22.08.2013
Raw Vision et Membracides font la rentrée à Paris
Tout a l’air assoupi mais y’a de l’expo dans les tuyaux. Pendant que vous marinez les pieds dans l’eau, on s’active à Paris. Votre petite âme errante fait de l’espionnage industriel. Ayant surpris une arrivée de grosses caisses à la Halle Saint-Pierre, elle est allée au cul du camion pour guetter le nouvel arrivage.
Les portes du musée sont trop petites pour lui mais Martine Lusardy, le capitaine du vaisseau amiral de la Butte Montmartre est sur le pont et elle résoud tous les problèmes. Dans sa lorgnette, le vernissage de sa prochaine exposition qui se profile pour la mi-septembre 2013 : Hey 3. Nan…, je plaisante bien sûr!
Ce coup ci c’est Raw Vision qui s’y colle et ça nous promet une cargaison d’art brut en framboise sur vert petit pois. J’ai tellement harcelé Mme Lusardy qu’elle a fini par me donner le carton d’invitation en avant-première. Dédicacé en plus!
Abusant de sa courtoisie, j’ai jeté un œil sur la marchandise en instance d’accrochage. Petit trésor de Shinichi Sawada répandu sur une table…
Et puis, surprise! M.L., se muant en grande prêtresse, a convoqué les masques. Deux grands mannequins couturés que l’on dirait ramenés d’un voyage exotique. Idoles dressées à mordre le ciel.
Tragédiennes drapées de voiles chamarrés. Un travail textile ancien de Danièle Jacqui. Opéra baroque mais non sur-joué, il faut le signaler.
Sans transition, quoique… Save your date itou pour Caroline Sury et ses Membracides. C’est le 31 août 2013, le vernissage. Un samedi. A la Galerie Arts Factory c/o Galerie Lavignes-Bastille, rue de Charenton au 27.
Membracides. Est-ce parce qu’ils sont suceurs de sève ou pour leur aptitude au camouflage que Caroline Sury a choisi ce nom pour baptiser ses papiers découpés?
Eternelle question du mimétisme bien agitée jadis par Roger Caillois. Personnalité de la scène graphique française depuis sa folle jeunesse post-punkeste, Caroline Sury s’attaque au problème avec l’entrain crâne qui la caractérise. Et ce sens du quotidien autobiographique qui ne la quitte jamais.
Caroline Sury n’est pas d’art brut mais elle le mériterait. Elle crie toujours joliment fort mais sans énervement inutile depuis qu’elle a tourné la page éditoriale à laquelle elle a consacré beaucoup d’énergie dans sa vie. Cela ne lui va pas si mal au teint.
11:59 Publié dans art brut, De vous zamoi, Expos, Glanures, Images, Miscellanées | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : halle saint pierre, raw vision, martine lusardy, shinichi sawada, danielle jacqui, caroline sury, membracides, papiers découpés, galerie arts factory | | Imprimer | | |
18.08.2013
Chaissac et Dubuffet vont à la poste
Le plus simple c’est de sortir à Montparnasse et de traverser le centre commercial. C’est frais et on est à l’ombre. Idéal avant d’affronter le cagna du boulevard de Vaugirard. Résistez à la tentation des montagnes de fringues dans les vitrines. La rentrée est encore loin et tout à l’heure, vous aurez envie du catalogue de l’expo Chaissac-Dubuffet (25 € seulement) au Musée de la Poste.
Pour Angels, Demons and Savages, c’est plus coton. Là, je suis comme tout le monde : une vraie touriste. Mais ce que je sais c’est qu’au Parish Art Museum de Water Mill c’est encore le nom de Dubuffet qui claque.
Water Mill c’est le premier moulin de New York et c’est au bout de Long Island. Pourquoi je vous en cause ? Parce que le PAM de WM a l’idée de confronter jusqu’au 27 octobre 2013 un monstre sacré américain, Jackson Pollock avec notre Dub national par le truchement du grand passeur Alfonso Ossorio.
Un nom de bandit mexicain dans un western? Peut-être. Mais c’est ce peintre et collectionneur plein aux as qui abrita -vous vous en souvenez- la collection d’art brut de Jean Dubuffet quand celui-ci, suite à un coup de blues, décida de mettre au dodo sa première Compagnie et d’exiler ses joujoux à Long Island chez Osso, justement.
Je sais pas s’il y a des enquêtes de satisfaction à Water Mill mais au Musée de la Poste Entre plume et pinceau, on se décarcasse un max. Accueil aimable, parcours clair, photos tolérées (no flash svp), clim. On resterait des heures.
Je m’attendais : 1) à quelque chose de convenu, 2) à du déjà vu, 3) à des prises de tête pour cause de correspondances interminables à lire, 4) à des p’tits jeux sur qui a copié l’autre. Et bien pas du tout.
Si vous ne connaissez rien à la chose, c’est une belle introduction à l’œuvre de deux peintres parfaitement indépendants et pourtant liés par un instinct de stimulation réciproque et une profonde estime.
Si vous êtes un vieux de la vieille comme votre petite âme errante, c’est l’occasion d’une bonne révision de vacances.
On revoit des œuvres qu’on connaissait déjà mais c’est comme on retrouve de vieux amis dans un éclairage nouveau (heu… pas trop violent l’éclairage), magnifié par le temps.
Grand mérite de l’accrochage : on passe souplement par le simple jeu des formes de l’univers de l’un à l’univers de l’autre.
Si on n’a pas craint la confrontation par ci par là c’est plutôt par petits ensembles d’œuvres (dessins, peintures, sculptures) que les deux compères sont fraternellement mis côte à côte.
Les deux y gagnent avec la révélation de deux voies de concentration différentes. L’exposition fait aussi une large part aux documents rares et ce n’est pas pour moi un de ses plus petits mérites.
13:38 Publié dans art brut, Expos, Images, VU SUR ANIMULA | Lien permanent | Commentaires (4) | | Imprimer | | |
12.08.2013
Raoul Lehuard : un précurseur sur la sellette
Ouvrons le catalogue de l’exposition Charles Ratton, l’invention des arts primitifs. Même si celle-ci n’est pas encore très fréquentée, je suis sûre que ce sera un ouvrage de référence.
On y apprend beaucoup de choses. Y compris des choses que l’on savait déjà car il a été précédé en 1986 par un texte de l’ethnographe Raoul Lehuard : Charles Ratton et l’aventure de l’art nègre. Publié juste après la mort de Ratton mais conçu bien avant, cet article biographique constitue à lui seul le n°60 de la revue Arts d’Afrique Noire disparue en 2004.
Introuvable aujourd’hui, ce numéro est fort recherché par les collectionneurs d’art africain. C’était jusqu’à présent la seule source d’informations sur ce sphinx de Ratton. Est-ce une raison pour le dévaloriser maintenant comme le catalogue du Musée du Quai Branly n’hésite pas à le faire?
L’un des commissaires de l’expo Charles Ratton (Philippe Dagen pour ne pas le nommer) ne rate en tous cas pas une occasion de «flinguer» le travail de Raoul Lehuard. Comme s’il s’agissait d’écarter la concurrence! Une méthode plus fair play aurait été possible. Il suffisait de situer l’article de Lehuard dans son contexte historique. D’admettre qu’il constituait la première pierre d’un édifice dont on posait le toit 27 ans après.
Au lieu de ça, toutes les ficelles pour reléguer dans l’oubli un ouvrage précurseur ont été utilisées ici. On chipote sur l’orthographe d’un nom, on exploite certaines formules ambigües, on reproche à un homme, qui ne disposait ni du recul nécessaire, ni de la logistique d’une entreprise muséale, de n’avoir pas assez fouillé dans les archives de la Galerie Ratton. On conteste ses sources orales même quand son informateur est Charles Ratton lui-même : «Erreurs de mémoire d’un homme âgé (…)», p.17
Raoul Lehuard
Tout cela manque volontairement de bienveillance, c’est à dire de mesure, à l’égard d’un chercheur qui prenait le risque d’essuyer les plâtres. Il était sans doute nécessaire de rectifier certaines erreurs ou approximations de Raoul Lehuard. Il n’était pas indispensable de le traiter en rival à discréditer en prétendant «repartir de rien» (p.12)
Mieux inspiré nous paraît le catalogue du MQB quand il met en exergue ce fait fondamental : l’obsession de Charles Ratton pour le secret. Le «personnage» était «parfois plus fermé qu’une huître» remarquait déjà en 2007 Raoul Lehuard dans un autre de ses ouvrages, L’Empreinte noire (p.35)
C’est ce secret qui engendre les divergences d’interprétation actuelles car il excède celui dont un marchand d’art ordinaire entoure ses activités prospectives. «La règle impérative (…) est de ne jamais confier à ses clients la provenance des objets (…)» disait Ratton.
Force est de constater qu’il continue dans la tombe à appliquer ce principe. Ceux qui comptaient sur le catalogue du MBQ pour connaître enfin l’origine des fameux Barbus Müller, vedettes du premier fascicule de L’art brut en 1947, en seront pour leurs frais (35 €).
L’ombre de Charles Ratton qui plane derrière ces Barbus (dont beaucoup, sinon tous, lui appartinrent) reste muette à leur sujet.
15:39 Publié dans art brut, Ecrits, Expos, Gazettes, Lectures | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : charles ratton, raoul lehuard, philippe dagen, barbus müller, musée du quai branly | | Imprimer | | |
11.08.2013
Quai Branly, ne ratez pas Ratton
Ne visitez pas l’Exposition Coloniale disaient les surréalistes en 1931.
Visitez plutôt en 2013 l’exposition Charles Ratton, L'invention des arts primitifs, au Musée du Quai Branly.
C’est l’occasion de découvrir la vie et la carrière d’un grand acteur du marché de l’Art Nègre qui est aussi une éminence grise de l’art brut.
Petit rondouillard à lunettes, toujours bien sapé, Charles Ratton mouilla toute sa vie sa chemise pour gagner sa thune en rêvant de faire entrer ses chers arts primitifs au Louvre. Ce marchand de chez marchand possèdait l’art d’accrocher son wagon aux locomotives médiatiques.
En 1931, sous prétexte que «ça aiderait», il persuade Paul Eluard d’organiser la vente publique de sa collection (et de la collec André Breton), pendant cette fameuse Expo Colo sur laquelle les surréalistes gerbaient pourtant avec quelques raisons.
Ceux-ci feront toujours confiance à Ratton même quand des rumeurs courront à son propos parce qu’il avait continué son business avec ardeur pendant l’Occupation.
A ses copains de la Brasserie Cyrano, Charles Ratton, en 1936, passe les clés de sa galerie pour une mémorable Exposition surréaliste d’objets où Breton se livre à une nomenclature subtile : «objets naturels, interprétés, incorporés, trouvés etc.».
Des «objets perturbés» par l’éruption d’un volcan en 1902 sont visibles dans l’expo du MQB.
Quantité d’expos et de ventes publiques sont encore à l’actif de Charles Ratton. Bien que tout ça soit hors de mon sujet, j’avoue mon faible pour La Mode au Congo de 1937 à cause de ces petits bibis.
Chacune de ces initiatives rattoniennes a donné lieu à des affiches, catalogues et flyers dont beaucoup sont rassemblés dans l’expo du Quai Branly à côtés des pièces provenant de la Collection et du Bureau (reconstitué) de Charles Ratton.
Pièces d’exception autour desquelles «on ne peut pas tourner» comme dit un râleur dans le Livre d’or. La plupart de ces œuvres d’art et de ces passionnants documents sont reproduits dans le catalogue de l’expo qu’il vaut mieux feuilleter avant la visite pour mieux déguster celle-ci.
La plupart sauf … quatre compactes et «grandiloquentes compositions» d’Hodinos (comme dit Jean Dubuffet auquel Charles Ratton les avait montrées)
et une «broderie» d’un «fou», dessin de fils blancs sur tissu noir dont on retrouve la trace dans le bouquin de Marcel Réja, L’Art chez les Fous(1907).
Mais ceci est une autre histoire que je continuerai la prochaine fois.
18:36 Publié dans art brut, Ecrits, Expos | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : art brut, arts primitifs, art nègre, charles ratton, jean dubuffet, andré breton, paul eluard, emile josome hodinos, exposition coloniale 1931, musée du quai branly | | Imprimer | | |
24.07.2013
Découverte dans un grenier autrichien
On cuit, on fond, on bout, on canicule. La température a beau faire que monter, la ferveur animulienne ne baisse pas. Un peu partout de par le monde mes fidèles lecteurs m’adressent, avec leurs coucous de vacances, des informations. Est ainsi tombée dans mon panier la peinture scotchante de Josef Karl Rädler.
Un joli cas artistiquement borderline comme on les aime. Un créateur à l’intersection de l’art populaire, de l’art naïf et de l’art brut. Transcendeur de catégories trop rigides. Un homme de métier dévié de son parcours professionnel. Un peintre sur porcelaine que la schizophrénie (ou l’épilepsie) propulsa sur une voie plus ambitieuse, celle du grand art qui cotoie le haut mal.
«Une trentaine d’œuvres inédites» de ce créateur qui produisit environ 8 à 900 aquarelles, «viennent d’être découvertes dans un grenier». Elles sont montrées à Salzburg, jusqu’au 14 septembre 2013, dans la Galerie de Heidi et Ferdinand Altnöder.
Ce n’est pas votre petite âme errante qui le dit, c’est mon informateur, l’artiste et collectionneur suisse Eric Moinat qui, vous le savez peut-être, a exposé ses œuvres de carton et de papier en 2009 à Genève, près des poyas de François Burland.
Compte tenu de son goût pour les matériaux modestes, les connotations populaires et la densité des matières, on peut lui faire confiance quand il nous invite à découvrir les images extraordinaires de Rädler : «mandalas, écritures, peintures naïves, documents sur la vie des malades mentaux en Autriche au début du vingtième siècle».
Question biographie, je vous la fait court mais vous pourrez toujours surfer ici ou là, ça musclera un peu votre anglais et votre allemand. Grosso modo : J. K. Rädler (1844-1917) est né en Bohême. Son œuvre, produite dans des asiles à partir de 1897, n’a été découverte que 50 ans après sa mort.
Par le truchement d’une infirmière, elle fut remarquée par Léo Navratil, le fameux animateur de Gugging qui acheta une centaine d’aquarelles de Rädler pour les montrer dans une expo au Niederostereichische Landesmuseum en 1994.
Ces œuvres à double face combinent une image relativement réaliste et des figures symboliques accompagnées de textes plutôt inintelligibles. Encouragé par le personnel soignant, Rädler réalisa beaucoup de portraits de ses compagnons d’hosto.
J.K.R. avait parfaitement conscience de sa valeur. Pacifiste, il se considérait comme un «lachender Philosoph». Les prix qu’il fixait pour ses œuvres étaient exorbitants, ce qui est peut-être une manière idéale de négocier l’art brut ...
16:56 Publié dans Ailleurs, art brut, Expos | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : josef karl rädler, eric moinat, galerie altnöder | | Imprimer | | |
11.07.2013
BaBaBa BaBa Babel c’est toi qu’on aime !
Temps des vacances. Voici revenu le moment de s’ensauvager on the road again. Carte postale électronique d’une vaillante Animulienne. De retour de la Fabuloserie, «tout à coup» (je cite) «une fulguration! Nous avons découvert le jardin virevoltant d’un monsieur italien : une Babel de girouettes!». Diables d’Italiens! Toujours ardents à la création du bord de nos routes. «Babel», c’est peut-être un peu excessif pour cette ronde de vire-vent dans un ciel pommelé.
Mais je ne saurais en vouloir à Roberta Trapani, ma correspondante, l’une des têtes chercheuses du Collectif de Réflexion autour de l’Art Brut, si elle déborde d’enthousiasme. C’est qu’elle est plongée dans son sujet : celui des bâtisseurs italiens d’univers insolites. Joignant la pratique à la théorie, elle donne en ce moment un sérieux coup de main pour une exposition estivale qui se tiendra sur le site de Jean Linard.
Avec ses amis du PIF (Patrimoines Irréguliers de France), elle remet en état des salles délabrées pour accueillir les œuvres de Joseph Barbiero
Luigi Buffo (voir aussi mon album)
Joseph Donadello
et des photographies d’environnements de Giovanni Cammarata (en Sicile)
Luigi Lineri (en Vénétie)
et Bonaria Manca (dans le Latium)
La signorina Trapani m’avait touché deux mots de ce projet lors de la brillante (et très courue) soutenance de thèse de son camarade Baptiste Brun le 25 juin 2013 à l’INHA. Maintenant elle nous invite, mon chéri et moi, au vernissage, samedi 13 juillet 2013.
«Le climat est agréable, le Sancerre très doux, autant de bonnes raisons de se promener dans le Berry», paraît-il. Hélas, le chantier de ma nouvelle cuisine a pris du retard et je serai obligée de laisser mon auto au garage car j’attends les menuisiers.
Mais cette invitation est valable aussi pour vous! Et pour tutti quanti, naturalmente. Vous pourrez même, en soirée, vous offrir un «dîner babélique». Roberta a l’air de savoir cuire la pasta!
Cette expo made in France + made in Italy de créations dont les auteurs sont (ou ont été) italiens durera jusqu’au 31 juillet 2013 puis sera visible en septembre pendant les ouikènes.
Elle emprunte son titre : Costruttori di Babele au livre de l’anthropologue Gabriele Mina.
Une tour de Babel dans une cathédrale c’est empiler les images bibliques selon le principe des poupées-gigognes.
Ne pourrait-on nous lâcher les basquettes avec les références judéo-chrétiennes?
Ne peut-on penser qu’à l’ombre de la croix? Ou sous l’œil sévère d’un Yahvé ?
Je ne vois, pour ma part, nulle raison d’entraîner les «bâtisseurs italiens» dans une direction mystique. Je doute même de la volonté utopiste de leur démarche car je ne crois pas que leur façon de monter «à l’assaut du ciel» soit si présomptueuse que ça.
C’est pourquoi au «babélisme», je préfère de beaucoup, le concept d’hétérotopie (localisation physique de l’utopie). Il vient de Michel Foucault. Roberta Trapani a raison de s’en servir. Elle ferait même bien d’en abuser.
20:27 Publié dans art brut, Expos | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : art brut italien, roberta trapani, baptiste brun, crab, joseph barbiero, luigi buffo, joseph donadello, giovanni cammarata, luigi lineri, bonaria manca, gabriele mina, michel foucault, hétérotopie | | Imprimer | | |
06.07.2013
Les saints polonais en marche à Bègles
Cette exposition a débuté le 6 juillet. Si Dieu le veut, elle se terminera le 8 septembre 2013. Elle s’intitule Les Saints de l’art polonais.
«Saints» est à prendre dans un sens particulier puisque Pascal Rigeade, dans la préface du catalogue, révèle que le Musée de la Création Franche faut ainsi allusion à la phrase : «Ils sont les héros, les saints de l’art» par laquelle Jean Dubuffet qualifiait les auteurs d’art brut. Va donc pour «saints». Même si c’est agaçant que la Pologne évoque toujours les bondieuseries.
Pas trop de papes ni de vierges de Czestochowa cependant dans les œuvres fortes et variées présentées à Bègles. Quelques uns seulement dans la banque d’images que Mikołaj Ławniczak pioche dans les magazines au milieu de pin-up en bikini. Ryszard Kosek qui est dans le collimateur bèglais depuis 1996, célèbre, en couleurs de malaise sarcastique, un autre culte populaire : celui de l’alcool.
12 autres créateurs qui ont «tous un lien avec des institutions qui jouent un rôle important dans la préservation et la promotion de l’art brut» accompagnent Kosek.
350 œuvres de moutons noirs plus ou moins sous la houlette de galeries, associations, fondations, maisons protectrices, certaines du genre thérapiques ou occupationnelles. Une collection privée aussi, celle de Leszek Macak. Je ne comprends pas bien ce que Malgorzata Szaefer, co-commissaire de l’expo, entend par l’expression «Beauté en paquet» dont elle use à propos de cette sélection visiblement rigoureuse. Les mystères de la traduction sans doute. Ma petite âme ignorante aimerait pourtant savoir comment on prononce les noms des auteurs qui l’intéressent.
Iwona Mysera et ses confidentiels et illisibles messages qu’elle aime détruire autant que faire.
Przemysław Kiebzak et ses villes fortifiées-empilées.
Justyna Matysiak et sa maison aux circonvolutions intestinales.
Adam Dembiński aux bouches de chaleur et sexes rougeoyants.
Tous trois présentés sous des facettes différentes de celles remarquées, il n’y a guère dans une expo bruxelloise.
Mériteraient aussi d’être mémorisés les noms de Konrad Kwasek qui sculpte des bûches pour que son entourage les fiche au feu
Roman Rutkowski pastel-animalier au style anguleux
Henryk Żarski qui commença à parler à 45 ans (jusque là il avait trop à dire).
Ce «Nikifor de l’Institut Pakowka» figure dans la Collection de l’Art Brut de Lausanne bien qu’il n’apparaisse pas dans la liste des auteurs sur le site de celle-ci. Son cas paraît pourtant plus intéressant que ceux des peu convaincants Morton Bartlett, Ata Oko ou Charles Steffen dont la Maison mère nous a rebattu les oreilles ces temps-ci. J’aimerais en savoir plus sur la déportation en Allemagne des parents de Henryk Żarski qui, «déficient mental», a dû couper de peu à l’eugénisme puisque né en 1944.
L’expo de Bègles, malgré son titre à l’eau bénite, a l’avantage de nous mettre sous les yeux des œuvres d’art brut de qualité d’auteurs peu connus. C’est la preuve que, dans le monde plutôt confiné de l’art brut, on peut toujours respirer un air non conditionné par le marché international, actuellement restreint à l’axe OAF-GCE-SDV : Outsider Art Fair-Grands Collectionneurs Européens-Salles De Vente.
Axe autour duquel sont invités à graviter, comme les papillons autour de la flamme, responsables d’institutions muséales et intelligences universitaires que l’on voudrait détourner de la découverte pour les voir se consacrer à la circulation des seules valeurs (ou non-valeurs) cotées
16:20 Publié dans art brut, Expos | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : création franche, art brut polonais, ryszard kosek, iwona mysera, przemysław kiebzak, justyna matysiak, adam dembiński, konrad kwasek, roman rutkowski, henryk Żarski, leszek macak, malgorzata szaefer | | Imprimer | | |
21.05.2013
L’abbé Fouré passe à l’Ouest
A peine quelques jours qu’un Animulien de bonne volonté nous signalait, par un commentaire, la sortie de l’ouvrage de Joëlle Jouneau sur L’Ermite de Rothéneuf dans la Collection L’Esprit du lieu éditée par les Nouvelles Editions Scala.
Et déjà l’actualité nous rappelle au souvenir de ce diable d’abbé Fouré, l’ermite créateur des rochers sculptés. L’ermite et non l’hermite comme l’indique par étourderie le site de La Procurequi doit penser que l’art sacré s’écrit avec une hache.
Soutane à part, l’œuvre de Fouré n’a pas plus à voir avec l’art sacré qu’avec les histoires de pirates dont la légende locale affubla ses rochers. C’est une belle et bonne vieille création d’art brut tout à fait impressionnante par son ampleur. Les deux pieds dans la matière ingrate du rocher. Ce qui ne l’empêche pas d’être fort visitée.
Aujourd’hui comme hier (du vivant même du sculpteur de tempêtes, avant 1910), par des promeneurs en quête de curiosités et de bons bols d’air. Une exposition des cartes postales éditées au début du vingtième siècle en témoigne jusqu’au 29 juin 2013 à la Bibliothèque municipale de Brest.
Dans le cadre d’un «festival» intitulé L’Art brut à l’ouest où sont montrées aussi des sculptures de Pierre Jaïn et, parallèlement, des photos de Gilles Ehrmann à l’Artothèque que j’écrirais bien l’Artaud-thèque pour rigoler.
Mais les rochers sculptés ce n’est pas de la rigolade et une asso se remue joliment pour la bonne cause de la falaise érodée par les marées, les fréquentations touristiques, les belles histoires sans fondement véridique et, depuis peu, par de romantiques lieux communs sur «la poésie des ruines».
Un article récemment paru dans le journal numérique de Libération (18 mai 2013), sous le clavier de Bernadette Sauvaget, envoyée spéciale à Saint-Malo vous en dit plus. C’est de loin le meilleur papier que j’ai lu sur le sujet dans un quotidien depuis longtemps. Ironie du sort, la journaliste est en charge des sujets religieux à Libé. Non d’une rubrique artistique.
Bien documentée, elle n’en mène pas moins de front une présentation vivante et accessible de l’histoire de l’abbé, un aperçu précis sur l’œuvre et une enquête sur l’état actuel des problèmes posés par ce site indisciplinable. L’angle qu’elle a choisi pour intéresser ses lecteurs : le travail de proximité de l’association de protection et d’information.
Elle a, ce faisant, le mérite de brosser le portrait de l’animatrice de cette asso : Joëlle Jouneau elle-même.
Portrait qui manquait jusqu’alors.
22:36 Publié dans art brut, Expos, Lectures, Sites et jardins, VU SUR ANIMULA | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : art brut, abbé fouré, rothéneuf, joëlle jouneau, bernadette sauvaget | | Imprimer | | |
20.05.2013
Ostie d’câlisse de tabarnak d’art brut
Pauvre Belgique! Animula te laisse tomber. Pourtant avec tous ces maudits Français qui ont colonisé Bruxelles, j’aurais dû signaler, chez Art & Marges, l’exposition d’art brut polonais intitulée -Dieu sait pourquoi- Une hostie dans une bouteille/Een hostie in een fles. «Art brut», je risque le mot bien qu’il soit tricard dans le matériel promotionnel de l’expo de la rue Haute organisée avec la collaboration d’un tas de chouettes partenaires de Pologne (galeries, musées et hostos psy).
On ne répugne pas en revanche du côté d’A&M à l’usage du mot «artiste». Ce qui nous donne un sous-titre aussi vague que le titre est obscur : Artistes polonais/Poolse kunstenaars. In english : Polish artists. On peut rien rêver de plus général? Dacodac comme dirait Alex dans Orange mécanique.
Aux dernières nouvelles, Dieu contacté m’a tout de même fait savoir que l’hostie et la bouteille provenaient d’une phrase de Maria Wnęk, l’une des personnalités présentes dans l’expo polono-bruxelloise. Sauf que la phrase est amputée de son début : «Du lait au lait»!
L’hostie, on comprend : ça plait aux cathos. Et la bouteille vous a un petit air si «art populaire» qu’on crache pas dessus. Mais les deux ensemble, c’est moins évident question communication. Heureusement que le public n’est pas obligé d’apprendre ce titre par cœur! S’il se souvient du contenu, ce sera déjà très bien. Car ce contenu le mérite puisqu’il conjugue des talents profondément variés sur l’échelle de la brutitude : Marian Henel
N’oublions donc pas qu’il ne reste que peu de jours pour se précipiter à l’exposition d’art brut polonais de Bruxelles/Brussel. Cela fait déjà un moment que des Animuliens vigilants me suggeraient d’y faire un détour.
Mais le temps tout pourrave… Mais le Père Cepteur qui a ratissé toute ma thune… Mais un certain désenchantement aussi dont je retrouve l’écho dans un article de Danièle Gillemon dans Le Soir m’ont détournée de ce «voyage vers les univers» d’une vingtaine de créateurs parmi lesquels le grand Edmund Monsiel.
Créateurs bruts ou brutoïdes dont on n’a pas souvent l’occasion de voir les œuvres. Et qui nous changent des «vedettes américaines» (certes incontestables) : Traylor, Ramirez, Darger, et maintenant Deeds dont le marché dominant de l’art brut nous impose la ronde -à force monotone- de New York à Lausanne City en passant par les salles de vente du huitième arrondissement de Paris.
A noter que j’emprunte mes images ci-dessus (hors vernissage) ainsi que celles des œuvres de Przemyslaw Kiebzak
à des sources extérieures à l’exposition bruxelloise car le leporello d’Art & Marges et son site Internet sont plutôt chiches en reproductions. Raison de plus pour avaler l’hostie et la bouteille en live si c’est dans vos moyens. Vous l’avez compris : c’est pas du petit lait.
18:57 Publié dans Ailleurs, art brut, Expos, Images | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : art & marge musée, art brut polonais, maria wnęk, marian henel, adam dembiński, justyna matysiak, edmund monsiel, przemyslaw kiebzak, ksawery zarębski, danièle gillemon | | Imprimer | | |
19.05.2013
Prague 2013 : Jan Křížek sort de l’oubli
C’est une chose qu’on ignore parfois mais la Tchèquie existe et à Prague un Institut français où il se passe des choses. Tiens, le 6 mai dernier : on y présentait l’importante monographie d’Anna Pravdová sur Jan Křížek. Anna Pravdová, conservatrice à la Galerie Nationale de son pays, a des liens avec le nôtre et parle le français. Ce qui nous vaudra peut-être dans l’avenir des éclaircissements supplémentaires sur son travail.
Entretien d'Anna Pravdová avec Anna Kubišta
Sa monographie, qu’on dit nourrie et fort illustrée, accompagnera du 31 mai à la fin septembre 2013 une grande exposition Křížek (1919-1985), intitulée Jan Křížek et la scène artistique parisienne des années 1950.
Dans le Manège du Palais Wallenstein, grosse perle baroque du quartier de Malá Strana.
Occasion pour les Tchèques de se réapproprier l’œuvre de cet artiste qui, après le Coup de Prague en 1948, vécut chez nous. D’abord à Paris puis au fond de la Corrèze où il se bâtit une maison dans les bois. La notice Wiki sur Křížek est plutôt anorexique. Elle le décrit coincé entre surréalisme et art brut. Il serait surtout du genre inclassable et l’expo de Prague ambitionne de mettre en lumière sa captivante spécificité.
Qu’on le veuille ou non, il appartient cependant à la légende de l’art brut. Son nom reste attaché à la période pionnière où ce concept découvert par Jean Dubuffet s’affinait progressivement.
Avec Miguel Hernandez, Juva, Pierre Giraud et le controversé Robert Véreux, Jan Křížek eut les honneurs de l’une des 5 brochures historiques que René Drouin, galeriste de Dubuffet, édita pendant la période d’activité du Foyer de l’Art brut (15 novembre 1947/été 1948).
Le texte de Michel Tapié qui figure dans cette plaquette ne cache pas l’origine «culturelle» de la découverte du «cas» Křížek.
C’est le sculpteur cubiste espagnol Honorio Condoy qui lui signale (ainsi qu’à Henri Pierre Roché par ricochet) les sculptures du jeune tchèque, selon lui «tout à fait dans la même ligne» que les Barbus Müller.
Le destin de Křížek montre ensuite que Condoy, Tapié et Roché ne se trompaient pas tout à fait sur la nature «brute» du talent du sculpteur. Deux faits sont là pour en témoigner. Un épisode iconoclaste au cours duquel Křížek détruit certaines de ses sculptures sous prétexte qu’il n’a pas les moyens de les transporter à la campagne. Une phrase révélatrice qu’il prononce quand il renonce à la création sculpturale (1962) pour devenir apiculteur : «enfin je suis guéri, je peux arrêter mon travail artistique».
Photo tirée de la monographie d'Anna Pravdová
L’histoire retient que Dubuffet ôtera très vite les rênes de l’art brut des mains de Michel Tapié. Ce dernier, dans une note additionnelle à son texte de la plaquette Drouin, a conscience du problème posé par Křížek : «Tant pis pour ceux qui penseront que je brouille les cartes. Souvent trop des mêmes qui -avec raison- protestent contre les brimades, voire les honteux internements arbitraires des champions du verbe et de la vision ne voudraient, sans quoi ils ne marchent pas, voir en l’Art Brut qu’un asile ou une cage à singes (…)».
18:18 Publié dans Ailleurs, art brut, Expos, Gazettes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : art brut, surréalisme, jan krisek, anna pravdová, radio prague, rené drouin, michel tapié | | Imprimer | | |