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04.02.2012

L’art brut dans l’œil de 303

Cet hiver lucide restera dans les annales animuliennes comme celui de 303.

Peugeot 303.jpgTrois cent trois, c’est pas le nom de la vieille Peugeot de votre archi-grand papy, c’est celui d’une revue très classe éditée avec de la thune des Pays de la Loire.

303.gifMerci, la Loire-Atlantique, le Maine et Loire, la Mayenne, la Sarthe, la Vendée (44 + 49 + 53 + 72 + 85 = 303). Si tous les autres départements se décarcassaient pareillement pour les arts, les recherches et les créations ce serait au poil.

Dans l’œil de 303, il y a «la solitude des champs, le bonheur des plages, le son des marchés» aussi bien que «la foule des gares, la vitesse des machines, le rouge des avions».

Revue 303 n°119

Il peut bien y avoir l’Art brut, outsider, modeste. C’est le cas avec le 119 de 2012, un beau numéro que l’on caresse du doigt avant de le mettre dans l’œil central de la couverture qui représente, dans des tons volontairement non racoleurs, un de ces tableaux-cibles utilisés autrefois dans les tirs forains du Cercle de Chemazé en Mayenne.

Cet œil de 1895, qui nous regarde autant que nous le regardons, n’est pas seulement le symbole de cette publication. Intitulé Je la vois venir, il signe malicieusement le travail du maître d’œuvre de ce remarquable chantier d’écriture : la critique d’art, conférencière et prof d’histart Eva Prouteau. Comme la fameuse statue d’Emile Taugourdeau de Thorée-les-Pins dans la Sarthe, cette Eva-là mériterait le titre de Magicienne.

Emile Taugourdeau

«Sous l’égide de Gaston Chaissac et de Robert Tatin, faux bruts et vrais sauvages savants», elle a rassemblé «de nombreux créateurs qui bousculent et cabrent les cadres culturels»

Fleury-Joseph Crépin

Fleury-Joseph Crépin

A. Guillard © Ville de Nantes-Musée des beaux arts

Chomo, Giovanni Bosco

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Richard Greaves 

Richard Greaves,Mario del Curto

 © Mario del Curto/strates

Aimable Jayet, Hélène Reimann

Hélène Reimann,

© C. Dubart/LaM

et beaucoup d’etc.

«La famille des habitants-paysagistes (…) n’est pas en reste» avec Fernand Chatelain, André Pailloux, Jean-Pierre Schetz et consorts. Elle n’a pas oublié non plus d’«extra-ordinaires» objets populaires, «sortis de collections méconnues» comme ces douilles d’obus gravées par des Poilus de 14-18.

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© B. Renoux

Eva Prouteau pour parler de ces sujets qui vont des bâtisseurs de l’imaginaire aux médiums en passant par les peintres muralistes et les musées a su fédérer et croiser des bonnes volontés venues d’horizons divers : conservateurs (Savine Faupin, Daniel Baumann, Patrick Gyger), responsables de centre de doc (Brigitte Van den Bossche), directeurs de site (Bruno Godivier), chercheurs indépendants (Bruno Montpied), écrivains (Fédéric Dumond, Jean-Louis Lanoux), chargés de mission (Vincent Cristofoli), artistes (Laurent Tixador), critiques d’art (Laurent Danchin), photographes (Ph. Bernard, B. Renoux, Mario del Curto). Pardon si j’en oublie. Se reporter aux pedigree, astucieusement mêlés au sommaire, ce qui les rend plus digestes.

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Eva a même fait une place à la blogosphère. Et je suis pas peu fière qu’elle ait accepté de glisser ma mauvaise «langue aux registres feuilletés» dans tout ce beau langage.

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Car chacun, visiblement a fait de son mieux dans cet exercice. Tout le monde s’est mis sur son 31 pour 303. C’est que l’enjeu en valait la peine. Comme au printemps dernier, le n°24 d’Area, ce numéro spécial de 303 vient contribuer à la synthèse de deux ou trois ans de débats autour des «aires de contact, d’attraction et de porosité» qui se multiplient «entre culture savante et culture populaire». J’emprunte ces expressions à l’édito d’Eva Prouteau. Celui-ci, qui a le mérite de la clarté, ne cache pas son penchant pour le «décloisonnement» comme si le territorial était tout (quid de l’autre scène Eva?). Mais cette préférence s’énonce en des termes si dialectiques qu’ils font incontestablement avancer le schmilblic : «Décloisonner ne veut pas dire amalgamer ou niveler».

20:50 Publié dans art brut, Blogosphère, Gazettes, Lectures, VU SUR ANIMULA | Lien permanent | Commentaires (6) | |  Imprimer | | Pin it! |

18.12.2011

Un Noël brut et jazzy

Pas de doute Noël approche. Pour ceux qui en douterait, ma voisine encombre les parties communes avec des sapins décorés de boules rouges. C’est pas pratique quand on descend sa poub mais c’est bien sympa quand même. Et puis on a envie de déposer des cadeaux à leurs pieds.

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Francis  HofsteinPersonnellement j’ai choisi un beau livre, de 400 pages et des, sur le jazz qui vient de sortir. Publié aux Editions Félin, sous la direction de Francis Hofstein, critique musical -et psychanalyste, s’il vous plaît- il m’a sauté dans l’œil à cause de sa couverture à rugir (groarrr !) de plaisir.

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On y est interpellé quelque part par une statuette en fer forgé d’une facture intéressante et pour cause puisqu’elle est de Thornton Dial, grand créateur noir d’Alabama.thornton portrait.jpg

Normal, puisque cet ouvrage collectif (second volet d’une somme inaugurée en 2009) est centré sur l’art qui tourne autour du jazz. L’appétissante table des matières nous aguiche avec le titre de la contribution de Greg Tate sur Thornton Dial «libre, noir et éclairant les ténèbres».

Sur ce peintre, assembleur et sculpteur très important, je vous en ferai pas des tonnes étant donné que vous pouvez facilement éclairer votre lanterne ici ou sur le web. Je me contenterai de vous attirer sur quelques images.

Thornton Dial

Thornton Dial me paraît bien avoir commencé dans la plus pure ligne de l’art brut mais aujourd’hui que l’art brut est sommé, par ses partisans même, de devenir une tarte à la crème contemporaine pour matinées conférencières, je ne suis plus sûre de rien.

Thornston Dial

C’est égal, self-taught, outsider, folk artist, ou « artisse » avec un grand A comme argent, Thornton Dial vaut le détour et un petit coup de blues ne saurait lui faire de mal.

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Chez Thornton Dial - Photo ©IMA

21:36 Publié dans Ailleurs, art brut, Ecrits, Lectures, VU SUR ANIMULA, Zizique | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : art brut, thornton dial, jazz, francis hofstein | |  Imprimer | | Pin it! |

01.11.2011

Sépulcrales de saison

Hier il faisait beau et aujourd’hui un temps de Toussaint. Chaque année, c’est pareil, c’est réglé comme du papier à musique. On ne sait pas quoi mettre sur son blogue. Pas facile d’éviter les sujets par trop folichons en ces temps «d’effluves de chrysanthèmes»  (merci à l’Animulienne qui m’a fourni la formule). Et on peut pas toujours vous recycler des calaveras en cascade : voir mon post du 4 novembre 2007. Les squelettes à force ça use si on s’en sert trop.

Joinul

Or donc j’ai choisi cette année de vous brancher sur les Sépulcrales, martyrologe de Pierre Joinul. Pourquoi? D’abord parce que c’est une jolie plaquette dépliante à tirage petit, mise en page par Jean-Luc Thierry et imprimée à Nîmes Par SEP pour les Editions Double Quark.

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Ensuite parce que Joinul est un pseudo qui dissimule à peine un découvreur d’art brut hors pair puisqu’il a à son actif Emmanuel le Calligraphe, René le Bedeau et Pierre Jaïn. Joinul est aussi un pote à J.D. qui s’est fait son éditeur pour La bataille de mo

Joinul,Jean Dubuffet

et son illustrateur pour la couvrante de Mézavi chez Pierre Jean Oswald en 1975 

Joinul,Jean Dubuffet

Robert Tatin et Slavco Kopac ont pareillement décoré ses recueils, le premier en 1973 : Oublions nos querelles voici que s’avance le vitrier boiteux

Joinul,Robert Tatin

le second en 1976 : Mon prof de maths sent le tabac, ah 

Joinul,Slavco Kopac

Cela faisait longtemps que je n’avais pas lu de ces drôles de poèmes décalés dont je vous laisse juges. Je les préfère à ses grosses machines de mots qu’il lui arrive de pondre de temps à autres (car c’est un enragé langagier) et où il a un peu tendance à se prendre pour un ordinateur emballé qui nous largue dans un encyclopédisme échevelé.

Joinul

Là cette série de 32 sépulcres à ressorts comiques, lyriques et discrètement blasphématoires a de quoi plaire. D’abord parce qu’elle est à taille humaine (c’est ma taille) et qu’elle s’arrange pour enterrer je ne sais quel ton secrètement désespéré qu’on sent en filigrane dans les écrits joinuliens. D’autres diraient «à noyer le poisson» mais on n’est pas en avril. Les amoureux de beaux papiers kifferont les couleurs virant délicatement du rose à l’orange doux, du lilas au violet.

Joinul

Le revers de la feuille est un poème chromatique muet. C’est à Federica Matta que l’on doit le sinueux et narratif décor qui fait le liseron autour des strophes joinuliennes imprimée en blanc.

18:34 Publié dans Ecrits, Images, Lectures, VU SUR ANIMULA | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pierre joinul, jean dubuffet, robert tatin, slavco kopac | |  Imprimer | | Pin it! |

28.07.2011

Elephant tweet

C’est les vacances. Plus rien à la téloche. J’en profite pour visionner mes DVD en retard. Bricoleurs de paradis, celui de Rémy Ricordeau. 52 mn. «Ce film est une dérive en quête d’environnements insolites d’art populaire» nous dit la présentation. Dérive, ça me rappelle un truc. J’aime bien. La musique de Jean-Christophe Onno (accordéon diatonique et scie?) aussi.

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J’aime moins le côté téléphoné des questions de l’interviouveur qui va jusqu’à traduire ce qu’on lui dit pour l’accommoder à sa sauce. «On est saisi de partout!» devient ainsi : «Y’a pas de liberté». Peu d’écoute, peu de tact.

On passe allégremment sur les scrupules de Madame Taugoudeau qui a honte de montrer le jardin de son mari envahi par les ronces. On insiste pour fureter derrière la maison de M. Pailloux qui n’y tient guère. Le contraire d’un travail d’ethnologue. Une curiosité réelle mais gauchie par des idées préconçues.

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Les créateurs sentent qu’on veut leur faire dire quelque chose. Ils se défilent. Avec précaution : «j’vois pas où vous vous voulez en venir…» (André Gourlet) ou avec netteté : «on fait ce qu’on veut dans son jardin!» (Yvette Darcel). Le résultat est le même. L’impression d’un étrange malentendu.

C’est pourquoi il faut approuver Rémy Ricordeau d’avoir engagé Bruno Montpied comme acteur. La confrontation de celui-ci avec un habitant-paysagiste a quelque chose de surréaliste et de pittoresque à la fois. Le naïf dans l’affaire n’est pas celui qu’on croit. La confrontation des autodidactes de l’art avec le dilettante de l’entretien filmé, c’est son angle à Ricordeau.

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Et cet angle a l’avantage cinématographique de lui permettre de belles prises de vue sans que les créateurs donnent l’impression d’être  scotchés à leur création. L’énergie que ceux-ci doivent déployer pour se garer des gros sabots de leur interrogateur leur fait oublier la caméra. Plus spontané nous apparaît, grâce à ce film, leur lien avec leurs œuvres. C’est particulièrement vrai pour André Pailloux dont la gentillesse et le ludisme cinétique, sont le clou de ce spectacle bienencontreusement sous-titré, selon le mot du sculpteur-paysagiste Alexis Le Breton, Le Gazouillis des éléphants.

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Le livre de B. Montpied qui accompagne ce DVD s’intitule lui : Eloge des jardins anarchiques. On me dira que rien n’est plus ordonné que ces jardins là. On me dira que très peu de ces créateurs à l’état brut se réclament d’une doctrine politique -certes estimable- à laquelle l’auteur se plait à professer inclination à tout bout de champ.

Moi, je ne dirai rien. Je me contenterai de faire référence à la vigoureuse campagne d’auto-promotion développée par B.M. sur son blogue à propos de ce recueil d’articles fort documentés (pour beaucoup déjà publiés dans le passé et remaniés ici pour l’occasion).

Voir les notes du 15 mars 2011, 19 mars 2011, 20, 22, 26 et 30 mars 2011 ; 9 avril 2011 ; 1er mai, 3 mai, 22 mai 2011 ; 5 et 26 juin 2011 ; 14 juillet, 21 juillet 2011

A charge pour son éditeur d’en apprécier les effets.

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15.05.2011

Un geste pour Gabriel Albert

C’est le genre de bouquin qu’on feuillette de retour de la plage, à la Maison de la presse, où on s’est isolée pour échapper à sa marmaille qui s’envoie des doubles cornets fraise-pistache au glacier du coin.

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C’est aussi un bel album photos qui dans quelques années d’ici, quand le jardin de Gabriel Albert sera retourné au néant, témoignera de cette œuvre majeure d’un des plus talentueux «habitants-paysagistes» de notre pays, trop pauvre pour préserver de telles merveilles mais assez riche encore pour financer des publications qui en donnent l’illusion. 

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Tout est fait pour qu’il atterrisse sur la table de nos charmants gîtes ruraux du sud-ouest. Pas trop grand, pas trop lourd, couverture qui en jette sans plus. Même le prix est light : 18 €. A feuilleter comme une revue. Mais avec du texte informé et compétent, qui ne prend pas la tête, tant il privilégie les phrases courtes.

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Ajoutés à cela, des plans, des cartes, des vues aériennes pour ceux qui aiment. Quelques repros de documents anciens. Tout pour plaire par conséquent! Aussi je ne saurais trop vous harceler pour que vous vous le procuriez avant qu’il s’épuise comme les petits pains de ma boulangère.

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D’où vient cependant que votre petite âme errante soit un chouïa sur la réserve avec ce livre? Certes, ça l’agace que ces 104 pages soient baignées dans une flaque indélébile de lumière saintongeaise. Que les ciels limpides dominent. On dirait qu’il ne pleut jamais à Nantillé. Qu’il ne fait jamais moche Chez Audebert. Que c’est l’éternel été dans ce produit trop visiblement destiné à un public d’estivants.

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Mais là n’est pas le problème. Ce qui lui pose question à la PAE, c’est ce dénombrement descriptif hyper-minutieux qui forme la majeure partie du volume. Non seulement le jardin du Gaby y a été passé au peigne fin mais il y est découpé en tranches d’andouille vendéenne. Le Jardin de Gabriel de Geste éditions y passe en revue les diverses statues en les incorporant dans des catégories d’un prosaïsme tellement élémentaire qu’il ruine le mystérieux effet d’ensemble  pourtant souligné par le sous-titre : L’univers poétique d’un créateur saintongeais. L’introduction a beau insister davantage sur la ronde des relations, entretenues par les statues au sein des groupes qu’elles forment, c’est cet «inventaire» qui constitue le cœur du livre pour ses concepteurs. Toute la maquette est faite pour en faciliter l’accessibilité. Cela ne manquera pas d’inviter les visiteurs du jardin de Gabriel à se livrer à l’inepte petit jeu de reconnaissance par lequel la culture touristique désamorce n’importe quelle œuvre d’art. «C’est qui, tante Ani, ce monsieur à la pipe?» - «C’est Georges Brassens, mon enfant!».

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Bien sûr, je suis pas idiote, je comprends bien qu’on a voulu faire d’une pierre deux coups. Que cette opération de rationalisation, qui traite les processus de création sur le modèle industriel de simples transformations de matières premières, n’a été mené que dans le souci de favoriser la protection des pouvoirs publics. Mais du train où vont les choses, c’est précisément où le bât blesse.

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Il n’est qu’à lire la dernière phrase de la première partie de ce livre: «Saurons-nous le préserver et le valoriser?» ou celles qui terminent l’avant-propos de la Présidente de la Région Poitou-Charentes qui figure sur le rabat de la couverture : «Ce beau livre donne à voir la profusion créatrice de Gabriel Albert (…). J’espère de tout cœur qu’il incitera les autorités compétentes à lui accorder la protection juridique qu’elle mérite (…)» pour comprendre qu’on se contente de vœux pieux.

Et ce n’est pas le récent arrêté de protection au titre du patrimoine qui changera quelque chose à ce sentiment. Car le temps que les choses bougent, les carottes seront cuites pour Gabriel Albert.

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Mais je ne demande qu’à me tromper.

20:56 Publié dans art brut, Ecrits, Images, Lectures, Sites et jardins, VU SUR ANIMULA | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : gabriel albert, jardin de gabriel | |  Imprimer | | Pin it! |

26.03.2011

Area, folie et alentours

Jeudi soir c’était le lancement de la fusée Area 24. Votre petite âme errante était sur le pas de tir : la librairie L’Atelier, rue du Jourdain. Un nom idéal pour le baptême du numéro Art, folie et alentours auquel je souhaite une carrière d’enfer.

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Pas mal de gens, attirés là par la photo du flyer invitatoire qui reprenait la couverture de cette livraison printanière d’une luxueuse -mais pas chichiteuse- publication dont je kiffe le programme : «l’art pense le monde».

Revue Aera

I positively adore ce portrait d’une mamie souriante (Melina Riccio), coiffée d’une marotte dont les grelots sont des fleurs. Aux antipodes de cette caricature du schizo dangereux dont la propagande sécuritaire nous gave depuis 2007 en France!

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Mais je m’énerve et pour me calmer, je me suis offert en zakouski le petit dernier de Jean-Pierre Verheggen : Poète bin qu’oui, poète bin qu’non?

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D’où j’étais placée, j’avais un œil sur le chandail chiné d’Alin Avila, dirlo de la revue et modérator de la soirée et l’autre sur le profil d’Hélène Giannecchini, première main de son équipe sur ce chantier «de l’art et de l’Art brut».

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Les art-thé-rapeuses étaient venues en force, les CrABichettes aussi. Parmi ces dernières, Pauline Goutain pétillait d’entrain. On la retrouvera le 31 mars au séminaire Art et folie à l’INHA. Un grand collectionneur fit une apparition mais les keums étaient minoritaires. Michel Nedjar heureusement était en verve. «Chacun détrônait la théorie qu’on avait sur l’art brut» dit-il en évoquant les créateurs successivement rencontrés par L’Aracine Canal historique.

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Et j’ai applaudi ça. Bref, ça partait dans les tous les sens et on risquait de perdre de vue le fret embarqué dans la fusée sous diverses étiquettes : art à l’hosto, valeurs du brut, surréalisme, expos fondatrices, collections, perspectives lameuses, rôle de la Halle St-Pierre, jardins d’art brut, fanzines, marché etc.  

Perdre de vue aussi la diversité de l’équipage de ladite fusée : scientifiques, psys, grosses têtes musclées sur le sujet, artistes et/ou créateurs parmi lesquels Oreste Fernando Nannetti, André Robillard, Charles AA Dellschau,

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Richard Greaves, André Pailloux, Alain Ruault, Unica Zürn, Giovanni Bosco

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Franchement c’est si riche que j’aurais pas aimé être à la place de Mr Avila ce soir-là. Mais c’est le genre de pilote aussi capable de recentrer un débat (quand il part en sucette) qu’il est habile à dompter une matière rédactionnelle emballée. Il n’a pas son pareil pour débusquer candidement la langue de bois. Aussi a-t-il obtenu, avec un plaisir visible, la substantifique moëlle des oratrices de la tribune : Céline Delavaux et Anne-Marie Dubois. Un tel regard, bienveillant mais pas complaisant, c’est fou comme le petit monde de l’art brut en avait besoin sans s’en rendre compte. Il lui fallait pour cela un témoin extérieur. C’est pourquoi le n°24 de la revue Area fera date.

Area 1e de couv.jpgArea 4e de couv.jpg

Rassemblant des «voix autorisées» qui se crêpent parfois le chignon en famille, il aura un impact fédérateur. Il est lancé à un moment où le public cherche à faire le point sur «plein de territoires un peu compliqués» constituant l’espace brut. Un vade mecum sur papier lilas avec des dates et un lexique l’y aidera.

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Pour le reste c’est la méthode Avila qui fait son office. Des contributions informées mais légères. Pas de casse-croûte. Sont privilégiés les entretiens qui laissent la parole aux acteurs.

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Et des fois, c’est pas triste. Une interview inédite de Madeleine Lommel (Rouspéter dedans!) contient par exemple ce jugement vachard mais juste: «ce qui était la force de l’Art Brut c’était son intimisme. C’est devenu branché».

05.02.2011

Les 12 travaux de Pascal Leforestier

hercule et pif.jpgDans Pif le chien, moi ske j’préfère c’est Hercule.

Son côté mal léché, sparadrap sur le nez, sans doute. J’ai un faible, que voulez-vous, pour les matous malicieux et malchanceux.

Je les préfère à ces jolis toutous au petit ventre rond qui n’arrêtent pas de donner des leçons de morale dans la vie comme dans la bédé d’Arnal.

Aussi me suis-je jetée à la vitesse de Guy l’Eclair sur Les 12 travaux d’Hercule de Pascal Leforestier, un mince (mais très pêchu) album de dessins en couleurs réalisés par un monsieur qui fréquente l’Atelier de La Passerelle à Cherbourg.

Pascal Leforestier,La Passerelle

J’avais déjà été en contact mailographique avec Romuald Reutimann, son animateur mais jusqu’à présent je n’avais pas été très convaincue par les images qu’il présentait, notamment sur le blogue du dit atelier manchois.

La Passerelle est un atelier d’arts plastiques inauguré il y a 20 ans, dans le cadre d’un service d’insertion sociale, s’adressant à des adultes qui travaillent pour la plupart dans des CAT (non, pas des minous !).

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Malgré tout le respect que m’inspire le social et les Centres d’Aide par le Travail, je me gêne pas pour juger les travaux d’art sur pièces. Le charity business c’est pas mon truc.Tout de même, je reste attentive à ce qui vient de ces personnes travaillant dans ce type d’ateliers. Personnes dont les capacités peuvent se révéler, sur certains plans, si supérieures aux nôtres alors que, sur certains autres, ils se montrent si fragiles qu’ils doivent être entourés, protégés, encouragés.

Pascal Leforestier

C’est le cas, semble-il de Pascal Leforestier auquel tous mes lecteurs font, j’en suis sûre, un petit coucou. On en apprend peu sur Pascal dans les deux courts textes d’Emmanuel Boussuge et de R. Reutimann qui accompagnent les dessins mais on les approuve d’avoir été discrets.fraisetag.jpg Seulement qu’il est grand, qu’il avait 38 ans quand il a réalisé la série herculéenne, «tranquillement», trois jeudis durant. Et qu’il sourit «d’un air moqueur» quand on lui propose un projet, en relevant le défi d’un simple «Ben oui». On aimerait bien savoir s’il aime les carambars ou s’il préfère les fraises tagada (comme moi) mais, bon, c’est déjà pas mal.

L’album reproduit les dessins sur des fonds sable ou coquille d’œuf qui, si je comprends bien, reproduisent des échantillons de papier peint qui ont servi de support à l’origine.

Pascal Leforestier,Lion de Némée

En vis à vis, une page noire, imprimée en blanc relate les divers épisodes de la légende qui ont été grosso modo expliquées à Pascal par l’équipe de l’atelier qui a su, visiblement, se limiter au coup de starter minimum. C’est tout et c’est très bien.

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En chichiteuse pourave que je suis, je regrette un peu la blancheur éblouissante des pages de titre et de préfaces mais cette publication de Recoins et Cie est la meilleure de celles (les livraisons d’une revue, en fait) sorties sous ce label.

30.01.2011

Le livre d’or de l’abbé Fouré

sculpture bois.jpgPauvre Adolphe-Julien! On a perdu son lit à Montreuil. On lui attribue une statue à Villeneuve d’Ascq. On cherche désespérément à retrouver ses sculptures sur bois disparues.

Quand on en déniche une, on crie illico au miracle même s’il n’y a vraiment pas de quoi se relever la nuit. Fouré a beau être abbé, son petit «bouquet de roses» de 1904, récemment redécouvert, n’a rien de miraculeux. Il a plutôt l’air… je ne dirai pas de quoi, par égard pour la vieille dame qui le gardait en souvenir.

Mais enfin si l’ermite de Rothéneuf n’avait fait que ça, je pourrais tout de suite passer à un autre sujet. Par exemple au gros livre sur Saint-Malo-Rothéneuf au temps des Rochers sculptés qui vient de sortir aux Editions Cristel dans la cité des corsaires. Il fallait un Jéhan pour s’occuper de la chose et c’est lui qui s’y est collé. Imprimé sur 3 colonnes et sur 222 pages, vous pensez bien que je n’ai pas eu le temps encore de me farcir ce gros bouquin avec lequel l’auteur vient de décrocher son bâton de maréchal fouerrant. Mais je vous conseille de le lire.

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Attention, c’est touffu. Normal puisque l’auteur bosse depuis 25 ans sur le sujet. Et puis, le format à l’italienne, s’il met en valeur les images du site rothéneufien et les documents anciens qui accompagnent le texte, ne facilite pas la consultation. Si vous pensiez le parcourir dans le métro, c’est râpé! Votre petite âme errante vous recommande donc de fonctionner au GPS pour vous aventurer dans ce jardin d’érudition luxuriant, d’autant qu’il n’y a pas d’index.

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 Avant de partir, visiter le sommaire et les remerciements est aussi indispensable que de vous coltiner le mode d’emploi de votre nouveau téléphone portable. Vous comprendrez très vite que le livre de Jean Jéhan –c’est sa richesse mais son tendon d’Achille aussi– emboîte plusieurs ouvrages comme une poupée gigogne. Un album photo où l’auteur a recueilli ses meilleurs clichés réalisés depuis 30 ans. Une biographie proprement dite. Une histoire de la Côte d’Emeraude et des bains de mer à la Belle Epoque.

St Malo

côte d'emeraude.jpgLe mémoire de DEA de Valérie Baudoin, une de ses valeureuses fourmis. La préface-fleuve d’un expert en fourétitude du nom d’Alain Bouillet. Une expérimentation façon numéric art par Véronique Hénaff et Jean-François Barrière. Ajoutez à ça des centaines de notes, 6 pièces en annexe et une biblio. On sort de là rassasiés. L’auteur a un appétit de Gargantua mais il peine forcément à digérer toute cette matière rédactionnelle et iconographique.

Il est donc permis d’entrer dans son travail par des chemins buissonniers et se précipiter en priorité sur les fac-simile (ou repros intégrales) qu’il nous offre. Celui du Guide du musée de l’Ermite de Rothéneuf de 1919.

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 Celui du Livre d’Or de l’Abbé Fouré, totalement inédit.

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Comme ça, on saura qu’une visiteuse de l’époque se croyait «transportée au pays des fées». Et c’est loin d’être négligeable. Sans vouloir ajouter un angle supplémentaire à l’approche de Jéhan qui en comporte déjà beaucoup, je vous quitte pas sans vous signaler L’Ermite de Haute Folie, le petit dernier des Contes du Korrigan, une bédé de Ronan Le Breton (scénariste), Stéphane Créty et Vicente Cifuentes (dessinateurs) qui met en scène notre bon vieil «abbé Fouéré».

L'Ermite de haute Folie,contes du korrigan,Ronan Le Breton,Stéphane Créty,Vicente Cifuentes

06.01.2011

Vie de Marcel Storr, peintre en bâtiments merveilleux

On rigole pas avec Storr. Mes allusions à cet «architecte de l’ailleurs» m’ont valu de puissants commentaires. Voir Les territoires de l’art modeste, mon post du 27 décembre 2010. J’ai donc voulu me gaver du bouquin de Françoise Cloarec (12 €).

bus 84 paris.jpgSeulement j’ai été coincée avec lui dans le bus 84 un soir de pagaille à la Concorde. Alors je l’ai lu de traviole. En commençant par les remerciements à Liliane et Bertrand Kempf, protecteurs de l’œuvre du cantonnier-constructeur de cathédrales.

Sans eux, ce livre n’existerait pas. Ce sont eux qui ont poussé l’auteur à l’écrire. Pas sûr qu’on puisse en tirer un film du genre Séraphine de Martin Provost cependant.

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Cliquer sur le livre

Car, même si Françoise Cloarec s’est livrée à un patient travail d’enquête dans diverses archives, les infos à propos de Marcel Storr, y’en a pas toujours bézef.C’est selon les périodes : enfance souffreteuse chez des campagnards où il se fait avoiner grave jusqu’à (selon lui) en perdre l’ouïe, balayeur (comme Raymond Isidore à Chartres) dans sa vie d’homme farouche et illettré, pensionnaire passager de Ville-Evrard après la mort de son épouse qu’il vit comme un nouvel abandon, lui le gosse de l’Assistance, usager d’un centre de santé enfin où il dorlote sa parano en présence d’un psy.

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Parfois, y’a de quoi et parfois non. Quand y’a de quoi, le bouquin de F.C. évolue gentiment dans le genre biographie vivante. Et ça se laisse lire. Quand elle a moins de grain à moudre, elle abuse un peu des questions : «Qui est le vrai père de Marcel?», «Qu’est-ce qui le pousse à créer?» ou glisse vers le romanesque : «ce matin, il est arrivé comme d’habitude à sept heures. Le chef est venu lui dire quelque chose qui ne lui a pas plu».

On ne saurait lui en vouloir à Françoise, d’autant qu’elle a le bon goût de caser dans ses références plusieurs écrivains. Elle clôt d’ailleurs son ouvrage par une citation de Gérard Oberlé, le chroniqueur du magazine Lire.

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L’ensemble -c’est le principal- est fluide et ne pèse pas sur le ciboulot. Fluide et fidèle au sujet. Dans la dernière partie, celle où F.C. s’est sourcée aux souvenirs précis de ses commanditaires, elle trouve des accents justes pour décrire l’urbanisme délirant et les tours fantastiques de Marcel Storr qui ne sont pas sans m’évoquer à moi celles de la Sagrada Familia de Gaudi à Barcelone.

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storr clocher 2.jpegElle pointe avec finesse le rapport transférentiel qui s’était établi entre ce sauvage de Storr, qui ne voulait rien vendre ni exposer, et Liliane K qui était tombée sur son œuvre par hasard un jour de septembre 1971 et ne s’en est pas remise depuis.

Surtout Françoise Cloarec démontre bien, sans avoir besoin de le dire, que Marcel Storr, par son comportement, ses qualités et ses limites, son parcours et la nature viscéralement individuelle de son travail, est un pur cas d’art brut.

Je dis ça pour ceux à qui je porte sur les nerfs quand je m’éloigne de mon dada.

Mais je suis contente aussi de constater que Storr, quand il disait : «Picasso, qu’est-ce que c’est, Picasso? Il ne sait même pas dessiner!» se fichait pas mal de la «transversalité» de son art avec les autres courants de l’art contemporain de son temps.

27.12.2010

Les territoires de l’art modeste

Fatal. C’était fatal que j’allais vous en parler. De mes cadeaux de Noël, badame! Pas des cado-bonux, attention. Du lourd de chez Di Rosa pour commencer. En attendant de m’offrir un petit ouikène à Sète pour explorer Les territoires de l’Art modeste(y’a pas l’feu, l’expo dure jusqu’en octobre 2011), mon chéri m’a glissé sous le sapin le super coffret contenant les 12 catalogues réunis pour l’occase du 10e anniversaire du M.I.A.M.

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Bon, tous m’intéressent pas au premier chef mais chacun a son charme. La place me manque pour vous les présenter dans le détail mais, à part La Petite histoire de l’épopée du M.I.A.M. racontée par Bernard Belluc (incontournable!)

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combas.jpgj’ai bien gobé : Robert Combas présente Maurice Chot (autant pour sa couvrante que pour les B.D. autodidactes de l’intérieur),  

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PQ Ville de Michel Gondry (décor de ciné en rouleaux de papier-toilette + lunettes anaglyphiques génération Pif Gadget).

 

Je kiffe aussi bien fort : Bamoun Picasso (dessins du Cameroun présentés par Antonio Ségui)

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et la Collection Artaud la nuit(tapettes à mouches, trous, moules, marteaux) couplée à la Collection Chevrot (cordels).

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5 outsiders.jpgMais mes amis, çui que j’préfère c’est le catalogue Cinq outsiders singuliers (enrobé dans une repro du Jean de Florette à Raymond Reynaud). Même si son sur-titrage m’en bouche un coin. Pourquoi donc : Aux marges de l’art brut alors que 2 au moins de ces créateurs -Emile Ratier et Marcel Storr- baignent dedans jusqu’au cou ?

Marcel Storr.jpgComprenne qui pourra. L’étonnant Storr en particulier dont les cathédrales utopiques, destinées à la reconstruction d’un Paris imaginairement détruit par la bombe atomique, me paraît parfaitement digne du label brut bien que la soixantaine d’œuvres laissées par lui n’aient pas rejoint encore l’une des Mecques de la catégorie.

Soyons reconnaissants à Bertrand et Liliane Kempf, les découvreurs et protecteurs de cette oeuvre d’exception, de lui faire prendre l’air de temps à autre. Le Catalogue du M.I.A.M. énumère ses sorties, depuis 2001 (à la Halle Saint Pierre) mais avec une petite erreur. En 2005, ce n’est pas à la mairie du 19e arrondissement de Paris que L’Œuvre du cantonnier Storr a été montrée mais à la mairie du 9e. En face de l’Hôtel Drouot.

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Dommage que Laurent Danchin, l’auteur du catalogue, (qui fait maintenant dans l’expertise de vente publique) ne s’en soit pas rendu compte. Mais félicitons-le pour son choix qui comprend aussi les Ripolin «pop art naïf et brut» de ce Germain Tessier dont il défend (avec raison) les créations depuis toujours.

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Sans trop le chipoter au passage pour la présence de ce sympathique mais clinquant Mister Imagination, innocente concession, selon moi, à la contre-culture à paillettes américaine.