26.10.2012
Beautiful dolls of the desert
Selon que l’on est mod ou rocker, bourgeois bohême ou caillera, amateur d’art sincère ou snobinet, on détestera ou on adorera le show Everything dont je vous ai touché deux mots le 3 octobre dernier. Vous avez jusqu’au 16 décembre pour y assister. Du moins je crois. Même les dates ne sont pas claires.
C’est vrai que l’accrochage, pourtant minutieux, est terrifiant, que la lumière est calamiteuse, que c’est encadré à la va comme je te pousse et que l’encombrement niveleur, poussé à ce point là, on se demande si c’est manque de respect pour les œuvres ou preuve de désinvolture excentrique comme seuls les Anglais savent faire.
Mais qu’on trouve ça déprimant ou exciting, il faut courir à l’Everything, suivre la flèche rouge, gravir les escaliers d’incendie, déambuler dans des couloirs gais comme la R.D.A. et des espaces bas de plafonds qui n’ont pas été repeints depuis l’Occupation.
Non pour croiser les machines de Ratier dans les douches, non pour admirer entre deux portes les aquarelles d’Alexandre Lobanov éclairées par des ampoules de 25 watts, non pour se retrouver scotchée à 20 cm (il n’y a aucun recul) de 24 dessins-collages de Dellschau, «pages déchirées» d’un livre (par qui ?).
Non, pas pour ça, pour lequel on plaint les prêteurs, mais pour une chose. Une seule chose mais quelle chose! Un environnement d’art dans le désert mojave, commencé dans les années 50 du 20e siècle.
et Ruby Black
à Yermo (Californie) : Possum trot.
En vrai, il n’existe plus mais il est évoqué ici dans ce qui semble être une ancienne salle des fêtes de ce séminaire en friche du boulevard Raspail. D’accord on a mal au derrière sur les chaises en bois de caisse, on se tord le cou parce que la scène est trop haute, le regard chavire sur le drap mal tendu où est projetée la vidéo mais chez Calvin et Ruby c’était sans doute pas très confortable non plus.
Et on oublie vite ses courbatures tant c’est extraordinaire. Rien de comparable en France à part le manège de Pierre Avezard. Imaginez une petite cité délabrée au milieu de nulle part, peuplée d’une centaine de poupées en bois dans des vêtements poussiéreux, hailloneux et somptueux.
Chacune accomplissant une tâche.
Imaginez des micros derrière les têtes et le créateur du lieu interprétant un spectacle de son invention, à base de chroniques, avec une voix de fausset et en s’accompagnant à la guitare.
De la route proche qui apportait les visiteurs on pouvait voir des pièces tourner comme des radars sur des kiosques balayés par le vent.
L’organisation Everythingneuse étant un peu parano question photo, je n’ai pas pu vous rapporter des images.
J’emprunte celles que je vous montre à des sites américains qui traitent de ce chef d’œuvre d’invention, de bricolage inspiré, de poésie populaire et de scénographie spontanée.
Après la mort de Calvin, concepteur principal de cette ambiance féérique pour road movie, son épouse Ruby, qui l’assistait pour les costumes, ne voulut pas détruire Possum trot comme le lui avait demandé son mari.
C’est donc le temps qui s’en est chargé non sans que des sculptures se retrouvent chez des collectionneurs.
Elles valent très cher aujourd’hui.
Sources :
18:19 Publié dans Ailleurs, art brut, Expos, In memoriam, Musées autodidactes disparus | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : art brut, environnements populaires spontanés, environnements bruts et spontanés, calvin et ruby black, désert mojave, museum of everything | | Imprimer | | |
14.10.2012
Le bestiaire de Joseph Courilleau
Quelques tableaux. A peine une œuvre. Une expression artistique si furtive, si peu façonnée qu’elle en devient émouvante, attendrissante même. N’était son parfum de délire et de nature mêlées. Les peintures sur plaque d’Isorel de Joseph Courilleau méritent une halte comme celle qu’on fait dans une clairière au sortir d’une forêt. Elles font partie de ces «sujets pouvant être traités» que j’ai mis dans un dossier en attendant l’occasion d’en parler.
Mais quelle actualité concernera jamais cet homme de la campagne réfugié dans une ville de province qui occupait son temps à tresser des paniers et des bourriches en osier avant de se mettre à peindre dans son grenier, à 72 ans, alors qu’il n’avait jamais touché un pinceau de sa vie?
Il aura fallu que je sorte de bonne heure ce matin, qu’il fasse frisquet, que la pluie m’ait rattrapée sur le chemin du RER pour que je repense à Joseph Courilleau dont le petit-fils Jérôme Lamothe m’a conté la légende il y a bientôt deux ans de ça.
Soudain j’ai eu envie de siffler un chien inexistant, d’enfoncer mes bottines dans les feuilles mortes, d’offrir mon nez au vent d’octobre comme à une crème de beauté, d’oublier mon club de fitness. Des souvenirs de lecture sont venus se mêler au souvenir de Joseph Courilleau, un Raboliot du Poitou en son genre.
Il y a beaucoup à rêver, en ces temps d’ouverture de la chasse, sur le braconnage qui, dans nos contrées, porta certains à une marginalité clandestine protégée par la population locale complice. Cela se terminait mal, généralement et c’est ce qui est arrivé à Joseph Courilleau.
Pendant plus d’un an, il vécut en ermite dans la forêt, secouru par son épouse qui le récupéra dans un état pitoyable.
Né en 1920, l’armée, la guerre et un retour difficile où il trouve la ferme familiale exploitée par un parent qu’il s’imagine doté de pouvoirs néfastes, lui font péter un plomb et se précipiter à 25 ans dans la schizophrénie, selon le diagnostic des médecins.
Ses tableaux, d’apparence faussement naïve, ont quelque chose de pariétal, de primitif, de bizarre, bien qu’ils visent le plus souvent à représenter des animaux en liberté. Un soupçon de chamanisme, de la sorcellerie évocatoire, peut-être?
Ces œuvres sont mieux en vrai que sur les photos de Jérôme qui était le seul à être accepté par son grand-père dans son grenier, «son univers et unique horizon». L’épisode de la réclusion au fond des bois fut suivi d’un long séjour en hôpital psychiatrique.
Après quoi, Joseph Courilleau, stabilisé par les médicaments qu’il mélangeait fâcheusement à l’alcool, occupa jusqu’à sa retraite un emploi de tanneur dans une chamoiserie. Les bêtes toujours. La peau des bêtes.
En béret et sandalettes (sous des poches en plastique l’hiver), le regard perdu, ce «déraciné», cet éternel «incompris», enfermé dans sa petite maison des Deux-Sèvres, était «quasi inaccessible». Les repas de famille, il n’y venait jamais, n’adressant pas la parole à ses proches, content seulement, «très content» de voir Jérôme. Que celui-ci le lui rende bien par le truchement de mon blogue est pour moi motif de fierté.
Joseph Courilleau est mort à 84 ans sans avoir jamais accepté qu’on l’ait privé de sa chère nature.
15:38 Publié dans art brut, Images, In memoriam | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : art brut, joseph courilleau | | Imprimer | | |
27.09.2012
Les inventeurs bientôt inventoriés ?
4 octobre 2012. Vous avez jusque là pour vous procurer en kiosque le n°375 du bimensuel Le Journal des Arts. Article d’une page sur 6 colonnes d’Eric Tariant. Dans la rubrique Patrimoine et musées, une enquête documentée sur le thème des Chefs-d’œuvre d’art brut en péril.
Apprécions au passage le petit parfum ORTF. «Chefs d’œuvres en péril» rappelle l’émission culte de Pierre de Lagarde et les années 60/70 du siècle dernier que certains, m’a dit mon daddy, ont vécues.
Ce n’est pas le cas des «fondus d’art singulier» qui «tirent la sonnette d’alarme» à propos de ces «œuvres monumentales réalisées par les inspirés du bord des routes ou bâtisseurs de l’imaginaire» qui «disparaissent avec leurs inventeurs». Du moins trop souvent.
Eric Tariant nous parle d’un «jeune couple italien» qui s’emploie à fédérer «les bonnes volontés» pour sauver «ces sites en péril». Chiara Scordato, une Romaine de Paris «et son compagnon Danilo Proietti» (quelques autres aussi que le journaliste ne cite pas) ont créé une association. Son titre : Patrimoines irréguliers, me paraît heureusement inspiré par Irregolari le livre d’Eva di Stefano dont je vous parlais encore hier. Le site Internet de l’asso est en construction mais il devrait accueillir en 2013 l’inventaire d’une cinquantaine de «sites du patrimoine artistique français». Sites bien réels de notre terroir ceux-là.
Une cinquantaine sur «environ 200» qu’«on recense» en France, nous dit le journaliste sans préciser davantage. Faut-il chercher ce «on», «pronom malhonnête» comme le prétendaient nos grands-mères, parmi la «brochette de spécialistes de l’art brut emmenée par le critique d’art et écrivain Laurent Danchin» (dixit Tariant) qui en appela (je parle de la brochette) récemment à un ministre de la Culture sur le départ pour le classement d’une cathédrale plus new-ageuse que brute?
L’article de Eric Tariant ne le précise pas. Il n’en énumère pas moins certains de ces 200 «environnements d’art populaire» : le Palais idéal d’Hauterives, le jardin de sculptures d’Emile Taugourdeau, la Maison aux coquillages de Bodan Litnianski («à vendre au prix de 80.000 euros»), Le Petit Paris à Saint-Dizier et le site de Marcel Landreau à Mantes-la-Jolie.
A propos de celui-ci, précisons à monsieur Tariant qu’il est un tantinet défaitiste d’écrire que cet «environnement fait de sculptures de cailloux» n’aurait pas «résisté au passage du bulldozer commandité par (ses) nouveaux propriétaires». N’en déplaise à ceux -amateurs ou «spécialistes»- qui propagent cette romantique légende à partir de données anciennes, Marcel Landreau avait su sauver de la destruction un nombre non négligeable de ses œuvres.
Comme les découvertes récentes d’un antiquaire dont le nom (Freddy Tavard) a été révélé ici même sur mon blogounet à moi, Marcel Landreau avait même su transporter et scénographier ses œuvres rescapées dans un autre environnement : celui de la résidence poitevine où il passa sa retraite, poursuivant son travail créatif à petit bruit. Il n’est pour s’en convaincre qu’à faire un tour sur mes notes spéciales Landreau.
Et puis voilà.
20:53 Publié dans art brut, In memoriam, Sites et jardins | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : patrimoines irréguliers, art brut, marcel landreau, eric tariant, pierre de lagarde, chefs d'oeuvre en péril | | Imprimer | | |
27.08.2012
Philippe Dereux et la Mémoire des épluchures
Sur son créneau il caracole en solitaire. Et le moins que l’on puisse dire c’est que, onze ans après sa disparition, ils ne se sont pas bousculé, les «singuliers» ou les «contemporains», pour suivre la voie des épluchures, la voie de Philippe Dereux.
La Galerie Chave qui a toujours soutenu son travail, y compris sur le plan éditorial en publiant les commentaires dont l’artiste accompagnait son activité plastique, lui offre, jusqu’à la fin de l’année 2012, une exposition nouvelle : peintures, dessins, collages.
L’invitation annonce la parution d’une monographie intitulée Mémoire des épluchures (1960-2000). «Mémoire» au singulier et non pas au pluriel comme on le voit déjà sur le Net. Peut-être parce qu’il est naturel avec Dereux de s’attendre à ce qu’il nous distille ses souvenirs. Mais enfin les épluchures ont bien droit d’avoir de la mémoire aussi!
Le drôle de rapport qu’il entretenait avec elles, Philippe Dereux était capable de l’exprimer en une phrase : «Quand je colle mes épluchures, que je les vois se grouper, s’attirer, se repousser, je me crois le démiurge procédant à la création de l’Univers». Dereux se cachait-il derrière ses épluchures ou s’exhibait-il par leur truchement?
Toujours est-il que ce matériau si inattendu lui a fourni un moyen qu’il chercha longtemps dans «l’enfer d’écrire» à la poursuite d’une littérature inaccessible et de ce fait décourageante.
Quel moyen? Mais le moyen d’épancher les méandres et les bigarrures de sa vie intérieure sans rien céder de sa pudeur presque maladive. C’est ce qui distinguera toujours Philippe Dereux de n’importe quel casseur de graines, de n’importe quel brasseur de salades, de n’importe quel assembleur d’éléments vaguement végétaux : ce jeu de la bure et du brocart, du ressenti et de l’exprimé. Cette capacité d’édifier un monde luxuriant par le limon qui devrait en être la négation même. L’épluchure : une solitude, celle qui fait de l’art de Dereux une proposition unique. Et puis c’est tout!
Aux cartes postales que je reçois, j’en vois qui traînent encore leurs espadrilles du côté provençal de la force vacancière. Alors, si vous êtes encore dans le coin de Vence à la fin d’août, pourquoi ne pas remettre votre grand retour au début septembre? Bison fûté vous en sera reconnaissant et vous pourrez assister au vernissage Dereux de la Galerie Alphonse Chave le samedi 1er septembre 2012 car il ferait beau voir que, dans les Alpes maritimeuses, on attende que les Parisiens et les Lyonnais soient partis pour se régaler d’épluchures.
23:00 Publié dans Expos, In memoriam | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : philippe dereux, galerie chave | | Imprimer | | |
28.07.2012
Arlette a rejoint Raymond
Comme les choses vont, comme les choses viennent. C’est Pakito Bolino, l’éditeur du Dernier Cri qui me l’a appris le 25 juillet 2012 en plein concert de musique Touareg à Marseille : Arlette nous manque, Arlette n’est plus. Arlette c’est Arlette.
Arlette Reynaud, la veuve de Raymond, le peintre, s'il faut vous faire un dessin. Un peu plus et je me pointais à Sénas pour lui rendre visite comme chaque fois que j’étais dans le coin. On serait allé papoter dans un p’tit resto comme à l’accoutumée. La dernière fois, en avril 2011 (déjà) c’était chez Lolo Mauron à St-Rémy-de-Provence.
La grande âme errante de Raymond Reynaud avait bien sûr été évoquée dans la conversation. «Ma galinette», comme elle disait l’Arlette de son chéri d’amour.
Mais les choses vont et les choses viennent. On n’a pas le droit d’être triste puisque Raymond se retrouve à l’affiche du Festival d’Aubagne, ce que Arlette aurait aimé.
Sous la houlette de Danielle Jacqui, vaillante directrice artistique, 65 artistes dont vous trouverez ici les noms, seront représentés jusqu’au 26 août 2012 dans ce festival qui est aussi une biennale puisqu’il n’a lieu que les années paires.
François Ozenda, dont je déplore que le site du Festival ne nous donne aucune image, disposera –c’est une bonne chose– d’un espace particulier dans le Bras d’Or, l’un des lieux où se déroule la manifestation.
Ceci sous le parrainage de Jean-Claude Caire qui a toujours défendu, à grands coups de fanzines, l’œuvre de cet émouvant artiste de Vence, exposé par Alphonse Chave dès la fin des années cinquante du siècle précédent.
J’arrive un peu tard pour le vernissage qui se partage aujourd’hui samedi entre le Centre d’Art des Pénitents noirs (18h30) et l’Espace Bras d’Or (17h30) mais l’essentiel est de vous rafraîchir la mémoire en ces temps moites et orageux où vous ne pensez sans doute qu’à vous taper des mojitos.
17:54 Publié dans art brut, Expos, In memoriam | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : raymond reynaud, arlette reynaud, françois ozenda, art singulierlolo mauron, pakito bolino, le dernier cri | | Imprimer | | |
07.06.2012
Rosemarie Koczÿ à corps et à cri
Quelques images avant la route? Commençons par les plus dures. Celles de Rosemarie Koczÿ qui entament l’âme (errante ou pas). Le Musée de la Création Franche consacre à cette artiste, certes «trop cultivée et trop communicative pour être classée parmi les auteurs d’art brut» (Michel Thévoz) mais hyper-émouvante tout de même, une publication qui accompagne l’exposition A corps et à cri.
Vous avez jusqu’au 19 août pour la visiter. Le début de la vie de R K est si dramatique qu’on a peine à en lire les péripéties passées au crible de sa mémoire. D’ascendance hongroise, née en Allemagne, déportée avec sa mère, elle a survécu à deux camps de concentration avant de subir les rigueurs d’un orphelinat catho où l’on s’employa à lui faire oublier son identité de petite fille juive. J’ignore si ses récits correspondent en tous points à la réalité ou s’ils procèdent d’une sorte d’enkystement perpétuel de la douleur comme on en a parfois l’impression.
Toujours est-il qu’à regarder (non sans difficulté pour moi) la série de ses dessins à l’encre de Chine intitulée Je vous tisse un linceul, dessins dont elle disait : «c’est un enterrement que j’offre à ceux que j’ai vu mourir dans les camps», on ne peut qu’approuver Pascal Rigeade, le directeur du MCF de Bègles d’avoir entendu à la lettre la conclusion de l’article de Michel Thévoz dans le n° 31 de la revue Création Franche (voir ma note du 1er oct. 2009).
«A notre tour», écrivait Thévoz, «il nous incombe de tisser un linceul à Rosemarie Koczÿ».
14:10 Publié dans Expos, In memoriam | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : rosemarie koczÿ, création franche | | Imprimer | | |
31.05.2012
Célébration de Chemellier et de Jules Mougin
Célébrons aujourd’hui Chemellier dans le Maine et Loire. Cette commune chargée d’histoire (il y en a toute une tartine sur Wikipédia) m’offre l’occasion d’un retour sur moi-même. Au lieu-dit La Motte, il y aurait des poèmes gravés dans le tuffeau, tendre pierre crémeuse du Saumurois.
C’est qu’à Chemellier vécut Jules Mougin à qui il n’y a pas si longtemps (le 8 novembre 2010 exactement) j’ai fait un p’tit coucou de départ. J’enrageais alors de ne pas être fichue de vous citer une jolie poésie manuscrite du Facteur Mougin à son confrère Ferdinand Cheval que j’avais achetée jadis à Drouot. Et bien ça y est, je l’ai retrouvée, glissée dans sa chemise jaune parmi un épais feuilletage de coupures de presse. Elle provient de vieilles archives de Frédéric Altmann qui fonda un musée d’art naïf dans le Var. Je vous en cite un chouïa :
Ma foi, c’est pas rien de saluer
un voyant ! (…)
Il faudrait pour bien faire,
Compter les jours et les jours
Du va et vient
Génial.
Pierre par pierre.
Une pierre comme ça,
Une autre qui chuchote à la coquille,
Et la plus belle – mais si lourde –
Qui, sans aucun doute, est une larme
D’étoile !
Cette poésie, rédigée d’une main ferme et d’une plume noire le 30 juin 1975 à 17 heures, est belle dans sa forme un peu échevelée comme peut l’être l’autographe de Mougin que reproduit Alain Paire dans sa note du 13 mai 2012.
Si je vous signale cette note c’est qu’elle est toute entière occupée par un beau texte du photographe Léon-Claude Vénézia sur Jules et Jeanne Mougin.
Et qui est annoncée la sortie imminente de la correspondance de Jules Mougin avec Gaston Chaissac.
12:36 Publié dans art brut, In memoriam | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : art brut, jules mougin, alain paire | | Imprimer | | |
25.05.2012
Dubuffet métallisé
A force de parler de lui on le croirait immortel. Du moins ses idées sont si vivantes -bien que (ou parce que) réfutées, adulées, controversées, serinées, travesties, déclarées démodées ou indémodables, ratatinées, oubliées ou du plus pur acier inoxydable- qu’on a de la peine à l’imaginer mort. Même moi, votre petite âme errante, hourloupiste de la plus belle eau, je viens de me rendre compte que jamais, au grand jamais, je ne m’étais préoccupée de savoir où était sa dernière demeure.
Grâce à Lars Ulrich, le batteur du groupe Metallica, je sais maintenant que Jean Dubuffet repose près de sa chère Lili dans le cimetière du village natal de celle-ci, Tubersent dans le Pas-de-Calais. Grâce à Lars Ulrich et grâce à La Voix du Nord.
Dans le numéro 43 du 20 avril 2012 du magazine Rolling Stone, le musicien a, en cours d’interview, déclaré au sujet de Dubuffet : «Ah, mon artiste préféré de tous les temps! C’est le parrain de l’art brut, de tous ces artistes qui se sont dégagés de toute éducation superflue pour sortir un art essentiel, primitif, essentiel.»
Ce qui lui vaut de la part de La Voix du Nord qui a remarqué ce propos, le commentaire un poil ironique suivant : «On est à deux doigts du pèlerinage du batteur californien à Tubersent, où repose le créateur de l’Hourloupe qui a également donné son nom à une rue.» Comme si c’était carrément incongru que le heavy metal croise la route de l’art brut!
Comme si l’art brut n’avait droit qu’aux épousailles avec les conceptualités snobardino-contemporaines! Et si, petit doigt en l’air pour petit doigt en l’air, celui de Lars Ulrich, à tout prendre était préférable? Tubersent n’a pas de musée et Lars Ulrich pourrait bien être sincère quand il dit à propos de l’art brut : «ça me parle beaucoup, y compris en tant que musicien».
23:55 Publié dans art brut, Gazettes, In memoriam, Zizique | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : jean dubuffet, lars ulrich, metallica | | Imprimer | | |
18.02.2012
Les dernières demeures de Marcel Landreau
Déjà l’hiver nous lâche la grappe, nous laissant son cortège d’images immaculées. Ce moment de redoux a paru propice à Freddy pour gratifier sa vieille Animula d’un petit reportage photographique récemment réalisé chez Marcel Landreau. Quand je dis «chez» c’est à la maison où il a passé sa retraite que je pense.
C’est à sa dernière demeure aussi puisque Freddy Tavard est allé saluer Marcel au cimetière. Je dis «Marcel» parce que Freddy a tendance à se servir uniquement du prénom de ce remarquable créateur. Au delà du respect que Freddy a toujours montré pour le «Caillouteux», c’est une véritable affection qu’il ressent pour lui à force de chouchouter ses œuvres. Résultat : Freddy était ému en dégainant son kodak devant la tombe à Landreau et il lui a légèrement flouté le portrait.
On lui pardonne. La chose n’en a que plus de poésie et Marcel Landreau, des brumes de l’au-delà, adresse son pâle sourire aux Animuliens. Le temps, depuis que Marcel a quitté le monde, a passé. Entre 1992 et 2012, le crucifix qu’il avait confectionné a perdu l’essentiel de son corps terrestre. Ne reste que ses petites mains accrochées au dessus d’un bouquet fané. Ironie du sort, Marcel Landreau repose sous le marbre rose. Ensevelir les morts sous un amas de silex, ça ne se fait pas dans nos contrées. Dommage!
La nature, qui fait bien les choses, protégeait cependant, ce jour-là, le sommeil de Marcel de son édredon blanc des grands jours. L’ex maison de Landreau jouit, selon Freddy, «d'une vue superbe sur la vallée». L’atelier, «dans lequel il a créé ses dernières sculptures» possède un appentis en tôle où elles étaient exposées. Cet atelier «donne sur un petit jardin en pente sur lequel il avait construit un viaduc».
Il y avait une locomotive dessus. Dans le fond du jardin on apercoit un pont sur lequel passe une ligne ferroviaire. Marcel Landreau, ancien cheminot, avait probablement choisi la maison pour ce voisinage.
«Il avait également construit un élément de fortification : deux tours et une grande table (où il devait casser la croûte) entre les deux» nous dit Freddy. Les tours font près de 2 m de haut.
Après enquête auprès d’un membre de la famille de Landreau, Freddy Tavard me précise que ces éléments encore visibles aujourd’hui sur son terrain «sont des éléments rapportés de Mantes-la-Jolie et qu’il a remis en situation». Tout n’aurait donc pas été démoli au bulldozer, après son départ de cette ville, comme on l’affirme un peu vite parfois.
Selon l’informateur de Freddy, après avoir quitté Mantes, Landreau «a déménagé par le rail deux wagons à bestiaux remplis de sculptures et de grosses pièces. A l’arrivée (…) Marcel a pris la décision de détruire beaucoup de pièces qui avaient très mal voyagé». Selon la même source, Marcel Landreau, ensuite, «aurait surtout restauré et peu créé entre 89 et 92».
17:38 Publié dans art brut, In memoriam, Sites et jardins | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : art brut, marcel landreau, freddy tavard | | Imprimer | | |
04.01.2012
Jean L’Anselme a passé l’Arme à gauche
Il m’avait donné son Caleçon. Il aurait donné sa chemise. A qui aimait sa poésie, il aimait faire cadeau d’une dédicace, d’un bon(bon) mot, d’une de ces rares plaquettes qu’il sema tout au long de sa trop courte vie de nonagénaire impénitent.
Grâce à Jean Dubuffet, il avait appris à écrire de la main gauche et il signait de la main droite pour André Breton.
La couverture de sa Sourieuse rose avait un peu pâli mais c’est toujours avec plaisir, avec une émotion toujours légère, parce qu’amusée, que je passais le plumeau sur son œuvre. Pas de grand ménage sans que je ne caresse quelques uns de ses livres, dotés d’une étagère restée accessible dans ma bibliothèque surpeuplée. Et dans mon cœur d’artichaut toujours prêt à lui faire des infidélités avec Norge, Verheggen, Ian Monk ou Louise de Vilmorin.
Ce matin encore, j’avais joué du Tambour, un robuste volume noir à la typographie blanche. Blanche comme la chevelure généreuse de l’auteur par laquelle on aurait voulu tirer quelque chose de cette sagesse dérobée, glissante, électrique qui caractérisait ses «bêtises», ses poèmes d’un «vieux con comme la lune», ses pensées d’un ex-enfant triste et d’un petit annonceur de bonheur de la langue.
«Le cyclamen n’est pas un vélo de curé, comme on pourrait le croire» lui arrivait-il de dire et je ris à l’idée de ce que cette phrase pourra produire là où il est maintenant et là où nous nous dirigeons tous.
Né le dernier jour de l’année 1919, Jean-Marc Minotte s’est éclipsé –dernier clin d’œil– l’avant-dernier jour de 2011. Permis de rire, défense de pleurer! On ne pleure pas un homme qui écrit : «Le laid n’est pas si moche, c’est pas ce qu’il y a de pis, c’est avec du laid que je fais mon beurre».
On l’applaudit. Applaudissons, polissons, calissons Minotte.
Jean-Marc Minotte dit Jean L’Anselme pour la poésie.
23:55 Publié dans Ecrits, In memoriam, Lectures, Ogni pensiero vola | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : jean l'anselme, jean-marc minotte | | Imprimer | | |