22.06.2008
Lesage, Trenkwalder : confrontation à la Maison rouge
«L’œil du collectionneur» est dans la Gazette de l’Hôtel Drouot n°24 (20 juin 2008) et il nous regarde par le biais d’un portrait de Bruno Decharme accompagné de ses «propos recueillis» par Geneviève Nevejan. Un long métrage est sur le gaz, le marché de l’art brut U.S. est florissant, «George Widener (…) mémorise les dates des catastrophes aériennes depuis quatre cents ans (…)». Rien de vraiment neuf dans cet entretien, si ce n’est qu’il marque l’émergence d’un concept tout droit sorti du chapeau de l’article, celui de collectionneur-conseil : «le cinéaste est depuis vingt-cinq ans l’observateur des artistes mais aussi le conseiller du marché de l’art brut».
Des œuvres d’Augustin Lesage appartenant à Monsieur Decharme figurent dans l’exposition qui commence à la Maison rouge à Paris.
Et là, votre petite âme errante pousse son cri primate : «iiiiiiiiiiiiiiiiii». Elle y est allée et elle en est toute retournée. Des accrochages de cette qualité, vous êtes pas prêts d’en voir souvent. J’étais partie boulevard de la Bastille avec mes préjugés en bandoulière, bougonnante contre la détestable mode qui consiste à fourrer les pépites de l’art brut et l’orfèvrerie chichiteuse de l’art contemporain dans le même sac. Je croyais me farcir encore le mariage de la carpe et du lapin, du bouquetin Van Dongen et d’Hélène Smith, la gazelle de l’au delà et puis je suis tombée sur le troublant binôme Augustin Lesage/Elmar Trenkwalder. Je suis restée scotchée. Un orage pouvait tomber sur la cage des tourterelles (Birdhouse café) près de la salle principale, j’ai du me rendre à l’évidence. Là il se passe quelque chose. La confrontation des deux univers produit, mieux que du dialogue, des questions au spectateur.
Comme je connais mieux les œuvres de Lesage que celles de Trenkwalder qui s’exprime par des assemblages de céramiques émaillées, serpentines, fluides, torsadées et colorées, c’est d’abord les tableaux du mineur que je me suis mise à looker avec un max d’intensité.
La présence perturbante des stèles de guimauve, des totems phalliques épluchés de l’artiste autrichien me conduisant à redécouvrir les larves blanches qui roulent en vague dans certaines des toiles de Lesage.
Inversement la contemplation de ses vertigineuses symétries est comme stabilisée par les structures architecturales de Trenkwalder, moitié mobilier d’église baroque, moitié palais martien. Dans une salle en bas un petit format de Lesage avec 2 rosaces multicolores répond (ou interpelle) une cathédrale trenkwalderienne qui tient du poële germanique.
Sans abuser de ces parentés de formes et de couleurs, l’expo favorise l’écho entre les deux œuvres. Façon de nous dire que chacun des artistes (on peut employer le terme pour Lesage qui a fait carrière) s’abreuve à une même source souterraine. Une source à laquelle Augustin accède par les voies d’un automatisme souverain et ingénu tandis qu’Elmar y touche par le recours à des stratégies patiemment calculées.
Si cette trop belle expo nous apprend une chose, c’est que l’art brut génère sa propre compatibilité avec un certain art contemporain. Le confronter avec n’importe quelle production platement ordinaire sous prétexte qu’elle est d’aujourd’hui (ou hier) n’a d’autre intérêt que de faciliter sa consommation sur un marché international.
Se creuser le ciboulot pour découvrir les bons compagnonnages (il y en a), c’est ça le truc. Même si on triche un peu. Car, si j’ai bien compris, non seulement Trenkwalder connaissait Lesage avant de participer à ce pacsage mais son travail semble payer tribut au médiumnisme. Voir par exemple ci-dessous WVZ87, tumultueux dessin inclus dans un cadre meringué façon pâtisserie viennoise exaspérée.
Toutes les photos sont tirées du catalogue et/ou du dossier de presse
01:02 Publié dans Expos, Oniric Rubric | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : art brut, augustin lesage, elmar trenkwalder | | Imprimer | | |
16.06.2008
Art brut : découverte d’un nouveau créateur en Sicile
Sans vouloir me vanter (hum, hum !...), Animula est une belle chose. Ce blogue, je me dis des fois que c’est bête que je le fasse parce que j’aurais aimé le lire. Tout particulièrement quand un Animulien généreux du genre de Boris Piot me confie, pour publication immédiate, des images d’une force 10 sur l’échelle de l’art brut comme celle de ce créateur sicilien dont je vous ai déjà montré les sensationnelles réalisations murales récemment.
© Boris Piot
Cet exceptionnel «crayonneur» -comme vous dîtes– oui, je l’ai rencontré cher Boris, je vous le confirme. Et grâce à vous, faites pas le modeste, puisque c’est vous qui m’aviez mise sur sa piste quand vous êtes tombé (aïe) sur les élucubrations de votre petite âme errante, il y a de ça environ 3 mois.
© Boris Piot
C’est vrai que le travail de cet homme talentueux (par nature), fruste et fragile, «mérite attention», comme vous l’écrivez dans votre com du 10 juin. «Attention» et même plus car vous vous doutez bien que nous nous trouvons là devant un authentique grand cas d’art brut.
© Boris Piot
Avec le cortège de difficultés habituelles : nécessité de pas nuire en voulant bien faire, prise en compte du contexte et de la situation précaire où se trouve placé le personnage, recherche des bons moyens d’éclairer l’œuvre alors même que son créateur n’en manifeste pas le besoin. Du boulot sur la planche, quoi !
© Boris Piot
Mais rassurez-vous, scrupuleux B.P., cette découverte n’est d’ores et déjà pas passée inaperçue et les murs de Giovanni (il ne vous avait pas dit son prénom, à moi, si) ont bel et bien suscité de l’attention et même de la passion e-mailesque dans le petit club d’Ani. Pas de risque que mes correspondants, filles et garçons, passent donc à côté de vos photos de dessins réalisés aux feutres de couleurs, tantôt sur des supports de fortune et tantôt sur beau papelard quand il y en a.
© Boris Piot
Qu’admirer de plus de l’autorité, de l’innocence, de l’originalité de ces compositions ? A eux de le dire. Ou de le penser.
Pour moi, c’est sans conteste pur jus d’art authentique et je suis prête à griffer le visage du premier qui dirait le contraire.
© Boris Piot
22:58 Publié dans Ailleurs, Glanures, Images, Vagabondages | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : art brut, giovanni bosco | | Imprimer | | |
15.06.2008
C’est l’Impaire que je préfère
Des merles, des enfants qui courent, une cheminée d’usine surplombant, comme un phare, ce joli hâvre «voué à l’art brut qui s’attache aussi à accueillir des artistes du monde entier» (communiqué de presse) et le décor est planté.
Avec la Galerie Impaire, le Creative Growth Art Center d’Oakland (voir mon post du 29 avril 2007 : Montreuil, California) a choisi d’installer son antenne européenne dans notre capitale. Vive les Américains quand ils ont des idées pareilles! Qu’on ne nous dise pas qu’ils n’aiment pas la France.
Tom di Maria, le directeur du Creative Growth, qui fait des efforts de lion pour parler notre langue, administre la preuve du contraire. Il prévoit de venir chez nous plusieurs fois par an pour dorloter les expositions qu’il compte y monter régulièrement.
A ces créateurs confirmés s’ajoutent des nouveaux que votre petite âme errante ne connaissait pas : George Wilson et Kerry Damianakes. De ce dernier j’ai aimé le poisson au rouge à lèvres et les «turkey sandwiss cheese and tomato and mushrom…» aux formes si éloquemment réduites à l’essentiel.
Kerry Damianakes
Les œuvres sont accrochées dans la salle de bal. J’appelle ainsi l’espace principal de la galerie à cause de son parquet blond. Cette salle de belle proportion, sans être gigantesque, est flanquée de deux ailes.
L’une, où Cheryl Dunn, une photographe new yorkaise, montre une série de portraits du Creative Growth, servira plus tard à exposer des œuvres d’artistes contemporains.
L’autre qui constitue un bureau-boutique très sympa. On peut y acheter des bouquins, des T-shirts et choisir, pour des sommes pas faramineuses (mais suffisantes pour engendrer chez l’acheteur le respect du travail des créateurs) des œuvres de qualité. «La galerie dispose également d’une chambre qui servira de résidence aux artistes de passage».
Dwight Mackintosh
C’est que souffle à Paris, l’esprit californien de la Maison mère. On sent qu’il a fallu des tonnes d’énergie pour aboutir à ce miracle inattendu : a «Paris-art gallery, exhibiting the artwork of artists with disabilities, self-taugt artists from around the world». Il reste à améliorer la communication : ça manque un peu de cartels et je ne suis pas sûre que le terme «artistes handicapés autodidactes» soit très heureux.
Judith Scott (détail)
A voir l’autorité plastique qui se dégage des dessins et peintures présentées 47 rue de Lancry, c’est plutôt nous qui nous sentons handicapés. Mais la gracieuse décontraction qui accompagne si bien la compétence et le respect qui règnent chez Impaire, pourvu qu’elle «doure» comme disait la maman de Napoléon !
00:31 Publié dans Expos | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : art brut, dwight mackintosh, kerry damianakes, judith scott, daniel miller | | Imprimer | | |
13.06.2008
Coquillages de Seba
Toujours sur la piste des têtes composées (voir mes notes du 10 juin et du 8 septembre 2007 : Beau masque à Bordeaux et Merveilleux Arcimboldo), j’ai pensé que cette image capturée dans un livre d’Albert Seba (1665-1736) pourrait vous concerner, petits curieux que vous êtes ! Seba est une espèce de pharmacien qui a constitué plusieurs cabinets de curiosité dans sa vie. Il a donné une sorte de catalogue de sa collection avec des gravures artistico-scientifiques qui font fureur encore aujourd’hui.
Bon, bin, si vous voulez en savoir plus, allez vous plonger dans la Gazette de l’Hôtel Drouot de cette semaine (n°23) pour y pêcher le papier de Sylvain Alliod sur la question. Papier accompagné de ces coquillages et de cette tête fabriquée à partir d’eux.
23:55 Publié dans Gazettes, Images | Lien permanent | Commentaires (0) | | Imprimer | | |
11.06.2008
Souvenirs de Franc Barret
Avec le retour des chaleurs, plutôt que du giron de son chéri qui colle, on rêve aux bras glacés de l’abominable homme des neiges. Pas le grand escogriffe de Tintin au Tibet qu’un éclair de flash intimide mais le sauvage, le fier et même le tout à fait farouche Yéti de la ferme Barret à Pineuilh dans la Gironde, près de Sainte-Foy-la-Grande. Ce monstre au corps couvert de barbe de maïs était sorti, avec ses crocs carnassiers, non de l’imagination, mais bien des rêves affreux de Franc Barret.
Agriculteur le jour, Franc (ou Franck comme on le voit écrit maintenant) occupait ses nuits à pétrir l’argile et à modeler des sujets qu’il décorait selon ses conceptions d’autodidacte en matière d’histoire, de zoologie, d’art et de science-fiction de série B. Cela a l’air marrant et pourtant c’était loin de l’être. Franc Barret n’était pas le genre de gars à se couler dans les pantoufles d’une singularité pépère. Il aimait le poil, les vampires ensanglantés et les chaînes. Sa création le consumait. Il maigrissait à vue d’œil.
Le musée bizarre qu’il avait installé chez lui pour mettre en scène, pêle-mêle, son Vercingétorix, sa sainte Blandine, son panorama de Lourdes, son homme de Néanderthal ou son Martien, tenait tout à la fois du jardin des plantes, du museum d’histoire naturelle, d’un cabinet de fétichiste et d’une réserve de maquettes. Il faisait peur, même aux gendarmes.
On y respirait un parfum d’inconscient chaud bouillant, distillé à partir des moyens les plus simples : insomnie, petit maillet en bois, aiguille, vieux rayon de bicyclette. Cocktail de bricolage et d’inspiration impérieuse !
«Une force irrésistible le jette au bas de son lit, les rêves se transforment chez lui en réalité. Il voit son œuvre s’ébaucher et ses mains opérer».
Je pique ces lignes à un article du journaliste Geo Sandry, auteur de livres sur l’argot. On peut pas dire qu’elles courent les rues les publications où il est question de Franc Barret! Cet article introuvable m’a été signalé par un Animulien collectionneur fatal. Il est paru vers 1957 dans une petite revue conservatrice (on y flingue la jeune action-painting américaine) : L’Information artistique, n°55.
Je sais pas qui est ce Maurice Doriant qui a donné 8 de ses photos (abominablement reproduites hélas !) pour accompagner le texte de Sandry mais ce Géo «Trouvetout» a visiblement Franc Barret à la bonne. Il décrit bien le «climat permanent de souffrance» où vivait le sculpteur et «les cinq minutes de joie explosive» qu’il ressentait quand il avait terminé une œuvre.
Le grand mérite de Géo Sandry est de nous restituer les propos du paysan-créateur : «Je marche au radar. Une voix qui est en moi, me commande et j’agis (…). Et c’est ainsi que, par une sorte d’automatisme, en obéissant à cette voix, j’arrive à reproduire les formes et à donner l’expression».
C’est sans doute en raison de ce caractère vivant que son reportage a servi de source aux 3 pages (illustrées d’une photo de Ch. Stroh) qu’Anatole Jakovsky a consacré à Franc Barret dans son livre en allemand Damönen und Wunder.
23:36 Publié dans Gazettes, Images, Jadis et naguère, Musées autodidactes disparus, Oniric Rubric | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : franc barret, art brut | | Imprimer | | |
04.06.2008
Mémoires au présent à Laduz
Les grands esprits se rencontrent, dis-je, parce que, peu de temps après avoir souri à vos «canivets et autres paperolles», j’ai reçu le carton d’invitation de Jacqueline Humbert pour la nouvelle expo du Musée de Laduz. Mémoires au présent qu’elle s’appelle. On y montrera des reliquaires à papiers roulés XVIIe, XVIIIe et début XIXe siècles.
Ces «Trésors de ferveurs» proviennent de la Collec au Docteur Thierry Pinette pour lequel je suggère que l’on joue de l’épinette le soir du vernissage, le vendredi 20 juin 2008 à partir de 18 h.
Compagne de route de ces minutieuses réalisations de l’art pop des couvents, Lucile Moroni, une artiste d’aujourd’hui qui ne semble rien ignorer des techniques en usage chez les fabricants de pop-up, montrera ses broderies récentes et ses missels à papiers pliés.
Tout ceci du 21 juin au 14 septembre 2008.
Et quand à ceux qui s’étonneraient que je n’ai pas dit un mot de l’European Outsider Art Fair qui s’est tenu fin mai–début juin à l’Austrian National Library de Vienne (en Autriche), je répondrais que je ne me suis pas des masses sentie concernée par le côté «Outsider de chez Outsider» de la chose. En plus le site internet était bavard et confus et puis les «symposium» avec duo de «Professor», non vraiment ça me gonfle.
J’attendrai donc la prochaine party chez Christian Berst, avenue des Objets trouvés pour m’éclater un max (vernissage le 5 juin).
En attendant, je retourne fumer ma moquette au lieu de cracher mon venin.
En ce moment mon stupéfiant, c’est Pierre Desproges : «En cas de morsure de vipère, sucez-vous le genou, ça fait marrer les écureuils».
01:08 Publié dans Expos | Lien permanent | Commentaires (4) | | Imprimer | | |
01.06.2008
Foisonnements et Overvloed chez Art en marge
Et maintenant, tous derrière Ani en direction du ciel. C’est que la Sicile c’est pas que du bain de mer en maillot panthère, ça monte, ça monte et un peu vite, je vous jure, dans la région de Trapani. A Erice, village de montagne où l’on accède par une route en lacet qui fait des nœuds dans les estomacs de Reinette et Léa, indifférentes aux splendeurs des précipices, les nuages, « les merveilleux nuages » s’approchent en foule pour vous faire la fête.
Quand vous ouvrez la portière, ils pénètrent dans la voiture et quand vous ouvrez la bouche, vous les mangez à la cuiller .
Bon, c’est pas Neuschwanstein mais l’ambiance cotonneuse sur les remparts de la période normande m’a fait penser aux fantaisies médièvalesques de ce bon vieux Louis II de Bavière.
Vous me voyez venir ? On se rapproche de mes dadas. On s’en rapproche par des ruelles pavées de galets-savonnettes, sans pitié pour les fragiles escarpins (j’ai gardé le sac) que Dominique s’était offert le matin même. Et en haut, que trouve-t-on ? Une librairie bien sûr. Bourrée de souvenirs pour touristes mais où j’ai quand même trouvé, soldé pour un prix ridicule, le catalogue d’une exposition du début 2006 intitulée Gloria in excelsis Deo (toujours le ciel !).
Comme cette expo était consacrée à la tradition céroplastique (la tradizione ceroplastica natalizia di Erice, Alcamo, Trapani e Salemi) et que les bouquins sur ce sujet courent pas les ruelles par chez nous, je m’arrête un peu sur cet ouvrage de Maurizio Vitella, plein de photos de jésus en cire présentés sous globes ou dans des ébénisteries vitrées.
Pourquoi ? Mais parce que productions d’un catholicisme, populaire et baroque à la fois, ne sont pas indifférentes à certains créateurs d’art brut pur laine. Giovanni Battista Podesta, par exemple, pour rester dans la sphère italienne.
Quittant maintenant les brumes du sud, je vous invite à cingler avec moi vers des climats plus nordiques pour vous dire qu’un autre Italien, Anacleto Borghi, figurera au tableau de la prochaine manifestation (Overvloed/Foisonnements) d’Art en marge dans la capitale de la patrie de Salvatore Adamo, le plus fameux des Belgo-siciliens francophones.
Intéressez vous surtout aux éphémères sculptures de papier scotché et peint dudit Anacleto.
Et pour finir à rebrousse-poil, suivez Les Papillonnages de Véronique (un autre "blogue de fille") parce que cette petite nouvelle, tombée du dernier mois de mars, vous a une façon bien à elle d’aborder la question de l’art brut qui nous change des révérences, des contresens ou des délectations moroses assez habituelles en ce domaine, même si son coeur penche par trop pour l'érotisme, cette voie royale de la culture des plus cul-turantes.
23:50 Publié dans Ailleurs, Expos, Images | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : art brut, anacleto borghi, art en marge | | Imprimer | | |
25.05.2008
Murs à la sicilienne
Le retour du temps gris, ça m’déprime. Je pense à mes récentes vacances et je pleure dans le gilet du téléphone de Dominique pour lui dire : «Je m’ennuie, je m’ennuie».
C’est que la Sicile, je n’en suis pas encore revenue! Surtout si je me mets à regarder les photos de ces extraordinaires peintures et inscriptions murales prises, à l’heure propice de la sieste, dans le quartier mi-ancien, mi-rénové, d’une petite ville de l’île aux trois jambes.
Un vrai mystérieux peintre a œuvré ici, dans l’irrépressible urgence d’un besoin d’expression sans égal et avec l’évidente tolérance de ses concitoyens, pourtant peu confrontés au phénomène des tags ordinaires, plutôt rares dans leurs rues.
Le sourire en coin des quelques vieux messieurs somnolant aux terrasses bistrotières quand ils évoquent, mi-figue, mi-raisin, leur «Van Gogh» local suffirait à nous faire comprendre que nous sommes en présence d’un cas d’art brut de la plus belle eau, si les formes inusitées, si le traitement instinctif des couleurs, si le mélange inextricable des graphies et des images n’étaient là pour nous en convaincre.
Grosses taches ovoïdes qui s’avèrent être des visages gonflés comme des ballons, macules galbées en cœur ou en pomme qui servent de supports à des listes de villes, à des prénoms, à des chiffres…, si je m’écoutais je vous en dresserais tout un répertoire.
J’avoue que j’ai un faible pour ces sortes de limaces body-buildées et mélancoliques dont le créateur détaille avec ferveur les biceps. Il les aime si fort qu’elles contaminent parfois la lettre C dans ses écrits.
Il y aurait tant à dire sur ses yeux-horloges à 4 aiguilles,
sur ses cibles tirant des flèches,
sur ses robots constitués de morceaux cernés et agglomérés, toujours prêts à prendre leur indépendance,
que je préfère me la fermer. Je me sens devenir chiante.
La peinture de ce subtil, émouvant et inapprivoisé créateur demande en effet qu’on n’oublie pas la façon originale dont elle s’intégre dans un environnement de lézardes et de somptueux vieux crépis qui se la jouent Jean Fautrier naturellement.
En enfant du pays, l’auteur de ces fresques se sert en virtuose d’une géographie de badigeons superposés et de fissures-crevasses, emblématiques, à leur manière, de l’histoire sicilienne et de la culture du sud de l’Italie.
Pas étonnant qu’il affectionne les violentes coulures rouges et les airs du chanteur napolitain Mario Merola. Il en transcrit les paroles, en dialecte, dans une orthographe approximative (Chitarra rossa), en suivant le tracé de lignes pointillées qui représentent pour lui la ligne mélodique.
18:50 Publié dans Ailleurs, Glanures, Images | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : art brut, giovanni bosco, sicile, mario merola | | Imprimer | | |
24.05.2008
Une journée au Jardin de Gabriel
Levez-vous, magique saison des brocantes! Il est revenu le temps de brûler l’or noir sur les routes pour le transmuer en brimborions enchanteurs qui feront les délices iconoclastes de vos petits neveux quand ils viendront de leurs petits doigts confiturés tripoter vos collections.
Bonjour les sujets en coquillages, salut les bateaux en bouteille, entrez ici petites croûtes anonymes où passent le génie fugace du peintre improvisé!
A Dieu ne plaise que j’oublie de vous signaler, Animuliens du canton de Saint-Jean d’Angély et d’ailleurs, qu’à Varaize, c’est jour de fête le 25 mai avec brocante au programme.
C’est le moment de penser à vos mères et aux Sophie dont c’est aussi le jour. C’est d’ailleurs en l’honneur de ma copine du même nom, qui trouve que j’écris trop mal dans le genre relâché du vocabulaire, que je m’efforçouille aujourd’hui de pasticher le Chateaubriand sauce Outre-tombe.
Mon amour des bonshommes de paille dressés aux croisées des chemins par des émules de Virgile, soucieux d’embellir nos campagnes, m’a conduit, via Internet, jusqu’à celui qui trône, sur la voie romaine, au carrefour des bonnes cités d’Aulnaye, de Varaize et de Saintes, en aimable signal de la sus-dite brocante.
Il ne relève pas du noble sport de l’art brut ? D’accord ! Il ne vaut pas l’Inuksuk de Marnay que je vous ai présenté sur ma note du 14 novembre 2007. Encore d’accord. Mais il est bien sympathique quand même car il est associé, sur le blogue de Bernard M. où je l’ai trouvé à un événement beaucoup plus dans mes cordes. J’ai nommé la Journée des Jardins du dimanche 1er juin 2008 au cours de laquelle l’ethnologue Michel Valière sortira de son cabinet de travail où, lui et son épouse Michèle, également ethnologue, réalisent livres et articles, pour descendre sur un terrain qui m’est cher, puisque je vous en ai déjà moult fois parlé, à savoir le Jardin de Gabriel.
Michel et Michèle, les pilotes de l’ethnoblogue de Belvert vous accueilleront (dites que vous êtes Animuliens!) de 15 à 18 heures. Monsieur Valière se chargeant de guider la visite de sa belle voix de basse «occitanienne» (pour revenir au vicomte).
15:37 Publié dans Glanures, Sites et jardins | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : gabriel albert, michel valière, art brut | | Imprimer | | |
21.05.2008
Au «Castello incantato» de Filippo Bentivegna
Si vous pouviez voir mon fond d’écran! Je me suis installé les gratte-ciel de Filippo Bentivegna. Le skyline que cet infatigable créateur-excavateur a peint sur les murs de sa maisonnette sans fenêtre, après son retour des U.S.A où il avait émigré au début du 20e siècle.
Vous pensiez pas qu’en Sicile, je m’étais contentée de glaciers et de temples ?
A peine arrivée, j’ai foncé vers Sciacca (ça se prononce «Chaca» que je répète pour le plaisir d’évoquer la scène du Minotaure dans le Satyricon de Fellini).
Direction les 5000 têtes sculptées par Bentivegna, surnommé «Filippu di li testi», alors que de son vivant on lui donnait de «l’Eccellenza», à cause peut-être du mélange de trouille et de respect qu’il inspirait.
Très vite, dans les fresques du petit Chicago intime de l’ancien émigré sicilien, des têtes, plutôt grimaçantes, sont apparues. Elles se sont multipliées tout autour, dans le jardin de cailloux que Filippo s’est acheté en 1935 en dehors du village.
Cela ne s’était pas très bien passé en Amérique. F.B. n’avait appris que quelques mots d’anglais, refusé la naturalisation. Une histoire de violence liée à un amour malheureux par dessus le marché. De retour chez lui F.B. ne choisit pas la voie de la facilité mais celle d’une entreprise artistique inouïe dans son contexte social.
Le terrain de Bentivegna avec ses oliviers descend de la montagne par paliers vers la mer. Quand on l’aborde de la route escarpée qui mène à lui, on le gravit en soufflant et en se confrontant à des vagues successives de visages, plus ou moins grossièrement taillés, qui frappent par la tristesse qu’ils dégagent.
Même si les murets de protection installés par la commune, aujourd’hui propriétaire et gardienne des lieux, rationalisent un peu cet espace sauvagement personnel. Cela vous déboussole, vous fout le tournis. «Totale prise de tête !» résume ma copine Léa avec son humour dévast-auteur.
Le malaise culmine quand on arrive aux murs crênelés, ondulés à la Gaudi, mais boursouflés de têtes, à peine émergentes ou proéminentes qui vous lorgnent de leurs yeux torves comme si on était hallucinogénées.
C’est trop pour certains visiteurs et c’est encore rien car on arrive maintenant au sommet où sont les grottes.
C’est au seuil de celles-ci que Dominique s’est arrêtée. On n’a pas pu la forcer, la pauv’ chérie.
Intrépide comme je suis, je me suis engouffrée là-dedans en serrant les … et en essayant de deviner les figures de cauchemar bubonnant dans les parois, à la lumière de mon téléphone portable.
C’est magique et terrible à la fois, d’autant qu’à l’intérieur la couleur rouge a tenu sur ces visages dantesques. Trop formidable, limite à gerber, comme quand on monte pour la première fois dans un hélico alors qu’on a le vertige.
Dans ce dédale de passages étroits où le corps se coince dans des alvéoles, Bentivegna, au prix d’un travail colossal, nous fait cotoyer des chocottes quasiment préhistoriques.
23:55 Publié dans Ailleurs, Sites et jardins, Vagabondages | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : filippo bentivegna, art brut | | Imprimer | | |