d’entendre Boix-Vives dire : «je préfère voir réussir le plan que les tableaux». Cela mérite bien qu’on se penche aussi sur ses brochures utopistes. C’est ce qu’avait compris en son temps (1991) la revue L’Œuf sauvage qui dans son n°2 reproduisait l’espèce de disque façon 45 tours vinyl où Anselme B.-V. avait figuré l’enchaînement des causalités à partir d’une garantie planétaire mythique.
Si celle-ci vous paraît pas faire écho à certaines inquiétudes d’aujourd’hui c’est qu’il faut d’urgence vous HT des cotons-tiges pour vous déboucher les oreilles. L’œuf dont je parle montrait aussi deux couvertures de professions de foi boix-viviennes. Dans ma grande bonté, je vous en ai dégoté une autre. Car ce plan, c’est d’la balle!
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04.02.2009
Colloque, expo, catalogue : une trilogie Bosco
Neige sur Paris. Vent sur Palermo. Poireau à l’aéroport. Je suis restée 13 heures à attendre l’avion du retour devant une pub où -ironie du sort- un hardi pittore rougissait un mur bleu à grand renfort de rouleau.
On aurait dit que la Sicile ne voulait pas me laisser partir et qu’elle s’ingéniait à me faire regretter ce que j’étais venue chercher dans l’île avec mon chéri et les amis : non la barbouille ordinaire mais la peinture, la vraie peinture.
Celle du dottore Giovanni Bosco qui malheureusement n’était pas en condition d’assister à l’hommage qui lui était rendu, samedi dernier, dans sa ville de Castellammare del Golfo.
La grande prêtresse de cette chaleureuse cérémonie était Eva di Stefano et elle a assumé son rôle avec efficacité, bonne humeur, rire généreux et énergie communicative. On lui aurait bien offert un gâteau et chanté l’opéra pour la remercier.
Elle était secondée dans sa tâche par Claudio Colomba et une armée de jeunes zeppistes à coppola fleurie (casquette locale chic) et dread-locks.
Ils grimpaient sur des échelles, portaient des tonnes de cimaises, filmaient des plans d’enfer selon les nécessités de l’organisation, de l’accrochage et de la couverture de l’événement.
A 16 heures tout était prêt. Il ne restait plus aux oratrices et orateurs qu’à escalader la tribune de l’ancien cinéma où se tenait le colloque.
Heureusement que 150 personnes étaient là, debout dans les allées, occupant tous les fauteuils, ça réchauffait l’atmosphère de ce janvier frigo et riche en intempéries, même ici.
Ces quelques photos pour vous donner une idée de l’ambiance.
Si ça vous suffit pas, allez sur le documentaire de Salvatore Tartamella où vous cueillerez au vol un morceau de l’allocution de Lucienne Peiry, la directrice de la Collection de l’art brut et l’interview du signor Carlo Navarra, adjoint au maire.
Cliquer sur l'image
Votre petite âme errante étant trop timide pour parler, elle a délégué 2 membres de son «collectif» (et oui, je suis un collectif maintenant !) : l’Auguste Jean-Louis Lanoux qui a fait rire la salle avec son italien de pacotille et, dans le rôle beaucoup plus noble du clown blanc, l’indispensable Michel Scognamillo qui l’a tenue sous le charme de son verbe.
Pour que «Michele» (en italien) me pardonne ces douteuses plaisanteries, je vous scanne ici le beau texte qu’il a donné pour le catalogue sorti pour l’occasion.
La place manque pour célébrer la qualité du contenu de ce bouquin où l’on retrouve les contributions d’Eva, de Lucienne et de Teresa (Maranzano) mais il y a là-dedans quelques nouveaux clichés zeppistes, je vous dis que ça! J’en pique pas trop pour vous donner envie de vous le procurer.
Et je vous emmène toute de suite faire «un giro» (un tour) dans l’expo de dessins de Giovanni qui se tenait dans une église déconsacrée voisine.
Le spectacle, bien entendu, était aussi, était toujours, dans la rue. J’ai retrouvé un peu pâlies les fresques que j’avais vues en mai 2008.
J’ai découvert de nouveaux dessins sous les palétuviers ou sur les murs du jardin public.
En arrivant à Paris un peu hébétée de fatigue, je cherchais machinalement des Bosco partout sur les platanes et dans les rues.
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25.01.2009
Castellammare del Golfo honore Giovanni Bosco
Photo : ZEP
Giovanni Bosco sort de l’ombre. L’œuvre de ce grand créateur d’art brut sicilien aussi. Giovanni Bosco, dessinateur et muraliste d’exception, dont votre petite âme errante est fière de vous avoir révélé l’existence un soir de mai 2008 (le 25 pour être précise). Grâce à Boris Piot, l’un de ses fidèles lecteurs, qui l’avait mise sur la piste de Castellammare del Golfo.
Car je peux bien vous l’avouer maintenant c’est cette pittoresque bourgade balnéaire située non loin de Palermo qui est la patrie de Giovanni. C’est donc sous le patronage de la Municipalité de Castellammare et de la Province de Trapani que va se tenir une exposition Bosco dont on parlera dans les chaumières italiennes, françaises, suisses et… animuliennes.
Bosco émerge, du moins sa main, couverte de peinture rouge et brandissant une brosse, sur la couverture du catalogue et sur l’affiche qui nous informe des dates assez resserrées de l’événement : 31 janvier -7 février 2009. Le 31 janvier c’est le jour dédié au saint local : un certain San Giovanni Bosco, homonyme de notre peintre. Comme il est très populaire là bas, notre Giovanni Bosco à nous devra vaincre une forte concurrence pour se voir indexé sur Google.
Il reste à souhaiter par conséquent que cette exposition castellammarienne (qui est doublée par un colloque sur l’Actualité de l’art brut) soit suivie de plusieurs autres initiatives pro-Bosco. Un soutien attentif et respectueux a été apporté sur place ces derniers mois au peintre, qui n’a pas été épargné par la vie et dont la santé n’est pas des meilleures, grâce à l’action conjuguée d’Eva di Stefano, coordinatrice des différentes facettes de l’opération et de l’organisation ZEP (Zéro Euro Production).
Eva di Stefano, vous la connaissez. Elle est l’auteur du livre sur l’art brut et l’outsider art sicilien, intitulé : Irregolari. Je vous en ai parlé dans ma note du 22 juillet 2008.
Les ZEP, c’est une société d’étudiants de la ville qui réalise des vidéos.
Un de leurs films, Giovanni Bosco dottore di tutto, figure au programme.
L’exposition sera abritée dans une salle (Aula consiliare) du Palais Crociferi. Les participants au colloque : Eva di Stefano, Lucienne Peiry, Michel Scognamillo, Teresa Maranzano et Domenico Amoroso (directeur du Musée d’Art Contemporain de Caltagirone où une section est consacrée aux artistes outsider siciliens) se réuniront au Teatro Apollo dans le même palais.
Tout ce beau monde se retrouvera peu ou prou dans le catalogue. On attend du soleil et 15° Celsius. Aux commandes de l’avion, 3 pilotes dont on attend beaucoup : la ZEP, l’Observatoire Outsider Art de l’Université de Palerme et la Fondation Orestiadi di Gibellina.
Link : Per i nostri amici italiani.
Dernière nouvelle : le hasard veut qu’au moment où nous mettons sous presse, le n°30 de la revue Création Franche se décide à sortir (merci Anne, merci Sophie, merci Gérard) avec 7 reproductions couleurs accompagnant un texte de Jean-Louis Lanoux, intitulé Giovanni Bosco au cœur de l’art brut.
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03.01.2009
Sabatrion, un prince du néant
En 2008 qu’avez-vous fait de votre seconde supplémentaire? Moi, pendant cette goutte de temps ajoutée à notre sirop existentiel pour compenser le ralentissement de la rotation de la Terre, j’ai pensé au Goéland.
Le Goéland, les Bretons connaissent. C’est un journal d’art et de poésie publié pendant 20 ans (1936-1956) par son fondateur, le poète Théophile Briant (1891-1956) dans son moulin de Paramé en plein pays malouin.
Pourquoi je vous parle de lui ? Parce que, non content d’être un ami de Max Jacob et de Saint-Pol Roux et d’avoir encouragé un tas de plumes du genre de celles de Marcel Béalu, René Guy Cadou, Jean Vodaine, il est l’auteur d’un petit bouquin visionnaire que je réédite si je gagne au loto.
Sabatrion, c’est son titre. Un nom de jeu-vidéo. De l’extérieur pourtant ça n’a pas l’air en avance : une pauvre brochure lie-de-vin au look symboliste avec son serpent typo. 40 ans de retard pour la forme, on croirait une production Rémy de Gourmontesque ou Alfred Jarrysque. Mais l’intérieur a de quoi faire dresser les oreilles situationneuses et les poils des sacripants art-brutistes en diable.
Je prononce ce mot parce qu’il en est question dans cette nouvelle, publiée en 1938, que l’auteur présente curieusement comme un pamphlet dédié «Aux tyrans qui se croient des dieux, aux esclaves qui se croient des maîtres». En bref, comme dirait Pépin, l’action se passe en juillet 1914 dans un asile d’aliénés du nord de la France. Un patient dangereux, qui occupe la chambre 666 (tiens, donc), se prend pour le Démon, zigouille salement une infirmière puis disparaît à son tour dramatiquement. Point barre ? Non. Sabatrion (le «malade aigu», c’est lui) a laissé un manuscrit que le narrateur va laisser dormir pendant 22 ans. A partir de là, la nouvelle qui progressait gentiment selon les règles conventionnelles du récit fantastique s’élève soudain à la hauteur d’une hallucinante vision prophétique.
Sabatrion, «Prince du néant» harangue les scientifiques : «Inventez, surinventez, éventrez, étripez, décervelez». Il prédit une «grande charognerie noire et pestilentielle» au cours de laquelle «on tuera sans voir». Des rencontres entre «la viande à canon et la viande à plaisir» où l’on fabriquera des enfants «pour que ça continue».
Dans ce climat de démolition généralisé, le Diable «cuisinera» les cerveaux : «Je leur inventerai le confort et les loisirs pour les chloroformer. Je dirigerai la grande presse d’information. Je ferai alterner sur l’écran les criminels et les turlupins, les maquereaux et les grands seigneurs. J’obligerai les producers à penser public et le public à penser stupide». Dans son «cabanon de série», l’homme «cherchera fièvreusement de nouveaux stupéfiants (…). Il entendra des chefs d’état (…) cracher des menaces et il écoutera ces hurlements de mort d’une oreille distraite en sirotant des portos».
Pas mal, non, pour de la littérature aliénée, même simulée ? Moi, ça m’a fait penser à l’indigne chasse au «schizophrène» par quoi s’est terminée l’année dans les medias de notre malheureux pays.
20:55 Publié dans Ecrits, Lectures | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : théophile briant | | Imprimer | | |
24.11.2008
Des minous et des livres
Vialatte, Lévi-Strauss, Caradec et les autres : week-end-lecture pour votre petite âme errante. J’étais partie errer dans les rues glacées du côté de la Sorbonne qui est devenue un lieu de pèlerinage pour les cousins de province («mais voui, c’est là que ça se passait…») lorsque j’ai bifurqué vers les thermes de Cluny où se tient l’expo Celtes et scandinaves, rencontres artistiques VIIe-XIIe siècle que je voulais voir.
Hélas, le Musée National du Moyen-âge m’est apparu un peu rébarbatif avec sa porte défendue par un gardien qui n’a rien de Georges Clooney.
Et puis, j’en ai eu vite marre de faire le poireau devant des chiottes, installées dans un module de chantier qui défigure une cour vénérable, alors je suis allée photographier un minou du Poitou qui fait un tabac dans une librairie de la rue Saint-Jacques, voisine du Vieux Campeur.
De minou en minou, je suis allée lécher la vitrine du Dilettante où j’ai repéré les Chroniques de l’année 1968 d’Alexandre Vialatte qui viennent de sortir chez Julliard avec une préface de Philippe Meyer. Pour celles qui, comme moi, ont fait depuis longtemps des papiers du grand Alexandre leur livre de chevet, il n’y a peut-être rien à apprendre.
Mais ça fait jamais de mal de relire Vialatte et j’ai revisité avec plaisir certaines allusions au Facteur Cheval, certaines petites phrases sur Dubuffet et Jean Paulhan : «Dubuffet se grise de trottoirs, de bitumes et de macadams. Il a fait un portrait de Jean Paulhan en bitume. Les trente-deux dents (…) sont faites en vrai gravier de trottoir (…)».
Après ce joyau rouge, mon choix s’est porté sur un bijou noir, imprimé en bleu et édité par L’Herne. Ce petit bouquin de Claude Imbert s’intitule Lévi-Strauss, Le passage du Nord-Ouest.
Pour celles qui prennent soin de leur beauté, il a l’avantage de contenir la traduction en français (par Mark R. Anspach) d’un article de C. L.-S. parut en anglais dans dans le 1er n° de V.V.V. créée par André Breton, alors réfugié aux U.S.A, en 1941. Il s’agit de Indian Cosmetics, cette troublante cosmétique des indiens Caduvéo du Brésil que les habituées du chapitre XX de Tristes Tropiques connaissent bien. «Les femmes caduvéo ont une réputation érotique qui est solidement établie sur les deux rives du Rio Paraguay», nous dit Lévi-Strauss qui fête ses 100 ans vendredi. Avis à mes lectrices ! Comment les messieurs, emplumés ou non, ne craqueraient-ils pas devant ces parures de lèvres dessinées au jus bleu-noir d’un fruit du nom de genipapo.
C’est d’un sourire pareil que je souhaiterais saluer la sortie discrète de François Caradec, auteur (entre autres) de la désopilante et érudite Encyclopédie des Farces et attrapes et des mystifications, parue en 1964 chez le malicieux Jean-Jacques Pauvert. Des Arts incohérents aux fausses peintures du Tassili, de la Vierge à surprises de Notre-Dame du Mur de Morlaix à Glozel, on y serpente sur maints chemins de traverse qui croisent les sentiers de l’art brut.
Que toutes ces voies mènent au paradis des Christophe et des Allais, ça me paraît évident. Pas vous ?
23:27 Publié dans Ecrans, Ecrits, In memoriam, Lectures, Vagabondages, VU SUR ANIMULA | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : claude lévi-strauss, alexandre vialatte, louis wain, jean dubuffet, françois caradec | | Imprimer | | |
17.11.2008
A la poursuite du facteur Cheval
A la poursuite du facteur Cheval, j’ai rencontré Gérard Manset. Manset, vous le connaissez pour avoir entendu -et sans doute fredonné les jours de blues- Il voyage en solitaire, sa chanson mélancolo, désaccordée du piano. Manset il montre pas sa tronche, il réédite pas ses anciens morceaux, ce qui fait qu’on le connaît sans le connaître. Auteur, compositeur et interprète, Manset est aussi peintre, photographe et … écrivain. Et là, surprise ! Le 6 novembre 2008, il a sorti un roman au cœur duquel on trouve l’époustouflant Ferdinand. Son titre? A la poursuite du facteur Cheval.
Si! Sans déc. Avec mon repassage en retard, les carottes à éplucher, Dominique et Léa qui vont arriver pour le thé, vous pensez si j’ai le temps de me vautrer dans la critique littéraire! En plus Manset, je comprends pas tout ce qu’il dit et faut pas compter sur lui pour vous expliquer. Amateurs de romans traditionnels, passez votre chemin! Et vous les groupies des intrigues bien menées qui progressent sagement au rythme de la chronologie et de la logique, allez voir ailleurs!
Ecrivain-voyageur, Gérard Manset bouscule le temps, ses fantasmes et ses souvenirs asiatiques ou colombiens. Avec des morceaux de bravoure dans des Thaïlandes de rêve où l’on exhibe une pathétique créature qui fait penser à l’hermaphrodite-albinos du Satyricon de Federico Fellini. Impossible de suivre son récit de A jusqu’à Z. Il faut accepter de tomber dans des trous, admettre de s’y reprendre à plusieurs fois, chercher son passage du nord-est perso. Bref, errer dans un labyrinthe où vous retombez toujours (mais pour le perdre aussitôt) sur ce «prédateur des styles», sur ce «propagateur de la fièvre hindo-bouddhiste» : le facteur Cheval himself.
Acte de naissance de Ferdinand Cheval
C’est pas la première fois, bien sûr, que Cheval fait irruption dans la littérature. Sans remonter au Revolver à cheveux blancs d’André Breton (1932) : «Nous les oiseaux que tu charmes toujours du haut de ces belvédères», on se souvient d’Alexandre Vialatte (Dernières nouvelles de l’homme) : «Chez l’homme, la tête pense, la main suit. Le reste y passe. Parfois pendant une vie entière. Le facteur Cheval en est un exemple éclatant».
Et de Robert Morel éditant en 1969 un beau texte d’Alain Borne et témoignant : «C’est à Lyon, en 1942, dans les rues vides où nous rodions après le couvre-feu, qu’Alain Borne me parla du Facteur Cheval pour la première fois».
Mais c’est pas une raison pour pas vous laisser porter par la musique très particulière et plus contemporaine de Gérard Manset : «L’avez-vous vu, ce palais? L’avez-vous déjà vue, cette basilique tout aplatie comme serait un morne coléoptère sur du sable tamisé ? Criquet dont la famille aurait volé plus loin (…). Un être avait commis cette équipée de la taille, tout juste, d’une goélette dont les cheminées seraient ces danseuses sémaforologiques (…) tournant leurs bras dans une gestuelle d’alphabet morse et incitant d’emblée à consulter les courts poèmes de grès marqués à la truelle mettant en scène ce qu’un Apollinaire lui-même aurait pu inspirer (…)».
00:22 Publié dans Ecrits, VU SUR ANIMULA, Zizique | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : art brut, ferdinand cheval | | Imprimer | | |
11.10.2008
Gentil chapon touche du bois
L’autofiction est à la mode et Schwarz-Abrys, un de ses devanciers, sort de l’ombre avec Gentil chapon touche du bois aux Editions Cambourakis. «Encore un Hongrois», me direz-vous, «et encore un ouf» avec un titre pareil, dans une pareille collection (En Démence). Vous y êtes presque. Le nom de Schwarz-Abrys, pour les amoureux de l’art brut reste lié à une expo historique : l’Exposition d’œuvres exécutées par des malades mentaux (peintures, dessins, sculptures et décorations) organisée par le Centre Psychiatrique Ste-Anne du 16 au 28 février 1946
Intérieur de l'exposition
Le 15, jour du vernissage, Gaston Ferdière, qui avait apporté des œuvres de Rodez, conférencie mais le catalogue dit bien que c’est «avec le concours de Schwarz-A» que l’expo se déroule.
Qu’est-ce qui vaut à ce peintre autodidacte qui s’est fait connaître en 1939 au salon des Indépendants avec des tableaux à clous, cet «honneur» et cette mission ? La virtuosité avec laquelle, après guerre, il joue avec l’auréole de la folie et avec son image de persécuté, tout à la fois.
Né en 1905 à Satoraljanjhely dans une famille juive de journaliers agricoles, S.-A., peut-être à cause des mesures antisémites du régime d’Horthy, quitte la Hongrie pour venir en France où il se marie. Engagé volontaire au début du conflit mondial, fait prisonnier puis libéré, selon lui par erreur, il passe la période de l’Occupation à Ste-Anne. Réfugié ou patient ? Il entretiendra toujours le doute sur ce point, semblant se servir de ses symptômes pour décrire, par la peinture et la littérature, sa vie d’aliéné.
Entre 1950 et 1955 (son heure de gloire), il publie 3 bouquins mêlant fiction et souvenirs asilaires.
C’est l’un d’eux : Gentil chapon… qui est réédité aujourd’hui avec une préface d’Anouck Cape.
Celle-ci a le mérite d’apporter un peu de clarté dans la brume volontairement ourdie par Schwarz-A : «ce récit d’un internement ne cesse de jouer avec les limites (…) qui séparent la folie et la raison, le témoignage et la fiction, la vie et la littérature».
A l’époque, on a comparé S.-A. à Céline, ce qui est pousser loin le bouchon. Relisons plutôt, sur les mêmes thèmes, Force ennemie de John-Antoine Nau, le premier Prix Goncourt.
Les autres romans schwarz-abryssiens sont pourvus de titres aussi loufoques : Ni chardons ni duvets et surtout L’âne ne monte pas au cerisier (1950, mais pas trop coton à trouver sur le marché de second hand). Je résiste pas à vous en montrer la graffitique couverture et la racoleuse bande-annonce.
Ce livre a par ailleurs l’avantage de contenir des repros –en noir, hélas– des portraits de fous d’un vigoureux expressionnisme (!) peints en live à l’asile par Schwarzys ou d’après études, allez savoir !
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22.07.2008
« Irregolari » : 8 créateurs d’art brut siciliens
Enfin, ça y est, je l’ai reçu. Je commençais à bouillir parce que, depuis sa sortie, fin mai 2008, je faisais des pieds et des mains pour me procurer : Irregolari. Merci à Kalos, son éditeur palermitain. Il a eu pitié de votre petite âme errante et lui a propulsé cet ouvrage d’Eva di Stefano dans sa boîte aux lettres et à malices réunies. Irregolari, c’est pas trop dur à traduire, je pense, pour les Animuliens francophones qui sont familiers des «indomptés», des «indisciplinés» et autres «inspirés». Et pour ceux qui auraient la comprenette difficilette, le sous-titre du bouquin de l’historienne (et critique) d’art italienne est assez limpide : Art Brut e Outsider Art in Sicilia. O.K., vous captez le truc ? La monographie de la Signora di Stefano comble une lacune. A partir d’un socle théorique que j’ai sauté pour le moment car j’attends d’avoir un bon dico, elle s’attaque à cette «terra matta», la Sicile. Avec sa longue tradition pleine de mythes, d’archéologie, de drames et d’immigrations (très tendance en ces temps unionistes et méditerranéens) cette île fascinante devait fatalement recéler son lot de «visionari, illetterati, eccentrici» adeptes d’un art spontané, vivace et irrépressible.
Eva di Stefano a eu la bonne idée de se borner à nous en présenter 8, choisis parmi les cas les plus intéressants. Tous des hommes, nés pour la plupart dans les 30 premières années du 20e siècle.
Si j’excepte Filippo Bentivegna dont vous avez déjà pu visiter le Castello incantato le 21 mai 2008 sur mon considérable blogue, je vous recommande également :
Francesco Cusumano qui a commencé l’art par une sculpture qu’il avait vue en rêve
Rosario Santamaria et ses chiens de pierre, pour qui, selon Eduardo Rebulla «l’arte aveva una funzione eminentemente autoremunerativa»
Francesco Giombarresi, dandy aux géométries piranésiennes
Sabo (pseudo de Salvatore Bonura) et son univers pictural peuplé de sortilèges sensuels qui apparaît à Michel Thévoz, dans une lettre à Eva di Stefano de mars 1982, «come la proiezione drammatica di un mondo interiore tormentato»
Gaetano Gambino, ses paysages préhistoriques et son monde plus pétrifié que celui de Max Ernst
Giovanni Abrignani qui ne dessine pas comme un enfant mais est plutôt à l’écoute de l’enfant qui est en lui
Giovanni Cammarata et sa «casa degli elefanti» a Maregrosso, un faubourg de Messina
Bien entendu, il y a une foule d’autres pistes à suivre dans les Irréguliers d’E. di Stef. Comme elle a déjà écrit des tas de choses sur l’art européen des 19e et 20e siècles et sur l’avant-garde en Sicile, sa documentation tient la route, tant sur le plan culturel que «contre-culturel» (pour aller vite). Et puis, dans une dédicace à son père Guido di Stefano, «storico dell’arte e siciliano elegante», elle nous confie, en petits caractères très discrets : «Dedico questo libro, che per molti motivi a me è il piu caro (…)».
Toutes les photographies sont empruntées à l'ouvrage : Irregolari
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18.07.2008
Paysages de femmes
La semaine dernière, je lui ai taxé une vieille brochure de Jean Ajalbert,
un Auvergnat de Clichy-la-Garenne qui fut l’avocat de l’anarchiste Auguste Vaillant. J’avais été attirée par son titre rouge : Paysages de femmes et par la choucarde lettre ornée de sa couverture. Ce recueil célèbre les danseuses de chahut, les pouffes d’atelier et les petites bourgeoises qui montrent leurs mollets en grimpant dans les omnibus.
Bien m’en a pris car j’y ai déniché un fatal poème impressionniste que j’ai recopié pour vous. Pourquoi tant de mansuétude ? mais parce le dit poème nous chante – et c’est assez rare en 1887 pour le souligner – le charme des graffiti parisiens.
23:50 Publié dans Ecrits, Images | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : graffiti | | Imprimer | | |